Une fois de plus, le rivesaltes a donné des frayeurs aux vignerons du Roussillon. Le volume des achats et, surtout, le prix de ce vin doux naturel ont chuté. L'interprofession est remise en cause. Les coopérateurs ont pris des mesures de sauvetage.
Jusqu'où? La question est sur toutes les lèvres catalanes. Jusqu'où ira la dégringolade du rivesaltes? Jusqu'où grignotera-t-elle les revenus et le capital d'une grande partie des vignerons du Roussillon? Personne ne saurait y répondre. Sur place, on se borne à constater que le principal vin doux naturel poursuit une chute sans fin. Et l'on s'inquiète, et l'on s'énerve de cette glissade qui a commencé voilà plus de quinze ans. Rien n'y fait, rien n'arrête l'érosion. Surtout pas les mesures prises jusque-là au sein de l'interprofession.En février, elle annonçait une nouvelle campagne publicitaire, confiée au célèbre Jacques Séguéla. Elle devait durer trois ans. 15 millions de francs devaient être investis dès la première année, dont 7 millions de francs, au printemps, pour payer des annonces dans les médias. On allait vanter l'or et le soleil de ces produits d'AOC : d'appellation d'origine catalane.En fin d'année, il a fallu arrêter les frais. Le message n'est pas perçu. En dehors de la région, personne n'a saisi les slogans qui sont en catalan. Il faudra imaginer autre chose que des messages dans une langue peu connue. Et il faudra agir vite. Il y a cinq ans, au terme de la campagne 1992-1993, l'interprofession avait enregistré des contrats d'achat portant sur 325 000 hl. Ces contrats ne totalisaient plus que 138 000 hl au cours de la campagne 1997-1998. Le marché s'est réduit de moitié. Si le recul se poursuit à ce rythme, les négociants n'achèteront plus de rivesaltes dans peu de temps. Resteront alors dans les chais d'importants stocks dont on se demande bien comment ils pourront être apurés.Jusqu'à présent, on a remédié à la contraction du marché en tentant de limiter l'offre, d'abord par une diminution des rendements annuels, ensuite par un rallongement de la durée de l'élevage, enfin par des mises en réserve qualitatives. Fin 1997, les professionnels avaient proposé aux pouvoirs publics de bloquer 100 000 hl, au motif que les rivesaltes sont d'autant meilleurs lorsqu'ils sont plus vieux et qu'il fallait donc les laisser prendre de l'âge. Début 1998, la réponse est tombée : c'était non. Dans les différents ministères, personne ne fut dupe. La mesure visait d'abord à soulager les marchés.A la suite de ce refus, une seconde proposition, plus modeste, fut acceptée. En octobre, un arrêté interministériel autorisait le blocage, pendant cinq ans, de 12 % de la récolte 1997, soit 37 000 hl. Par ailleurs, les caves coopératives des Pyrénées-Orientales, qui assurent 80 % de la production, ont pris les choses en main. Elles ont décidé de bloquer un tiers des volumes cumulés des récoltes 1995 et 1996. Elles les libéreront par tranches égales : la première en 2001, la seconde en 2002 et la troisième en 2003. Elles se préparent à réduire l'offre pour les trois prochains millésimes : 1999, 2000 et 2001. ' Nous avons défini un volume à produire par unité de production. Il est en diminution par rapport au potentiel de chacun ', explique Louis Malet, le président de la fédération des caves coopératives du département. Elles réfléchissent à la mise en place d'une structure de regroupement de l'offre. ' Sur 45 caves coopératives, 36 suivent ces mesures. Elles représentent 90 % du potentiel de la coopération ', précise Louis Malet.Non contents de cela, les producteurs ont aussi secoué l'interprofession. Lors de l'assemblée générale du 11 décembre, ils ont refusé de voter le budget, demandant qu'au préalable ses missions soient redéfinies. D'un commun accord avec le collège des négociants, ils ont retenu la date du 26 février 1999 pour une nouvelle assemblée générale au cours de laquelle devraient être examinés, puis tranchés, les différents scénarios d'une recomposition. Fin décembre, une idée avait le vent en poupe. Elle consisterait à créer une interprofession regroupant tous les vins du Roussillon et qui serait chargée de leur promotion. Dans ce cas de figure, le Comité interprofessionnel des vins doux naturels n'aurait plus pour mission que d'assurer la transparence du marché de ces vins-là et de financer des recherches viticoles et oenologiques s'y rapportant.La perspective d'une restriction et d'un regroupement de l'offre semble avoir eu quelques effets. Alors qu'en septembre, les cours du rivesaltes avaient plongé à 1 009 F/hl, un mois plus tard, ils remontaient à 1 028 F/hl. Ce léger redressement est intervenu après une campagne de recul qui a vu les cours passer, en moyenne, de 1 132 F/hl en 1996-1997 à 1 078 F/hl en 1997-1998. Reste à savoir s'il se confirmera car les producteurs ont pris un pari risqué. Avec la réserve qualitative, ils misent sur un marché qui n'existe que dans des dimensions microscopiques. S'il y avait effectivement une demande importante pour de vieux rivesaltes, elle pourrait déjà être approvisionnée. A la fin du mois d'août 1998, les stocks s'élevaient à 660 000 hl, soit un peu moins que le triple d'une récolte annuelle. Les produits âgés sont là, mais pas les forces commerciales capables de les vendre à leur juste prix. Il reste bien du chemin à faire pour sortir le rivesaltes de son ghetto de vin cuit et le hisser vers le créneau des vins d'appellation à boire à l'apéritif qui, si l'on en juge par le sort du porto, se porte bien. Puissent les Catalans y parvenir!