Au travers de filières spécifiques, la viticulture raisonnée trouve aujourd'hui un débouché en GMS (grande et moyenne surfaces). Le courant est amorcé mais reste timide.
Qu'elle procède d'une démarche individuelle ou de groupe, la viticulture raisonnée intéresse de plus en plus les vignerons... et la grande distribution. C'est une nouveauté.' Faire le lien entre le travail des vignerons et la partie commerciale est ce qu'il y a de plus difficile ', déclare Céline Brassac, technicienne à la chambre d'agriculture de l'Aude. Il y a six ans, dans ce département, une première expérience se soldait par un échec. Cela n'empêche pas le dossier de resurgir avec, semble-t-il, une stratégie plus affirmée.' Depuis les années 1992- 1993, l'environnement a pris de plus en plus de place et je pense que les caves ont pris conscience de la nécessité d'assurer la traçabilité du produit jusque dans le vignoble ', ajoute-t-elle. Quarante-trois vignerons se forment actuellement aux techniques de la viticulture raisonnée. Mieux, au niveau régional, un cahier des charges en conduite raisonnée est établi sur la base des normes de l'Office international de lutte biologique (OILB). Il concerne toutes les étapes de la plantation à la vendange et intégrera prochainement un volet 'vinification'. ' Lorsque celui-ci sera clos, nous travaillerons à la mise en place d'une marque avec, pour objectif, de valoriser le produit, en particulier auprès des grandes surfaces ', précise Christelle Chevrier, du CRA Languedoc-Roussillon. La démarche est loin d'aboutir mais la stratégie est affirmée.C'est aussi de cette manière qu'au sein du réseau Farre (1), on analyse les adhésions d'Auchan et Casino, effectives depuis début 1999. ' Leur objectif est de parvenir à une communication unique autour du concept d'agriculture raisonnée ', précise Gisèle Perrot, animatrice du réseau. Chez Auchan, cette volonté se traduit par la mise en place de ' filières agriculture raisonnée Auchan '. Les documents de communication précisent que ' par ce sigle, Auchan s'engage sur des produits de grande qualité, contrôlés du champ à l'assiette et respectueux de l'environnement. Le tout en partenariat avec la viticulture '. ' Pour l'instant, une telle filière n'existe pas en viticulture, ce qui ne veut pas dire que nous n'en ferons pas ', nuance Perrine Castello, à la direction de la communication.Dans le Beaujolais, Bernard Matthieu confirme l'intention des vignerons, membres de l'association Terra Viti, de rencontrer en 1999 les responsables des produits liquides de plusieurs enseignes (Intermarché, Unico, Auchan...). Leur objectif : communiquer autour de la marque Terra Viti qu'ils ont créée l'an dernier. Les membres de l'association ont contacté des marchands de vins. Quatre d'entre eux ont acheté la marque des producteurs, moyennant 150 F la pièce de 215 l (70 c/l). Fin mars 1999, 1 500 hl de vins Terra Viti étaient enlevés chez les vingt producteurs agréés, soit un cinquième du potentiel. A cela, il faut ajouter les ventes directes. Optimiste, Bernard Matthieu observe : ' Il y a encore un an, on ne parlait pas autant de la protection intégrée en viticulture. C'est là une réelle évolution et l'accès aux GMS offre un débouché, assorti d'un prix, et constitue un facteur de motivation quant à la qualité. 'Serge Bonnigal a le même discours. Il explique aux quarante-deux adhérents du syndicat des vignerons de l'AOC Touraine-Amboise la nécessité de s'engager dans le contrat proposé par Carrefour. L'histoire commerciale qui lie Carrefour et l'AOC Touraine-Amboise démarre en 1995 et s'articule autour des établissements Chaînier, négociants à Amboise. ' Jusque-là, avec une production de 8 000 hl, nous n'avions aucun débouché sur le négoce, explique Serge Bonnigal. Aujourd'hui, nous sommes à 12 500 hl avec deux marchés, les caves particulières et Carrefour. 'La première année, le distributeur achète 350 hl. Quatre ans plus tard, sa commande sur la récolte 1998 s'élève à 4 000 hl. Mais surtout, Carrefour propose aux vignerons de Touraine-Amboise de signer un contrat d'achat ' avec un préavis de cinq ans ', à condition qu'ils respectent un cahier des charges de protection raisonnée.Au travers de ses 'filières qualité Carrefour', le distributeur a déjà initié ce type de démarche (viande bovine, produits frais...), mais en viticulture, il s'agit d'une première. Les vignerons d'Amboise ont accepté ce défi. ' Car Carrefour est en avance sur ce dossier de la protection raisonnée, précise Serge Bonnigal. De plus, ce contrat peut nous aider à aller plus loin dans la qualité et à défendre notre demande d'une AOC communale. 'En pratique, un comité de pilotage vient d'être créé en partenariat avec la chambre d'agriculture, le lycée viticole d'Amboise et les distributeurs locaux. Une liste de produits phytosanitaires autorisés a été établie et chaque exploitation a fait l'objet d'un audit. A la mi-mai, les différentes filières retenues par Carrefour pour faire de la lutte raisonnée se sont réunies pour préciser le contenu de la ' charte qualité Carrefour '. Cette charte scelle le sort de chacun et sa signature officielle est prévue pour septembre prochain à Amboise.(1) Forum de l'agriculture raisonnée respectueuse de l'environnement.