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Quand le vin se fait encre

La vigne - n°132 - mai 2002 - page 0

Installé à Bordeaux, cet artiste veut travailler avec les vignerons pour séduire les amateurs fortunés, en leur proposant de les peindre avec leur vin préféré.

'Toute ma vie, j'ai peint ', explique Philippe Dufrenoy. Ce qui n'était qu'une passion d'amateur est devenu son métier, à la suite d'un licenciement sur lequel il préfère ne pas s'étendre. A 53 ans, il perd son poste. C'était il y a deux ans. ' Je vendais des hôpitaux et des lycées. ' Que faire ? Il est trop vieux pour retrouver un emploi salarié. Plutôt que de se perdre en de vains efforts, il saisit l'occasion de quitter l'architecture pour embrasser l'art. Au départ, il se met en tête de peindre des musiciens de jazz. Il se rend à New York où se déterminent les canons de l'art contemporain. Là, il constate que la mode est aux toiles immenses et se dit qu'il devra en composer. Il n'en fera rien.
De retour en France, assis seul à la table d'un restaurant où l'ennui le guette, il saisit l'un des pinceaux qu'il vient d'acheter et le trempe dans son verre de vin. Il le promène sur la nappe. Le trait lui plaît. Son artifice destiné à tuer le temps va se transformer en projet professionnel. ' Pendant trois ou quatre mois, j'ai travaillé le truc. Je suis allé voir des chimistes pour trouver comment stabiliser la couleur. ' Ils lui ont prescrit un antioxydant qu'il garde secret. Philippe Dufrenoy assure qu'il n'utilise aucun autre additif. On lui a conseillé la gomme arabique et les tanins. Mais s'ils préservent quelque temps la couleur en bouteille, ils ne sont d'aucun secours une fois le vin posé sur du papier à dessin. L'artiste préfère recouvrir ses portraits d'un film transparent pour les mettre à l'abri de l'air. Malgré cette protection, la stabilité des pigments n'est pas totale. Leur dégradation n'est que ralentie.
' Il y a trois couleurs dans le vin : bleu, rouge et jaune. Le bleu est le moins résistant. Il disparaît le plus vite. ' De violet, le portrait vire au sépia. Lorsque cette évolution naturelle aboutit à une nuance qui lui plaît, il la stoppe en pulvérisant son antioxydant et en collant son film. Pour obtenir les ombres de ses personnages, il applique six à sept couches de vin et attend 24 h après chaque couche, le temps qu'elle sèche.

Son premier portrait fut celui de Jacques Chaban-Delmas. Son sens du marketing lui avait dicté de commencer par une personnalité ; autrement, il n'aurait pas attiré l'attention de propriétaires prestigieux du Bordelais.
A l'automne 2000, il les rencontre à l'Union des grands crus. Il leur dévoile son Chaban. La surprise passée, il leur propose de les peindre et d'exposer son travail pendant la dégustation des primeurs au printemps 2001. Banco. Dix-sept propriétaires se prêtent au jeu. Quelques semaines plus tard, 3 500 acheteurs et journalistes découvrent une galerie de portraits à l'encre oenologique. Des revues anglo-saxonnes s'émerveillent du travail de Philippe Dufrenoy. Leurs articles atteignent la cible du peintre : les Américains fortunés. L'un d'entre eux lui demande de le dessiner avec du haut-brion. Notre artiste lui remettra son oeuvre et sa reproduction en haute définition sur CD-Rom comme c'est d'usage à New-York. Ce disque conservera à jamais les traits de cet Américain, alors que sur le papier, ils subiront, comme lui, les assauts du temps.

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