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Chronique historique

Le hanneton et la « lemoultine »

PAR ANDRÉ FOUGEROUX - Phytoma - n°740 - janvier 2021 - page 43

En 1923, la « lemoultine », à base de Beauveria tenella, est commercialisée pour lutter contre les vers blancs, larves du hanneton commun Melolontha melolontha. Cette préparation connaît un certain succès entre 1923 et 1939. Petite histoire autour d'un des premiers produits de biocontrôle.
Illustration de Jean-Henri Fabre (1823-1915) Photo : DR

Illustration de Jean-Henri Fabre (1823-1915) Photo : DR

En 1886, Léopold Le Moult, ingénieur des ponts et chaussées, crée le premier syndicat de hannetonnage à Gorron, en Mayenne. En 1887, ce syndicat collecte 77 000 kg de hannetons sur les onze communes du canton, puis 23 000 kg en 1889 sur la commune de Céaucé. Fort de ces succès, le ministère de l'Agriculture lui confie pour toute la France la lutte contre le hanneton et sa larve.

Des larves parasitées

En 1891, L. Le Moult transmet la note suivante à la Société centrale d'agriculture (future Académie d'agriculture de France) : « Au mois de novembre dernier, nous avons eu l'honneur d'appeler l'attention de l'Académie des sciences sur une maladie de la larve du hanneton, maladie déterminée par un champignon dont nous ne pouvions reconnaitre la nature. À cette époque, nous n'avions remarqué les effets du parasite que dans une prairie dépendant du domaine de La Pierre, à Céaucé (Orne) et, malgré nos recherches, il nous avait été impossible de trouver, dans les parcelles environnantes, des larves ayant succombé sous les attaques ce curieux champignon... Plus tard, en effet, nous avons constaté l'infestation, plus ou moins avancée, de champs reconnus autrefois comme ne renfermant que des vers sains. Aujourd'hui le parasite existe sur presque tout le territoire de Céaucé... En résumé, pendant que nous faisions en petit nos essais d'infestation, la nature opérait de son côté, mais bien plus efficacement que nous ne pouvions le faire, le vent se chargeant de transporter les spores dans toutes les directions. Toutefois, l'action de la nature, si rapide qu'elle soit, ne l'est pas assez pour nous débarrasser de ce terrible fléau, et nous devons l'aider dans son action : non pas seulement en transportant d'un terrain dans un autre des vers parasités, mais surtout en produisant artificiellement et en grandes quantités des spores du champignon destructeur, de façon à pouvoir les expédier dans toute la France... »

Identification

Fort de ses convictions, L. Le Moult expérimente ce champignon, baptisé dans un premier temps Isaria densa. En 1891, Edouard Prillieux, membre de l'Académie des sciences, fait une présentation à la Société centrale d'agriculture : « Nous avons établi [...] que le parasite du ver blanc qui a été signalé par M. Le Moult comme causant dans certaines localités de l'ouest de la France la destruction d'un nombre considérable de ces dangereux insectes est un Botrytis voisin du Botrytis bassiana, le parasite des vers à soie auquel est due la muscardine. Nous regardons le Botrytis du ver blanc comme une espèce distincte qui diffère du Botrytis bassiana par la forme de ses spores qui sont ovales, oblongues et non globuleuses. Il a été décrit par Saccardo comme variété tenella du Botrytis bassiana ; il doit à notre avis porter le nom spécifique de Botrytis tenella. » De nombreux essais sont réalisés pour évaluer les meilleures méthodes d'utilisation du champignon. L. Le Moult s'attache à développer une solution utilisable directement par les agriculteurs. Le champignon parasite est cultivé sur des petits morceaux de pomme de terre. Ceux-ci sont trempés dans un mélange de moût de cidre, d'eau et d'acide nitrique bouillant. La « semence » de Botrytis tenella est ensuite ajoutée à un bain froid de cette composition avec les morceaux de pomme de terre. Lorsque le mycélium du champignon apparaît, les bouts de pomme de terre sont placés dans le sol à protéger au cours du labour ou du hersage.

Solution biologique

Ce procédé est adopté par les agriculteurs, comme en témoigne ce cultivateur de Jumièges au comice agricole de Rouen le 30 avril 1897 : « J'ai l'honneur de vous relater une expérience que j'ai faite sur la destruction des mans(1) par l'Isaria ou Botrytis tenella, qui m'a pleinement réussi, et vous pouvez voir par les quelques échantillons que je vous soumets les effets de ce parasite dont l'application est devenue pratique par la méthode de Monsieur Le Moult qui consiste à pouvoir faire, soi-même, de grandes quantités de semence de ce parasite à l'aide de pommes de terre. » (Le Moult L., 1897). En revanche, l'utilisation de ce micro-organisme pathogène d'insectes est décriée par les producteurs de vers à soie en raison des risques de contamination de leurs élevages. En 1911, L. Le Moult, nommé à Nevers, installe un laboratoire de recherche sur les champignons parasites d'insectes. En 1923, la « lemoultine » est commercialisée pour lutter contre les larves de Melolontha melolontha et connaît un certain succès jusqu'en 1939. L. Le Moult, pionnier de la lutte biologique, décède en 1926. Ses travaux sont repris par ses deux filles. Cependant, faute de connaissances concernant la pathologie et l'épidémiologie du champignon, les résultats sont souvent aléatoires et la méthode ne résiste pas à l'arrivée des insecticides de synthèse dont l'efficacité était indépendante des conditions climatiques.

(1) Les larves du hanneton, connues aussi sous le nom de vers blancs ou de turcs.

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