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DOSSIER - LES NÉOVIGNERONS : Audacieux et inventifs

2. Ils se sont fondus dans le décor « Je suis venu avec une vision entrepreneuriale des choses »

Colette Goinère - La vigne - n°247 - novembre 2012 - page 50

Bousculant les habitudes, Jean-François Quenin a fait entrer son château au sommet des Grands crus classés de Saint-Émilion. À une époque, certains ont crié au scandale devant ses chantiers pharaoniques. Malgré cela, il est devenu président du syndicat de l'appellation.
JEAN-FRANÇOIS QUENIN possède le château de Pressac, dans lequel les Anglais ont signé leur reddition mettant fin à la guerre de Cent Ans. © P. ROY

JEAN-FRANÇOIS QUENIN possède le château de Pressac, dans lequel les Anglais ont signé leur reddition mettant fin à la guerre de Cent Ans. © P. ROY

Son entrée dans le paysage viticole a été discrète. En 1994, Jean-François Quenin, alors cadre supérieur au sein du groupe Darty, achète le château Bel Air, 7 ha en AOC Lalande-de-Pomerol. Lyonnais pur jus, il aurait bien investi du côté de la côte Rôtie. Mais son épouse, Dominique, originaire du Libournais, suggère le Bordelais. L'affaire se fait. Dominique passe son bac agricole. Deux jours par semaine, elle quitte Paris pour s'occuper de la propriété. Elle a du pain sur la planche. Il faut arracher des vignes mal tenues et investir dans le chai.

« J'ai été surpris de voir que, de l'œnologue au marchand de tables de tri ou d'étiquettes, nous étions entourés de professionnels qui s'y connaissaient vraiment », indique Jean-François. Des professionnels qui, au passage, ont flairé le béotien. « Pour les premiers traitements de la vigne, je me souviens qu'on nous a fait payer le maximum. »

Expert-comptable, diplômé d'HEC, Jean-François Quenin est entré en 1980 comme directeur financier chez Darty Rhône-Alpes. Après un passage par Paris, il se retrouve à la tête de 25 magasins Darty de l'ouest et du centre de la France. En 1996, à 49 ans, la passion pour son métier s'émousse. Il songe à quitter le groupe et à racheter une entreprise. Encore une fois, c'est son épouse qui lui conseille d'investir dans un secteur où il a déjà posé un pied : la vigne.

« Du travail d'orfèvre »

Il quitte Darty et part à la recherche d'une propriété. Son choix se portera sur le château de Pressac, en appellation Saint-Émilion, sur la commune de Saint-Étienne-de-Lisse (Gironde). En avril 1997, pour 6 millions d'euros, lui et sa femme deviennent propriétaires de ce manoir où les Anglais ont signé leur reddition en 1 453, mettant fin à la guerre de Cent Ans.

En attendant, le château et les 36 ha de vignes ont grand besoin d'être restaurés. La première année, Jean-François Quenin fait construire un hangar pour stocker le matériel. L'année suivante, il arrache et replante 4 ha de vignes. Puis il rénove le chai et le dote de cuves béton ainsi que d'un système de pigeage et de thermorégulation. En 2000, il entreprend un chantier qui durera cinq ans. « On s'est attaqué à 8 ha de coteaux, cultivés autrefois avec des bœufs. On a arraché des bois à coup de bulldozers. Les parcelles étaient très accidentées. C'était un chantier d'autoroute », se souvient-il. Les voisins crient au scandale contre ce « fou qui massacre les bois et casse tout ». L'affaire remonte aux oreilles de l'Inao. Jean-François Quenin n'obtiendra de droits de plantation qu'à condition d'aménager le coteau en terrasses, pour éviter l'érosion. Coût du chantier : un million d'euros.

Dans le landerneau, on ne se prive pas de répéter qu'il jette l'argent par les fenêtres. Mais il en faudrait plus pour l'ébranler. « Je ne les ai pas écoutés. Au final, j'ai gagné 8 ha. J'aurais dépensé beaucoup plus si j'avais dû les acheter. »

En 2003, il vend le château Bel Air et réinjecte la somme dans le château de Pressac. Les investissements se poursuivent pour faire « du travail d'orfèvre. Nous raisonnons au rang de vigne et nous adaptons la vinification aux raisins de chaque parcelle », indique-t-il.

En 2008, il se retrouve à la présidence du syndicat de Saint-Émilion. Première décision : il se sépare de la directrice, en place depuis dix-huit ans. Il endosse le costume en attendant de trouver un autre responsable. Dans le même temps, il lance une réflexion sur l'appellation Saint-Émilion Grand cru. « La qualité des vins n'est pas toujours au niveau de ce que le consommateur est en droit d'attendre. Un saint-émilion grand cru est cinq fois plus cher qu'un bordeaux. Ça donne des responsabilités vis-à-vis du consommateur », lâche-t-il.

Il ouvre la Jurade aux négociants

En janvier prochain, la commission du syndicat qui a planché sur le sujet fera des propositions parmi lesquelles le renforcement des contrôles. À terme, tous les lots seront inspectés. Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Certains viticulteurs dénoncent déjà un système « répressif ».

La communication du syndicat bouge elle aussi. « Nous avons la notoriété, l'architecture et les terroirs. C'est un joyau qu'il faut faire fructifier », répète-t-il. Le site internet de l'appellation a été revisité pour « ne plus ressembler au site du ministère des Finances ». Il ouvre la Jurade, la confrérie de Saint-Émilion, « club fermé et élitiste », aux négociants. Et le voilà accusé de faire rentrer « les marchands du temple ». « Saint-Émilion va perdre son âme ! » lui serine-t-on. Pas de quoi le perturber.

En septembre dernier, le château Pressac est entré dans le palmarès très envié des Grands crus classés de Saint-Émilion. « C'est maintenant que la propriété décolle », confie Jean François Quenin.

Et si c'était à refaire ?

«Le château de Pressac est exceptionnel par sa taille et son histoire. Nous y avons travaillé d'arrache-pied et investi pendant quinze ans, mais ce n'est que depuis un an que j'équilibre mes comptes.

Aujourd'hui, le château fait partie des Grands crus classés. Si je devais recommencer, je referai le même chemin. Le métier de viticulteur permet d'aller de la conception du produit à sa commercialisation. Peu de métiers permettent cela. Quand j'ai acheté le château de Pressac, je pensais acquérir une entreprise. Mais ce n'est pas que cela. J'ai pris racine dans ce vignoble.

Je me suis accroché à cette terre. C'est un attachement viscéral. Si je devais vendre ce château, je ne passerais plus jamais devant. »

Cet article fait partie du dossier LES NÉOVIGNERONS : Audacieux et inventifs

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DATES CLÉS

1994 : achat du château Pavillon Bel Air, 7 ha en AOC Lalande-de-Pomerol.

1996 : Jean-François Quenin quitte le groupe Darty.

Avril 1997 : achat du château de Pressac, 41 ha dont 36 ha de vignes.

2003 : vente du château Pavillon Bel Air.

L'essentiel de l'offre

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