Retour

imprimer l'article Imprimer

archiveXML - 1999

Le casse-tête du salaire différé

La vigne - n°97 - mars 1999 - page 0

Comme toutes les questions liées à la succession, celle du salaire différé a fait l'objet de l'analyse attentive des juges. Au moment du règlement, l'entente entre frères et soeurs est prépondérante.

Dans son numéro de décembre 1998, La Vigne a consacré un dossier à la transmission de l'exploitation viticole, en cas de décès de l'exploitant ou même de son vivant. Dans ce domaine, le salaire différé est un élément capital, dont les difficultés d'interprétation ont donné lieu à une abondante jurisprudence. Sur un point particulier, deux arrêts méritent réflexion. Au moment du décès de l'exploitant, qu'il soit propriétaire ou fermier, et même lors de la donation-partage, le descendant qui a travaillé sur l'exploitation familiale sans être rémunéré, a droit à la valeur des deux tiers de la somme représentant 2 080 fois le Smic en vigueur au jour du décès de l'exploitant ou au jour du règlement de la créance si celle-ci a lieu de son vivant. Ce droit est calculé par année de participation à partir de l'âge de dix-huit ans, sans que la durée ne puisse excéder dix ans. C'est au descendant qu'il appartient de prouver cette participation à l'exploitation et son absence de rémunération.Le montant du salaire différé n'a pas toujours été ainsi calculé. Avant la loi du 4 juillet 1980, il représentait la moitié du salaire annuel de l'ouvrier agricole logé et nourri. Personne ne contestera la modicité de cette rémunération en sorte que l'institution perdait de son attrait, d'où la nouvelle formulation aujourd'hui en vigueur et rappelée ci-dessus. Du même coup, une question a été posée : à partir de quelle date le nouveau taux sera-t-il appliqué? La Cour de cassation avait tranché : c'est le jour du décès de l'exploitant qui servira de repère. Mais qui est l'exploitant? Question épineuse. Si le père est mort avant le 4 juillet 1980 et la mère après, quel taux faut-il adopter? En tout cas, ce n'est pas obligatoirement le propriétaire de l'exploitation. Ainsi, au cas où le mari cultive les terres, propriété de sa femme, c'est le décès du père qui est à retenir. Cela se complique lorsque l'épouse participe à l'exploitation; les deux successions doivent-elles être retenues? Là encore, la difficulté existe si l'une est antérieure et l'autre postérieure au 4 juillet 1980. Pour l'heure, la jurisprudence paraît retenir la formulation de la loi en vigueur au premier décès.Ce versement est exonéré de tout prélèvement fiscal, soit au titre des droits de mutation, soit au titre de l'impôt sur le revenu, car il est jugé que le salaire différé ne représente pas un salaire au sens légal du terme. On doit ajouter que si le descendant était marié et que l'épouse a travaillé sur l'entreprise de son beau-père (ou de sa belle-mère), elle a droit aux mêmes avantages, si elle n'est pas divorcée à ses torts au moment de la liquidation de la créance.Ce schéma rappelé, une situation conflictuelle peut se produire au moment du décès de l'exploitant : qui doit supporter la paiement du salaire différé? La succession mais pas les héritiers, selon la loi. Principe facile à énoncer mais plus difficile à appliquer de leur vivant, le père et la mère ont procédé à la donation-partage de leurs biens entre leurs trois enfants, conservant l'usufruit leur vie durant. Aucun des enfants n'a fait état d'une créance de salaire différé. Dix ans après, le père exploitant décède. La liquidation de sa succession a lieu. Hormis le matériel agricole à bout de souffle et un compte bancaire de quelques milliers de francs, il ne reste rien à transmettre. C'est alors que le fils aîné, qui exploitait les terres avec son père, se souvient de ses années de jeunesse et prétend obtenir le règlement d'une créance de salaire différé qui, au jour de la mort du père, s'élève à près de 400 000 F. La succession en est débitrice. Avec quoi paiera-t-elle? L'actif s'élève au mieux à 50 000 F... Le bénéficiaire entend être réglé par son frère et sa soeur. Pas question, lui répondront-ils : d'abord parce qu'il a renoncé au salaire différé au moment de la donation-partage et, de toute manière, la succession doit faire face à la dette, et non pas les autres héritiers.Par deux arrêts portant cassation de cours d'appel, la solution à ce dilemme sera apportée : on ne peut pas, par avance, renoncer au salaire différé, surtout qu'il ne s'agit que d'une absence de réclamation. L'actif successoral qui devait répondre de la créance a été distribué lors de la donation-partage; il est entre les mains des héritiers; par suite, avec les biens reçus lors de la donation, ils doivent faire face à la réclamation du salaire différé.Il faut reconnaître que lors de successions portant sur un patrimoine modeste, la créance de salaire différé absorbe souvent la presque totalité de l'actif. Le législateur en 1999 a pris conscience du problème. La loi d'orientation a organisé un salaire différé d'un montant de trois fois le Smic annuel en vigueur au jour du décès, au profit du conjoint survivant de l'exploitant agricole ou de l'associé d'une société d'exploitation agricole, bien entendu sous conditions de participation à l'exploitation et d'absence de rémunération. Mais cette créance ne pourra excéder 25 % de l'actif successoral. Il est intéressant de noter que malgré le souhait d'un député, le système n'a pas été étendu au conjoint divorcé.(Références : Cour de cassation du 16 juillet 1997, BC 97-I-n° 254; 6 avril 1994, BC 94-I-n° 148)

Cet article fait partie du dossier

Consultez les autres articles du dossier :

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :