Moyennant de lourds investissements, le couple Quenin a révélé le potentiel du château de Pressac et fortement relevé le prix de son vin.
'En 1997, nous avons acheté un 'bel endormi', le château de Pressac ', explique Jean-François Quenin. Pour le réveiller, il a ' poussé à fond les manettes de la qualité ' avec sa femme, Dominique. Tous deux ont d'autant moins hésité à travailler dans les règles de l'art qu'ils n'en connaissaient pas d'autres. Ils ont appris la viticulture à l'école ou auprès de techniciens. Il était directeur de Darty, elle, conseillère juridique, mais ils avaient ' attrapé le virus '.
En 1994, ils voulaient faire un placement. Un cousin leur conseille d'acheter de la vigne. Ce sera le château Pavillon Bel Air : 7 ha à Lalande-de-Pomerol. Pendant deux ans, Dominique le dirige depuis Paris où le couple réside. Les voilà piqués. Fin 1996, ils prospectent le vignoble bordelais pour s'y fixer. Pressac est le premier château qu'ils visitent : un saint-émilion grand cru situé sur Saint-Etienne-de-Lisse. La taille de la demeure ' nous a fait peur ', se souvient Jean-François Quenin. Ils hésitent, mais ne trouveront rien de mieux. Début 1997, ils signent. Ils s'installent dans la belle bâtisse entourée de 40 ha de terre, dont 25 ha plantés de vigne. A l'usage, ils verront qu'elle est à la dimension du rang qu'ils veulent tenir. Durant le dernier salon Vinitech, elle a accueilli des acheteurs venant d'Europe, des Etats-Unis et d'Asie. ' Un Américain qui passe une nuit ici s'en souviendra, assure Jean-François. Ce n'est pas comme si vous l'aviez reçu sur un stand. '
Dès leur arrivée, les nouveaux propriétaires s'entourent d'un conseiller viticole et d'un oenologue. Ils embauchent un chef de culture. Les voilà prêts ' à pousser à fond les manettes '.
Ils complantent les vieilles parcelles qui ne sont pas trop mitées. Ils arrachent et replantent les autres : 5 ha en quatre ans. Ils relèvent tous les palissages. Pour cela, ils arrachent les piquets et les remplacent par de plus hauts. Ils gagnent ainsi 50 cm de feuillage, ce qui leur coûte 30 000 à 40 000 F/ha, main-d'oeuvre comprise. Dans le même temps, ils introduisent l'ébourgeonnage, l'échardage (suppression des entre-coeurs), l'éclaircissage et l'effeuillage sur tout le vignoble. ' L'idée est de faire monter la totalité de la propriété et non de sortir une microcuvée. ' Les rendements tombent de 50 à 35 hl/ha et les frais de culture doublent.
Et le ' bel endormi ' s'éveille. ' Le vrai trésor de l'exploitation, c'est son terroir. Il est bien meilleur que nous ne le pensions. ' Cette heureuse découverte pousse les Quenin à investir plus que prévu. Ils déboisent les coteaux envahis par la friche. Ils les font tailler en terrasses. Ils y gagnent 5 ha. En 1999, ils rénovent leur chai. Ils l'équipent d'un pigeur pour obtenir une extraction plus douce et plus complète de la couleur et des tanins. Ils testent puis adoptent l'osmose inverse qui approfondit encore la couleur. Ils augmentent leur parc de barriques pour y élever toute leur récolte durant un an. Tous postes confondus, ils déboursent 180 000 à 200 000 F/ha en production.
Cette viticulture dépensière a donné un millésime 2000 sombre, puissant, fruité, frais et très long. L'élevage en fûts l'a enrichi de notes de torréfaction sans lui asséner un goût de planche. Sous l'étiquette château de Pressac, il est vendu 72 F HT/bouteille en primeur. C'est le premier vin. ' Il arrivera chez le particulier entre 125 et 130 F ', pronostique Jean-François Quenin. En 1997, cette clientèle ne payait que 60 F/bouteille. La production était vendue sous une seule étiquette par un négociant qui l'embouteillait à la propriété.
Jean-François Quenin a mis fin à ce système. Il a opté pour celui des crus classés avec ses ventes en primeur et ses déclinaisons d'étiquettes. Il y a deux ans, il a failli le payer cher. Une fois la malo terminée, il sulfita le millésime 1998 en oubliant qu'il ne combinait pas. Quand les acheteurs sont venus le déguster, il titrait 40 mg/l de SO 2 libre. Il était fermé. La plupart l'ont mal jugé. Quelques-uns se sont laissés convaincre qu'il ne souffrait que d'un défaut passager. Lorsque les bouteilles leur furent livrées, ils ont bu un vin meilleur qu'ils ne l'attendaient. Malgré cette frayeur, notre vigneron continue de maintenir des doses élevées de SO 2 libre en cours d'élevage afin d'interdire tout développement microbien.
Après un an en barriques, il assemble trois vins. Il vend le second à des cavistes et des restaurateurs. Un négociant place le troisième en grande surface à 60 F/bouteille, un prix inférieur au coût de revient. ' Mais cela me permet de vendre le deuxième vin plus cher. Il faut raisonner sur la valorisation de l'ensemble de la récolte. Au niveau de prix atteint par le millésime 2000, la rentabilité de l'exploitation est assurée. ' Sans la notoriété de Saint-Emilion, cette réussite n'aurait pas été aussi rapide. ' Vos efforts se vendent d'autant mieux que vous appartenez à une appellation connue ', concède Jean-François. Il s'est aussi appuyé sur le négoce dont c'est le rôle ' de promouvoir les vins auxquels il croit '. En revanche, il a négligé la presse. ' Il fallait d'abord faire le travail. ' Maintenant, il envisage de participer au battage médiatique. L'histoire récente et ancienne du château a de quoi l'alimenter. Pressac a bel et bien fini de dormir.