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GÉRER - LA CHRONIQUE JURIDIQUE

Le salaire différé est souvent source de querelles d'héritiers

Jacques Lachaud - La vigne - n°245 - septembre 2012 - page 70

Les parents peuvent verser un salaire différé à un enfant de leur vivant. Il faut alors un acte qui prouve la volonté des deux parties. Comme le montre un jugement récent, le seul fait d'en parler dans son testament ne suffit pas.

Créé par un décret du 29 juillet 1939, le salaire différé se définit comme « un salaire fictif versé à l'enfant d'un exploitant agricole qui a travaillé à l'exploitation sans être rémunéré. Il vaut indemnisation lors du décès de l'ascendant ». Pendant longtemps, ce salaire s'est aligné sur celui des ouvriers agricoles et des servantes de ferme.

Une loi du 4 juillet 1980 a rajeuni le dispositif. Désormais, « le taux annuel du salaire sera égal, pour chacune des années de participation, à la valeur des deux tiers de la somme correspondant à 2 080 fois le Smic », indique le code rural (article L 321-13). Précisons que les sommes ainsi attribuées sont exemptes de l'impôt sur le revenu (article 81 du CGI).

Frères et sœurs mécontents…

Le salaire différé constitue une dette à valoir sur la succession, hors part du bénéficiaire. Souvent, les autres frères et sœurs s'y opposent car ils savent que si la succession ne dispose pas de fonds suffisants pour payer le salaire différé, on réduira leur part d'héritage pour l'alimenter. La plupart du temps, pour légitimer leur opposition, ils mettent en avant que le candidat bénéficiaire au salaire différé a perçu des avantages financiers du vivant du père de famille.

Deux arrêts récents de la Cour de cassation ont eu à juger de ce problème. Le premier a été rendu le 14 avril 2010. Dans cette affaire, les parents exploitants avaient convenu avec Rémi, leur fils habitué à travailler sur l'exploitation, un acte notarié qui prévoyait le versement d'une somme conséquente (250 000 francs) correspondant à la créance de salaire différé. L'acte précisait que ce versement avait un caractère forfaitaire et définitif, contractuellement réglé. Dans son testament, le père faisait allusion à cet accord. Il contestait explicitement à Rémi la possibilité de réclamer après sa mort un salaire différé du montant légal.

Sans tenir compte des dernières volontés paternelles, Rémi engagea une procédure. La cour d'appel, approuvée par la Cour de cassation, lui a rétorqué qu'il n'apportait pas la preuve que la somme encaissée était inférieure au montant du salaire différé légal. Rémi a donc perdu son procès.

Plus récemment le 29 juin 2011, la Cour de cassation a eu à juger d'une autre affaire. Après la mort de son père, Félix réclame lui aussi un salaire différé. Il affirme y avoir droit car, de 18 à 28 ans, il a participé à l'exploitation et il le prouve. Reste que du vivant de son père, Félix a lui aussi perçu, indirectement, une somme importante. Ses parents lui ont vendu l'exploitation agricole familiale pour 250 000 francs, un prix bien inférieur à celui du marché. Dans cette affaire, le père de Félix avait rédigé un testament où il écrivait qu'en raison du faible prix de vente, Félix devait considérer qu'il avait touché son salaire différé. Qu'importe le testament ! Félix réclame lui aussi le salaire différé légal. Après expertise, les juges constatent que l'exploitation vendue 250 000 francs valait 480 000 francs. Ils en concluent que Félix a touché son salaire différé. Cet arrêt a été cassé par la Cour de cassation. Les juges suprêmes ont estimé qu'il n'y avait pas dans la vente la preuve d'une commune intention des deux parties de procéder au paiement du salaire différé. Félix était donc en droit de le réclamer.

Dans ce dossier, les autres frères et sœurs, parties au procès, ont été mal conseillés : au lieu de s'opposer au salaire différé réclamé par Félix, ils auraient dû soutenir que la vente à son profit avait été une donation déguisée portant atteinte à la réserve héréditaire.

Cet article fait partie du dossier

Consultez les autres articles du dossier :

RÉFÉRENCE :

Cour de cassation du 29 juin 2011, n° 10-11275.

Cour de cassation du 14 avril 2010, n° 09-12209.

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