Âgé de 72 ans, Pierre Guillemot, vigneron en Côte-d'Or, a vécu les grandes modifications de la viticulture, de l'oenologie et de la commercialisation.
J'ai fait ma première déclaration de récolte en 1946 pour 7 ouvrées de vignes (environ 30 ares) que j'avais en métayage, se souvient Pierre Guillemot. Issu d'une famille de vignerons du côté maternel et d'une lignée de négociants du côté paternel, la voie viticole était toute tracée. Les vignes de la famille ayant été vendues pendant la crise de 1934, Pierre Guillemot est reparti pratiquement de zéro avec, comme bagages, une charrue et quelques cuves...Deux ans après son installation, en 1948, il trouve un domaine de 3 ha en métayage qu'il occupe avec sa soeur. 'Tout le monde pensait que je n'allais pas y arriver car, à l'époque, 3 ha, c'était beaucoup', raconte le vigneron. 'Pour sulfater et labourer, nous travaillions avec un cheval. La sulfateuse, tirée par le cheval, était équipée d'une rampe et d'un moteur à essence. Cela prenait beaucoup de temps mais c'était déjà un gros progrès par rapport à la période où l'on traitait à dos et piochait au large. Posséder un animal obligeait tout de même à faire du foin, de la paille et du grain. Vers la fin des années cinquante, la vigne a commencé à rapporter plus que le temps qu'on y passait. Il valait donc mieux faire une vigne en plus et acheter la litière et l'alimentation du cheval.'Puis, Pierre Guillemot a commencé à replanter des terres à vignes qui étaient en champ. 'Il fallait déjà faire une demande d'autorisation à l'Inao mais on était sûr de l'obtenir. De toutes façons, on ne plantait que ce qu'on pouvait faire avec son cheval.'Aujourd'hui, le domaine fait 8 ha, 'une surface raisonnable permettant de consacrer du temps à la qualité'. En 1952, Pierre Guillemot doit replanter 700 pieds sur une parcelle. Il les commande à un pépiniériste et obtient des plants très productifs. Peu satisfait du résultat, il arrache ces plants et fait une sélection de greffons dans les vignobles environnants. 'A mes débuts, j'avais remarqué que le raisin de ma vigne en métayage donnait de petits rendements et faisait 2° de plus que celui de l'exploitation qui m'employait. Je voulais donc des plants pas trop productifs, qui mûrissaient bien avec des raisins étalés. A ce moment-là, la tendance était plutôt à faire du jus.' La notion de qualité a été transmise à Pierre Guillemot par son père : en bon négociant, il avait l'habitude de goûter et de juger les vins. 'Mon père m'a appris à connaître et à aimer le vin. Tous les quinze jours, nous dégustions. Si j'aimais un vin, je devais dire pourquoi, de même si je n'aimais pas. Du coup, cela m'a rendu exigeant!'En 1960, Pierre Guillemot possède son premier tracteur et se sépare de son cheval avec un pincement au coeur, mais sans regret car on ne refuse pas le progrès. 'Le travail est devenu moins pénible physiquement mais on en fait beaucoup plus, on n'a jamais le temps! Etre vigneron aujourd'hui, ce n'est plus du tout le même métier qu'à mes débuts. Certaines années', se souvient le vigneron, 'la récolte était faible et de qualité variable, soit à cause des gelées de printemps qui étaient plus fréquentes car il y avait encore beaucoup de champs autour des vignes, soit en raison des maladies ou des vers. Comme seules armes, nous avions le cuivre et le soufre. Les nouveaux produits de traitement nous ont permis de faire du meilleur vin et de produire tous les ans.'A la cave aussi, les progrès sont notables. Pierre Guillemot apprécie les pressoirs actuels qui permettent 'd'aller plus vite et de faire meilleur', lui qui a démarré avec un pressoir écureuil horizontal, avec une roue à une extrémité. 'Mais ce qui a apporté le plus', ajoute-t-il, 'c'est le matériel de maîtrise des températures pour chauffer ou refroidir. En 1947, les raisins étaient à peu près les mêmes que cette année en concentration, mais la moitié avait fini en vinaigrerie car nous n'avions aucun moyen de refroidir. En 1999, celui qui a l'équipement de froid devrait faire très bon'. En terme de clarification et de stabilisation, les évolutions se sont faites progressivement. Pierre Guillemot se contentait d'un collage au blanc d'oeuf. 'Un jour, je suis allé chez un négociant auquel j'avais vendu du vin et qui, lui, filtrait. J'ai trouvé le vin bien meilleur! Il m'a prêté son filtre et j'ai fait un essai dans ma cave : le vin filtré est également ressorti meilleur. Je m'y suis donc mis avec les filtres à plaque d'amiante. Aujourd'hui, nous utilisons le kieselgurh.' Concernant l'évolution de la qualité moyenne des vins produits, Pierre Guillemot, qui a aussi été président du syndicat de Savigny pendant quinze ans, estime que la mise en place des agréments avec dégustations obligatoires et analyses a fait avancer la viticulture. Elle a permis à chaque vigneron de se situer par rapport à ses confrères. 'Quand on goûte un vin piqué tous les jours, on finit par le trouver bon. C'était donc important de pouvoir sortir et se mesurer aux autres.'En 1981, avec l'arrivée du fils sur l'exploitation, la vente en bouteilles s'est considérablement développée et l'homme qui 'n'aimait pas le monde' s'est pris finalement au jeu de la vente aux particuliers, allant jusqu'à apprécier de rencontrer des gens d'horizons divers. Le passage de relais entre les deux générations s'est fait sans heurts. 'J'ai laissé mon fils prendre ses responsabilités', explique le vigneron, qui n'en a pas moins continué de donner son avis!'Un jour, par exemple, mon fils a acheté un égrappoir. Je n'étais pas d'accord, puis je me suis rendu compte qu'il avait raison et que c'était meilleur. Je trouve idiot de se vanter de faire les choses à l'ancienne, comme les vieux. Autrefois, les gens portaient des sabots car ils ne connaissaient pas les bottes. Le jour où il y a eu les bottes, tout le monde en a eu et on ne reviendrait pas en arrière. Il faut prendre tout ce qui peut apporter un progrès, au niveau notamment du matériel mais en l'adaptant à ses besoins pour ne pas aller vers la standardisation. Quand je me souviens des vendanges d'autrefois où nous passions les journées aux vignes et la nuit en cuverie, je n'ai vraiment aucun regret.'