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Retour d'expériences

Jean-Claude Streito traque les nouvelles espèces invasives

PAR CHANTAL URVOY - Phytoma - n°744 - mai 2021 - page 52

En France, on compte environ 2 000 espèces de ravageurs dont 233 introduites depuis 1950, soit plus de 10 % d'espèces invasives. Le bilan de celles arrivées de 2014 à 2020 a été publié en novembre dernier. Leur nombre et leur origine sont intimement liés au développement du commerce international. Le réchauffement climatique pourrait également s'inviter. Entretien avec Jean-Claude Streito, de l'Inrae, un des acteurs de ce suivi.
 Photo : M. Chartois - Inrae

Photo : M. Chartois - Inrae

Depuis 1987, un bilan des nouvelles espèces invasives pour la France est régulièrement mis à jour par l'Inrae et l'Anses par période : 1950-1999 puis 2000-2005 ; 2005-2014 et 2014-2020. Ce dernier, publié dans Phytoma n° 738 de novembre 2020, a recensé 52 espèces. La tâche étant immense, ces bilans se focalisent uniquement sur les insectes. « De plus, nous considérons comme invasives seulement les espèces d'origine extra-européenne, c'est-à-dire celles introduites par l'homme, précise Jean-Claude Streito de l'Inrae. En Europe, les insectes peuvent passer facilement d'un pays à l'autre sans l'aide de l'homme. » Dernier critère : avoir déjà réalisé au moins un cycle et être potentiellement nuisible agronomiquement.

Espèces asiatiques

De 1950 à 1999, le nombre de ravageurs invasifs introduit par an était en moyenne de 1,6. « Nous ne savons pas si l'augmentation s'est réalisée progressivement ou par pallier. » Il est passé au-delà de 7 à partir de 2000 en se stabilisant autour de 7,5. « La première évolution observée et marquante a suivi l'ouverture du commerce avec l'Asie vers l'an 2000. Le nombre de ravageurs invasifs a explosé et leur origine a complètement changé. » Avant, ils provenaient majoritairement d'Amérique du Nord. Depuis, l'Asie est devenue la première zone d'origine (pour 44 % d'entre eux sur 2014-2020). Suivent l'Amérique du Nord (23 %), l'Afrique (13 %) et l'Australie-Nouvelle-Zélande (8 %). « Leur origine et leur évolution correspondent à celles des échanges internationaux de la France. Mais pour qu'une espèce puisse s'adapter chez nous, il faut qu'elle vienne d'un climat tempéré. Les insectes d'Afrique s'adaptent plus difficilement. » Mais avec le réchauffement climatique, des espèces d'origine tropicale pourraient parvenir à s'installer. « Le cas des mouches des fruits interceptées dans le sud de la France près des ports et des aéroports nous préoccupe. Le risque qu'elles s'installent devient plus élevé. »

L'ornement plus touché

Les principales filières concernées sont les cultures ornementales (pour 50 % des ravageurs invasifs), les forêts (23 %), l'arboriculture (13 %), les cultures maraîchères (6 %) et les céréales (4 %). Pourquoi une telle prédominance des cultures ornementales ? « Après la Seconde Guerre mondiale, les échanges commerciaux concernaient les grandes cultures et les plants de vigne notamment. À la suite de problèmes sanitaires importants, des contrôles sanitaires ont été instaurés pour limiter les invasions. L'engouement pour les cultures ornementales est récent avec un développement rapide des échanges commerciaux qui sont moins structurés et moins contrôlés, surtout avec les achats en ligne des particuliers. » Autre raison : l'ornement compte une grande diversité d'espèces végétales et donc de ravageurs associés.

La forêt est aussi touchée malgré l'interdiction de l'import de plants forestiers. « Certaines espèces ornementales sont proches d'arbres forestiers. Les ravageurs passent alors des premières vers les seconds. Autre source potentielle : les bonsaïs, arbres forestiers miniatures dont il serait souhaitable d'interdire l'importation. »

Une vigilance de mise

L'agriculture, très touchée par le passé, l'est beaucoup moins. « Cependant, quelques ravageurs importants sont arrivés en France après l'an 2000 : Tuta absoluta (2008) pour la tomate, Drosophila suzukii (2010) pour les fruits, la punaise diabolique (2012)... Il faut donc être vigilant car même si le nombre d'espèces invasives sur les cultures principales est proportionnellement moins important, les conséquences économiques peuvent être très grandes. »

Peut-on éradiquer un ravageur déjà sur le territoire ? « Plus la détection est précoce, plus on a des chances d'y parvenir. Mais tout dépend de ses caractéristiques (capacité d'extension, de multiplication...). Pour le frelon asiatique, cela n'a pas été possible. Pour le capricorne asiatique Anoplophora chinensis, des foyers sont régulièrement découverts mais cet insecte se dissémine lentement et l'éradication a par exemple été obtenue à Soyons en 2003. »

Analyse de risque

Peut-on empêcher leur arrivée ? La CIPV(1), dont l'Europe est signataire, prend en compte ces invasions biologiques au niveau des échanges commerciaux. En France, la DGAL surveille aux points de contrôle réglementaires (ports, aéroports...) l'absence d'insectes de quarantaine (135 en Europe) pour une liste définie de végétaux. S'y ajoutent des contrôles sur le territoire. À chaque nouveau ravageur invasif détecté, l'Anses réalise une analyse de risque phytosanitaire (via des outils comme Climex, Maxent...) pour décider des mesures à prendre (éradication, contrôle). Elle sollicite alors des experts dans différentes structures. « Dernièrement, j'en ai réalisé une concernant la punaise Brachyplatys subaeneus observée en Guadeloupe. On regarde les filières d'introduction, les probabilités de son installation notamment par rapport au climat, si elle peut devenir envahissante, les dégâts potentiels... » Ces analyses sont également indispensables pour justifier l'instauration de barrières au niveau des échanges commerciaux afin d'éviter l'entrée d'une espèce indésirable. « Tant que le commerce sera libre avec des volumes échangés aussi importants avec l'Asie, il sera quasi impossible de réduire le nombre de nouveaux ravageurs invasifs. Une étude a montré que celui-ci est lié au PIB (Li et al., 2007) ! Les mesures prises par les États sont pensées de manière à limiter au maximum leurs conséquences agronomiques et environnementales. »

(1) Convention internationale pour la protection des végétaux.

BIO EXPRESS JEAN-CLAUDE STREITO

1992. Ingénieur agronome de l'Ensa Toulouse spécialisé en Protection des cultures (Haute-Garonne).

1993. Ingénieur du corps d'agronomie de l'Enssaa à Dijon (Côte-d'Or).

1995. Ingénieur au laboratoire national de la protection des végétaux de Lorraine et enseignant au Legta de Nancy (Meurthe-et-Moselle).

1997. Ingénieur, puis responsable de l'unité de mycologie agricole et forestière au SRPV de Lorraine.

2002. Ingénieur entomologiste au Laboratoire national de la protection des végétaux à Montpellier (Hérault).

2006. Responsable de la station du Laboratoire de la santé des végétaux de l'Anses, unité entomologie et plantes invasives à Montpellier.

2011. Ingénieur de recherche : diagnostic, détection, identification des bioagresseurs des plantes et des auxiliaires à l'Inrae de Montpellier.

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