Les abris de taille sont chers. Seuls ceux qui souffrent du dos sont prêts à se les offrir. Mais un nouveau venu pourrait bouleverser la donne car il annonce des prix inférieurs à ceux de la concurrence.
On ne saurait recenser toutes les tentatives, tant elles sont nombreuses; la plupart d'entre elles se sont soldées par des échecs commerciaux : les artisans qui se sont lancés dans la construction d'abris de taille ont dû se faire une raison. Sauf exception, les vignerons ne sont pas prêts à payer les prix qu'ils réclament. Beaucoup en ont tiré une conséquence définitive et ont arrêté; d'autres poursuivent malgré tout en se contentant de vendre quelques machines par an.L'un des pionniers de ce petit marché est la Maintenance clissonnaise située, comme son nom l'indique, à Clisson, au coeur du pays nantais. C'est sans doute pourquoi le vignoble du Muscadet est celui de France où l'on trouve la plus forte concentration de ces petites tentes mobiles qui offrent un siège à un ou deux tailleurs. Le Confortail, de la Maintenance clissonnaise, repose sur trois roues motrices. Il est fermé de Plexiglas. Une batterie actionne la centrale hydraulique qui entraîne les roues, dont l'une devient un frein lorsque l'abri stationne devant le cep que l'on taille. Cette batterie possède une autonomie d'une journée. Elle se recharge à l'aide d'un moteur diesel, installé à demeure et que l'on met en route lors de la pose du déjeuner. Le tailleur travaille ainsi en silence mais le fabricant a dû recourir à une cascade de moteurs (thermique, électrique puis hydraulique) pour lui offrir ce confort. Le prix en subit les conséquences : 82 000 F pour un équipement qui comprend un autoradio, un éclairage intérieur, un feu avant et une rampe de feux arrière pour le transport sur la route.Pour réduire le bruit, les établissements Robineau ont insonorisé le moteur thermique de leurs Kataï. Cette solution paraît a priori plus rationnelle. Malgré cela, elle n'est pas beaucoup plus économique. La société, basée à Villedieu-la-Blouère (Maine-et-Loire), propose deux abris : le Palace, qui offre deux places, et le Salon pour un seul tailleur. Le premier coûte 140 000 F HT et le second 57 000 F HT. Tous deux sont équipés de larges pneus à basse pression qui traversent sans s'embourber les terrains les plus détrempés. Aux dires du fabricant, dans le Palace, il règne un niveau de bruit comparable à celui d'une télé à mi-volume. Les utilisateurs que nous avons contactés n'en sont pas gênés. Les Kataï sont d'apparence très robuste. Le fabricant justifie ses prix par le choix de composants très fiables.Le Confortail et le Kitaï sont guidés par l'utilisateur et avancent par étapes. Ils s'arrêtent devant chaque pied de vigne. Le Scarabé, lui, est autoguidé et avance continuellement. Le tailleur prend place sur un siège suspendu à une chaîne. Il peut ainsi se balancer vers l'avant ou l'arrière et compenser le déplacement de son abri pour rester en face de son cep. Ce matériel vient de Saône-et-Loire. Il est fabriqué par René Grosjean, un artisan installé à Péronne.Deux modèles sont disponibles, l'un à quatre roues, l'autre à trois roues toutes motrices. René Grosjean conseille ce dernier pour les terrains accidentés et le vend au prix de 85 000 F HT. L'appareil à quatre roues, dont deux sont motrices, est destiné aux parcelles planes. Il vaut 70 000 F HT. Tous deux sont propulsés par un moteur thermique suivi d'une transmission hydraulique. Le niveau sonore annoncé est de 75 décibels, ce qui correspond au bruit qui règne dans la cabine d'un tracteur tournant à plein régime. A la différence des précédents, les Scarabé sont recouverts d'une bâche souple et non de panneaux rigides.Quelles que soient leurs qualités, ces abris sont chers. Bien trop chers aux yeux des employeurs et de ceux qui ne souffrent pas du dos. De ce fait, ils s'en passent. Les acheteurs se recrutent parmi les vignerons perclus de douleurs dorsales. Ils considèrent que le prix de ces équipements est celui de leur santé. Privés du soulagement qu'ils leur apportent, certains ne pourraient plus continuer à tailler leurs vignes. Bernard Gratas est dans ce cas. Ce vigneron, installé au Landreau dans le pays nantais, a fait deux saisons à l'abri de son Confortail. ' J'ai pu reprendre le taillage grâce à cela, explique-t-il. Depuis que je taille assis, ce n'est plus un problème. Je peux même rallonger mes journées sans fatigue du dos. ' Il s'est décidé à investir après avoir été arrêté pendant cinq mois à cause d'une hernie discale. Il a également essayé les sièges de taille mais ne les a pas retenus car, selon lui, ils causent ' une fatigue supplémentaire quand il faut passer d'un cep au suivant 'Tous les utilisateurs des abris apprécient le soulagement que la position assise leur apporte. Ils sont moins fatigués en fin de journée. De ce fait, ils terminent plus tard, à la lueur de l'éclairage embarqué. En hiver, ils taillent ainsi de plus grandes surfaces qu'au temps où ils allaient à pied. ' Quand il pleut, on n'a pas besoin d'imperméable. On est plus à l'aise pour travailler, ajoute Michel Petiteau, de Vallet (Loire-Atlantique). On ne rentre pas à 17 h le soir. On reste jusqu'à 18 h ou plus tard. On ne voit pas le temps passer. Et il y a un coffre à outils dans lequel on met du fil, un tendeur, tout ce qu'il faut pour faire des réparations. On ne retourne pas à la voiture. On ne perd pas de temps. ' En raison d'un problème de dos, Michel Petiteau a acheté un Kitaï avec lequel il a fait deux campagnes.Pour que ces matériels se diffusent davantage, il faudrait que leur prix baisse ou qu'un nouveau venu fasse une offre plus intéressante. C'est l'ambition de Michel Humeau, un artisan de Saint-Pierre-Montlimart, une commune du Maine-et-Loire, située à la limite de l'Anjou et du Muscadet. Avec sa Cabitaille disponible cet automne, il compte bien agrandir le marché. L'utilisateur n'aura pas à se soucier du guidage, ni de l'avancement. Il n'entendra que le bruit de son sécateur, du vent et des oiseaux : les moteurs sont électriques, alimentés par une batterie ayant au moins dix jours d'autonomie. Il prendra place sur un siège coulissant le long de deux rails. Dès qu'il aura fini de tailler un cep, il se propulsera d'une poussée de ses jambes vers l'avant pour arriver à hauteur du cep suivant. Il posera les pieds par terre. Son siège restera sur place. L'abri avancera, rapidement au départ, puis de plus en plus lentement afin de l'attendre. De ce fait, il ne s'arrêtera pas, même s'il faut consacrer un peu plus de temps à une souche.Le châssis de la Cabitaille est en aluminium. Il est couvert d'Acrolon, un matériau transparent et rigide. L'ensemble pèse ainsi moins de 500 kg et peut être transporté sans permis spécial. Il sera mis en vente à 35 000 F HT. ' L'an dernier, quatre vignerons ont testé l'abri, affirme Michel Humeau. Ils ont épluché tous les problèmes qu'il pouvait y avoir. Je pense qu'on est arrivé à quelque chose d'assez poussé. ' Si tel est le cas, gageons que le constructeur remplira son objectif de vendre vingt abris dès la première année, soit plus de la moitié du parc actuel.