Depuis 1993, les vignerons qui expédient du vin à un particulier sont confrontés à un dilemme : respecter des formalités administratives lourdes et coûteuses, comparées à la valeur de la vente réalisée, ou passer outre...
L'ouverture des frontières européennes à libre-circulation des marchandises communautaires fête ses dix ans. Dans de nombreux vignobles, notamment frontaliers, cet anniversaire laisse un goût amer. Comme l'a rappelé Xavier de Volontat, président des Vignerons indépendants de France, à Hervé Gaymard, ministre de l'Agriculture, lors du congrès organisé fin avril en Bourgogne, ' il est aujourd'hui plus difficile, voire impossible d'adresser un carton de douze bouteilles à un consommateur belge '. Paradoxalement, l'expédition est plus simple vers la Suisse....
Les juristes et autres praticiens du droit notent qu'en dix ans, les pratiques vigneronnes ont évolué. ' Ceux pour lesquels la vente à distance représentait un débouché vraiment important se sont organisés pour rentrer dans les clous de la nouvelle réglementation ', explique un directeur de syndicat. En fonction du montant des ventes, ils ont opté pour un représentant fiscal, ou font appel à des transporteurs entrepositaires agréés, qui effectuent des opérations de groupage et de dégroupage. Ces derniers assurent la représentation fiscale. Lors de la livraison, ils prélèvent la TVA et les droits d'accises, qu'ils reversent aux autorités de l'Etat de destination. En revanche, les opérateurs qui n'expédient qu'occasionnellement des petites quantités agissent généralement en toute illégalité.
En octobre 2000, le groupe de travail, constitué au sein du CFCE (Centre français du commerce extérieur) sur le problème des accises, remettait son rapport sur les ventes à distance de vin à la Commission européenne. Dans ce document d'une quarantaine de pages, les experts ont relevé un certain nombre de pratiques s'écartant de la réglementation. Par exemple, La Poste accepte les envois de six bouteilles sans formalités particulières (les vins sont facturés TTC et munis de capsules représentatives de droits), alors qu'en principe, l'envoi devrait être facturé hors TVA et en suspension de droits de circulation. De même, selon le témoignage d'opérateurs de la filière, de nombreux transporteurs acheminent des colis de douze bouteilles sans respecter la réglementation. Même certaines administrations semblent faire preuve de tolérance en acceptant les expéditions TTC dans la mesure où les quantités sont réduites et le droit d'accises nul. Ce serait le cas en Italie.
Ces pratiques non conformes à la législation actuelle sont connues, mais difficilement contrôlables et quantifiables. Pire, elles insécurisent les opérateurs dans la mesure où ces derniers ne sont pas à l'abri d'un contrôle tatillon, qui peut se solder par une amende plus ou moins importante, selon le pays concerné et la quantité expédiée irrégulièrement.
Le système semble particulièrement aberrant pour les frontaliers. Suivant qu'une caisse de vin traverse la frontière à bord du véhicule de son consommateur allemand ou de la camionnette du vigneron producteur, qui va livrer ce même client, la nature de la vente change. ' Dans le premier cas, il y a vente directe à la propriété et notre vendeur n'a aucune formalité à remplir. Dans le second cas, il y a vente à distance et notre vigneron croule sous les obligations... ', explique un juriste.
Histoire de ne pas attirer l'attention lors du passage aux frontières, certains producteurs frontaliers n'hésitent pas à louer un véhicule immatriculé dans l'Etat où la livraison est effectuée. C'est bien plus discret qu'une camionnette française aux couleurs du domaine...
Consciente des aberrations de ce système, la Commission européenne a procédé à un tour de table des différentes autorités douanières des Etats membres, pour savoir en quoi les pratiques actuelles s'écartent ou non de la législation. Le rapport sur cet état des lieux est attendu de pied ferme par certains...
Le problème des ventes à distance après 1993 a pris une ampleur nouvelle avec le développement d'internet. Ce mode de communication encourage l'achat par correspondance, et rend donc plus criant les lourdeurs administratives. Un site de commerce de vin en ligne est parvenu à obtenir des accords visant à alléger les formalités fiscales. Les douanes belges et les autorités françaises ont notamment accepté une dispense de représentation fiscale et un allégement de la procédure de déclaration (en procédant mensuellement, et non au cas par cas à chaque expédition). Les proches de ce dossier laissent entendre que cet accord, mis en place au printemps 2002, pourrait être étendu à tous les opérateurs français. Il serait temps ! Contactées pour infirmer ou confirmer cette information, les douanes françaises n'ont pas souhaité répondre pour l'instant...