Dans le satisfecit général lié au passage à l'euro, l'avis des vignerons ne dénote pas. La plupart n'ont pas changé leurs habitudes concernant leurs augmentations de tarifs.
Les appréhensions liées à la conversion des prix en euros et à la réorganisation des tarifs se sont vite estompées. Les relations avec les clients professionnels n'ont posé aucun problème, ces acheteurs étant eux-mêmes confrontés à la transformation de leurs propres tarifs. Pour les particuliers, vis-à-vis desquels les craintes étaient les plus vives, leurs capacités d'adaptation ont peut-être été sous-estimées. Actuellement, les tarifs peuvent être classés en deux piles bien distinctes, selon que le vigneron procède à son renouvellement au printemps ou à l'automne. Première grande différence entre ces deux catégories, les arrondis.
Chez les producteurs qui ont changé leurs tarifs en octobre 2001 ou en janvier 2002, les centimes d'euros se font rares. Ces vignerons ont généralement opté pour un arrondi à un chiffre après la virgule ; ceux qui ont laissé deux chiffres après la virgule ont arrondi à 0,05 près. Les 5,42 euros (35,55 F) ou les 2,68 euros (17,58 F) ont donc rarement droit de cité. L'élimination progressive des centimes, qui devait s'opérer tranquillement dans les mois ou les années à venir, est ainsi déjà effective en viticulture. ' Il est plus simple pour les vignerons d'éliminer les centimes que pour les boulangers, où l'arrondi sur une baguette de pain est moins facile à appliquer , précise un vigneron bordelais. Sur une bouteille à 6 euros (39,36 F), le consommateur n'est pas à 0,03 euros (0,20 F) près. '
L'arrondi s'est généralement effectué à la décimale la plus proche, qu'elle soit supérieure ou inférieure. De nombreux vignerons ont veillé à ne pas arrondir systématiquement à la décimale supérieure, par respect pour leur client. ' Les consommateurs ont été attentifs à ce que la conversion s'établisse de façon équitable, témoigne Michel Chignard, vigneron à Fleurie (Beaujolais). Arrondir systématiquement à la décimale supérieure aurait fait mauvais effet. De même, je pense qu'il n'était pas opportun d'augmenter ses prix pendant cette période. '
Cette analyse sur la hausse des tarifs n'a pas été partagée par tous. ' Nous avons longtemps hésité à augmenter nos prix au mois d'octobre 2001, confie un vigneron champenois. Nous le faisons tous les deux ans, et la concordance avec le passage à l'euro a été involontaire. Nous avons craint un mauvais accueil des clients, que certains fassent l'amalgame entre la mise en place de l'euro et le nouveau tarif. En fait, cela s'est bien passé. 95 % de nos acheteurs ont compris que la hausse de 2 à 3 % n'est pas liée à l'euro et qu'il est légitime de réajuster ses prix tous les deux ans.
Nous avons bien eu quelques remarques, mais c'est le cas lors de chaque augmentation, avec ou sans euro. ' Plus que la crainte d'une mauvaise interprétation des clients, c'est surtout la conjoncture économique tendue qui semble avoir limité les velléités de hausse.
Autre point qui sépare les tarifs établis en octobre 2001 ou en mars 2002, c'est la présence ou non des tarifs écrits en francs. Les vignerons qui ont imprimé leurs nouvelles plaquettes en octobre 2001 ont logiquement laissé à la fois le tarif en francs, souvent écrit en petits caractères, et le tarif en euros, en caractères gras. La majorité de ceux qui vont changer leurs tarifs au printemps 2002 élimineront les francs afin d'habituer les clients à la nouvelle monnaie. Outre une meilleure lisibilité, ce choix permet d'éviter les petites bizarreries liées à la conversion. Prenons l'exemple d'un vigneron proposant un vin à 50 F et une caisse de 6 bouteilles à 300 F : la conversion en euros de la bouteille seule s'élève à 7,62 euros, celle de la caisse à 45,73 euros. En revanche, la multiplication par 6 du prix unitaire en euros (6 × 7,62 euros) donne un montant de 45,72 euros, soit une différence de 0,01 euros...
Parmi les points d'interrogation liés au changement des tarifs, la difficulté d'établir des prix psychologiques était souvent évoquée. Avec le resserrement de l'échelle des prix, les clients allaient-ils toujours bien repérer les vins haut de gamme des vins de moyenne gamme, comme c'était le cas avant avec des seuils bien distincts ? Là encore, les vignerons ne semblent pas avoir rencontré de difficultés. L'aspect visuel d'une grille tarifaire, avec les vins d'entrée de gamme placés en haut et les vins les plus qualitatifs en bas, permet au client de se situer. ' La proportion entre les prix reste la même , précise Jean Abeille, à Châteauneuf-du-Pape (Vaucluse). L'absence de seuils psychologiques n'apparaît pas préjudiciable. Les clients vont se créer leurs repères petit à petit. '