Pour rendre leur tarif cohérent, des vignerons n'hésitent pas à se former. On leur enseigne qu'il faut de la méthode pour déterminer le prix de revient, un peu d'astuce et de bon sens pour fixer le prix d'accepta- bilité. Il faut aussi penser à la marge des intermédiaires !
Installé depuis 1997 au château Tire Pé, un domaine de 13,5 ha en appellation Bordeaux, David Barrault s'est d'abord fait une clientèle au caveau. Il y vend deux vins : l'un à 6,50 euros, l'autre à 10,50 euros. Quand sa production a augmenté, il a dû démarcher d'autres circuits. Mais ses tarifs n'étaient pas assez différenciés pour que les intermédiaires trouvent leur marge. Ceci freinait le développement de ses ventes.
' Quand j'annonce un prix à un caviste, il ajoute sa marge pour évaluer à combien il va vendre mon vin à ses clients. Si le tarif obtenu est supérieur de 30 % à celui que je pratique au caveau, il n'apprécie pas. Ses clients seront tentés de venir directement au domaine. Si le différentiel n'est que de 5 %, ils continueront à s'approvisionner chez lui, car il leur offre un service de proximité ', explique David Barrault.
Pour affiner sa stratégie, il s'est formé avec le cabinet Vertumne International. ' En deux ans, j'ai augmenté mon prix au caveau de près de 15 %. J'y suis allé progressivement pour ne pas bousculer mes clients. Ils ont bien accepté cette hausse. J'ai été aidé par le fait que dans le même temps, j'ai progressé en qualité. En 2005, j'ai réduit mon tarif aux cavistes. J'ai aussi revu le fonctionnement avec mon agent commercial. Avant, je lui accordais le tarif caviste, auquel il ajoutait 15 % de marge. Les cavistes qu'il démarchait avaient intérêt à m'acheter en direct ! Aujourd'hui, il leur propose le même tarif que moi, sa marge étant désormais incluse. Il est remobilisé, car il ne craint plus d'être court-circuité. J'encaisse un peu moins sur chaque bouteille qu'il vend, mais je mise sur un développement des volumes. '
Dans tous les cas, les tarifs doivent avoir été établis en tenant compte du coût de production réel de chaque vin, frais d'élevage, de conditionnement et de commercialisation inclus. ' Il suffit d'un seul vin avec une marge négative pour plomber les résultats, surtout si c'est avec celui-ci que les ventes décollent ', souligne Delphine Alajarin, conseillère au CER (Centre d'économie rurale) Aude-Hérault.
Depuis 2002, elle anime des formations centrées sur le marketing, qui abordent la fixation des tarifs. ' Ceux-ci doivent s'étager entre un prix plancher, égal au coût de revient, et un prix d'acceptabilité, qui correspond à ce que le consommateur est prêt à payer. Le tarif au caveau s'appuiera sur le prix d'acceptabilité, et non sur le coût de revient, de façon à garder une marge de manoeuvre pour rémunérer les intermédiaires et prévoir des tarifs dégressifs en fonction des quantités. '
Pour fixer le prix d'acceptabilité, la méthode la plus utilisée par les vignerons qui se lancent dans la bouteille, consiste à se placer un peu en dessous du tarif du voisin. ' Il est important de situer ses vins parmi d'autres du même segment. Mais il ne faut pas les sous-évaluer. Dans un rayon, le prix est le premier indice de qualité pour le consommateur ' , rappelle Delphine Alajarin.
Pour cerner ce prix d'acceptabilité, elle propose une méthode simple. ' Rassemblez une petite gamme de vins dans laquelle vous incluez les vôtres. Invitez des amis pour une dégustation à l'aveugle. Faites les parler du prix qu'ils seraient prêts à payer. C'est très instructif. '
Déterminer le prix de revient de chaque vin n'est pas facile. Il faut ventiler les dépenses sur des bases objectives et ne pas oublier d'intégrer ses heures de travail. Lorsqu'on débute dans la bouteille, le plus simple est de s'appuyer sur des références de groupe. ' Nous étions très sollicités par nos adhérents. Il y a deux ans, nous avons lancé une étude sur les coûts avec le CER du Gard. Nous allons poursuivre en analysant les prix de vente ', explique Agnès Payan, présidente de la Fédération des vignerons indépendants du Gard.
' En affinant notre connaissance des coûts, nous avons pu nous repositionner. Sur les Côtes du Rhône génériques, nous avons diminué nos prix pour nous placer en grandes surfaces. Les frais de commercialisation étant moindres, c'était jouable. Et nous avons décroché de nouveaux marchés. A l'inverse, nous nous sommes aperçus que sur les bibs vendus au caveau, nous n'étions pas assez cher. Nous avons su quant dire non à un acheteur. Nous ne voulons pas vendre à perte ', affirme Françoise Clavel, vigneronne à Saint-Gervais, qui a participé à cette étude de coûts. Elle propose une gamme qui va de 2 à 13 euros/bouteille suivant les circuits de distribution.
Mieux vaut bien réfléchir au départ car, une fois les tarifs décidés, il n'est pas facile de les réajuster. ' Si l'augmentation à faire est importante, il vaut mieux commencer par revoir le packaging et, éventuellement, les vins eux-mêmes ' , préconise Christophe Chevré, d'Anfovi, l'organisme de formation des Vignerons indépendants. Si l'ajustement ne dépasse pas 15 %, il peut être réalisé sur deux ou trois ans.
' Quand je me suis lancé dans la bouteille en 2001, j'ai sous-estimé mes coûts, en laissant de côté une partie de mes heures de travail. Je n'étais pas connu. J'appréhendais de devoir vendre plus cher que les autres. Puis, en décortiquant mes résultats, je me suis rendu compte que je ne gagnais pas beaucoup sur la bouteille. Je me suis lancé dans une formation avec le CER de l'Aude et, après une analyse fine de mes coûts, j'ai décidé de réévaluer mes tarifs de 15 % ', raconte Nicolas Azalbert, vigneron en Minervois. Désormais, ses minervois vont de 5 à 6 euros, au caveau.
Pour ne pas trop bousculer ses clients au caveau, il a d'abord remonté le prix du col de 15 % en 2004, en conservant inchangé le tarif du carton de six. Puis en 2005, il a également augmenté le prix du carton. ' J'ai donné des explications à ceux qui en demandaient. Je n'ai pas perdu de clients, et par le bouche à oreille, j'ai continué à en gagner de nouveaux. ' Les tarifs aux cavistes ont également augmenté. ' Certains, parmi les acheteurs les plus récents, ont arrêté de me prendre des vins. Mais la plupart ont continué avec les mêmes volumes. C'est une prise de risques. Mais je ne veux pas brader ma production, même en période de crise. J'ai besoin de dégager une marge pour continuer à investir et à progresser. '