La force des Vignerons indépendants de France (Vif) est la vente directe. 96 % de leurs adhérents la pratiquent au domaine et 73 % sur des salons, foires ou marchés. Mais pour eux, expédier des bouteilles à un particulier résidant dans un pays étranger membre de l'Union européenne est un vrai parcours du combattant. En cause : la réglementation. En effet, le vin est soumis aux droits d'accises, différents selon les pays. Certains n'en exercent pas, comme l'Allemagne (sauf pour le champagne), l'Italie ou l'Espagne. D'autres ont des taux faibles alors que certains pratiquent des taux élevés (à l'image des pays scandinaves qui exigent 250 €/hl). Ces accises sont exigibles au moment de la mise à consommation du vin et dans l'État membre considéré. Par exemple, si un vigneron expédie des bouteilles à un particulier belge, il doit payer l'accise en Belgique, au taux du pays. Chaque État membre définit les modalités de paiement de la taxe.
Beaucoup précisent sur leur site internet qu'ils ne livrent qu'en France
Lorsqu'ils veulent expédier du vin dans un pays de l'Union européenne, les vignerons doivent établir des documents d'accompagnement, puis s'enregistrer, ce qui implique le versement de garanties ou de cautions. Pour cela, ils doivent avoir recours à un représentant fiscal. Celui-ci est incontournable, même dans les pays qui n'exigent pas de droits d'accises. En pratique, cette fonction est généralement assurée par le transporteur. Mais elle a un coût.
« Pour les Pays-Bas, à titre d'exemple, les frais sont fixes et s'élèvent à 120 euros par semaine. Un coût disproportionné quand on veut expédier des petits volumes de douze à trente-six bouteilles, explique Christelle Jacquemot, la directrice des relations institutionnelles chez les Vif. La vente par internet ne résout rien. Elle est soumise aux mêmes contraintes. » D'ailleurs la plupart des sites de vente en ligne français précisent dans leurs conditions générales de vente qu'ils ne livrent que dans l'Hexagone.
Un frein à l'œnotourisme
Face aux coûts prohibitifs et aux démarches administratives complexes, une majorité de vignerons indépendants renonce à ce type de vente. Pourtant, beaucoup participent à des salons en Belgique, en Allemagne, etc. Ils possèdent donc un fichier de clients étrangers mais ne l'exploitent pas. D'autres reçoivent des touristes étrangers au domaine. Ceux-ci achètent quelques bouteilles. Mais ils renoncent à passer commande à distance au vu du coût de livraison. « Ces freins sont une entrave à la libre circulation des produits au sein de l'Europe », fustige Michel Issaly, le président des Vignerons indépendants. Et, selon lui, le manque à gagner pour la filière s'élèverait à 350 millions d'euros par an. Une estimation basée sur le fait que 12 millions de touristes viennent chaque année visiter les domaines des vignerons indépendants. Parmi eux, 4 millions viennent de l'étranger et pourraient potentiellement recommander des bouteilles.
Cette situation crée des distorsions de concurrence entre les opérateurs. « Les petites entreprises familiales sont pénalisées par rapport aux gros opérateurs qui disposent de services juridiques », insiste Christelle Jacquemot. Les Vignerons indépendants font donc plusieurs propositions. « Nous ne remettons pas en cause le paiement des droits d'accises, mais les lourdeurs administratives qui les accompagnent », précise bien Michel Issaly. Les Vif proposent donc la mise en place d'un seuil (soixante bouteilles par exemple) en dessous duquel le vigneron pourrait payer les droits d'accises sans passer par un représentant fiscal. Ce seuil pourrait être couplé à un système de chambre de compensation ou de guichet unique. La chambre de compensation permettrait au viticulteur de payer les droits d'accises en France. Charge ensuite à l'État français de les reverser au pays destinataire. Le guichet unique permettrait au viticulteur de s'identifier dans un seul pays de l'Union européenne pour être ensuite reconnu par les autres États membres. Ce système existe déjà pour la TVA transfrontalière.
Les Vif ont regroupé ces propositions dans un livret qu'ils vont adresser aux parlementaires et aux pouvoirs publics français et européens. « La Commission européenne est consciente du problème. Nous finirons par obtenir des avancées », espère Thomas Montagne, le président de la Cevi (Confédération européenne des vignerons indépendants). Mais cela ne se fera pas du jour au lendemain…
Le Point de vue de
Gérard Simonnot, vigneron à Châteauneuf-sur-Charente (Charente), sur 18,3 ha
« Un vrai casse-tête pour expédier deux cents carafes en Autriche »
« Il y a quelque temps, un comité d'entreprise m'a contacté. Il voulait que je lui expédie deux cents carafes de cognac en Autriche. Nous nous sommes alors mis d'accord sur le produit et le prix. Mais le client m'a précisé qu'il ne voulait s'occuper de rien.
C'est là que les difficultés ont commencé. La réglementation stipule que le destinataire doit disposer d'un numéro d'accise et d'un numéro de TVA, à mentionner sur le DAE (document d'accompagnement électronique). J'ai contacté des transporteurs, mais ils m'ont répondu que je devais avoir un correspondant fiscal en Autriche. J'ai cherché un entrepositaire, mais sans succès.
Je me suis finalement adressé à la mission économique de l'ambassade de France à Vienne, qui m'a enfin mis en relation avec un entrepositaire. Jusque là, j'étais prêt à prendre ma voiture et à aller porter moi-même les carafes. Au final, j'ai donc pu expédier la commande mais cela a été un vrai parcours du combattant qui m'a mobilisé pendant tout un mois. »
Le Point de vue de
Joël et Valérie Lecoffre, vignerons indépendants à Rilly-sur-Loire (Loir-et-Cher), sur 26 ha
« Nous pourrions vendre 3 000 cols de plus par an »
« Nous sommes installés entre les châteaux de Chaumont-sur-Loire et d'Amboise. Nous recevons beaucoup de touristes belges, allemands et britanniques. Certains font le circuit de la Loire à vélo et ne peuvent pas repartir avec des bouteilles, d'autres en achètent trois ou six et la plupart nous demandent de livrer du vin chez eux. Ils tombent des nues lorsqu'on leur explique à quel point c'est compliqué et coûteux entre l'obligation d'avoir un représentant fiscal par pays, les droits d'accises qui varient d'un pays à l'autre et les taxes diverses. Pour la Belgique, une entreprise nous facture 60 euros de frais de dédouanement par expédition, auxquels s'ajoutent les droits d'accises, la TVA, etc. Faire venir de Bulgarie des ouvriers pour la taille demande moins de formalités ! Avec moins d'entraves, nous pourrions vendre plus de 3 000 bouteilles en plus par an, ce qui représente un chiffre d'affaires de 10 000 euros. »
Le Point de vue de
Patricia Chastan, vigneronne au domaine de Saint Siffrein, à Orange (Vaucluse), 20 ha dont 5 en Côtes du Rhône et 15 en Châteauneuf-du-Pape
« J'ai expédié trois cents bouteilles sans frais en Allemagne grâce à une société de transport »
« Depuis deux ans, j'expédie des châteauneuf-du-pape à deux clients particuliers allemands sans frais administratifs. L'un de ces particuliers m'a mise en relation avec une société de transport allemande. Je facture directement le montant hors taxe de la commande à cette société. Ensuite, elle se charge de tout : enlèvement des vins à la propriété, dédouanement, transport et remise des vins aux clients. Ceux-ci viennent les chercher dans son entrepôt et lui paient les vins. J'ai ainsi vendu trois cents bouteilles de châteauneuf-du-pape en deux ans. Ce sont les particuliers qui paient les frais de dédouanement et de transport : 120 euros pour une centaine de cols, ce qui renchérit d'un peu plus d'un euro le prix de la bouteille. Dans les autres pays de l'Union européenne, je n'ai pas de représentant fiscal. Résultat, je ne vends pas aux particuliers. J'exporte essentiellement via des importateurs 60 % de ma production. Mais le fait de ne pas expédier de vins aux particuliers à l'étranger nuit au suivi des clients qui nous achètent du vin directement à la propriété pendant l'été. »