Bénéficiaires d'exonérations fiscales lors de la transmission, les GFA (groupements fonciers agricoles) se révèlent néanmoins délicats à gérer sur le plan de l'entente familiale. Leurs parts sont invendables à des membres extérieurs. Cet inconvénient devient de plus en plus pesant au fur et à mesure des successions.
Créé en 1970, le GFA avait pour vocation de faciliter la transmission des exploitations agricoles, de permettre la réunion de petites exploitations et d'attirer des capitaux extérieurs. Trente ans après, seul l'objectif de contribuer à la création ou au maintien d'exploitations agricoles est atteint. Et encore, non sans certaines tensions entre l'exploitant, principal bénéficiaire, et les autres titulaires de parts. Le GFA est le seul propriétaire des éléments qui composent le domaine (maison, chai, vignes), ses membres étant uniquement détenteurs de parts sociales.
Pour faciliter la mise en place des GFA, les pouvoirs publics leur ont accordé les mêmes avantages fiscaux qu'aux propriétaires terriens louant leur bien à long terme. Lors d'une transmission à titre gratuit des terres, les trois quarts de leur valeur sont exonérés de taxe, dans la limite de 76 000 euros. Au-delà de ce seuil, l'exonération est de moitié. Les parts de GFA bénéficient de ces avantages, à condition que le foncier détenu par la société soit loué à long terme.
Outre le bail à long terme, le GFA doit remplir d'autres conditions pour bénéficier de l'exonération. Dans ses statuts, il doit être mentionné qu'il s'interdit le faire-valoir direct. De plus, un associé doit avoir conservé ses parts sociales pendant deux ans minimum avant le transfert. Cette modalité exclut l'achat important de parts, peu avant le décès d'un de leur titulaire, dans le but de bénéficier de l'avantage fiscal et de revendre les parts peu de temps après.
Par ailleurs, le détenteur de parts reçues en franchise partielle de droits de mutation a pour obligation de conserver ses parts pendant une durée minimale de cinq ans. En cas de manquement à cette obligation - laquelle est aussi appliquée aux personnes détentrices de biens loués à long terme - les parts seront soumises au régime commun et perdront de façon rétroactive leur avantage fiscal.
La création d'un GFA ne doit toutefois pas être motivée par ses seules vertus fiscales. Si l'on compare une succession d'une valeur de 300 000 euros, où les biens sont loués à long terme, et la même succession avec 50 % des biens loués à long terme et 50 % en parts de GFA (également louées à long terme), l'économie réalisée (3 800 euros) ne justifie pas la création de la société.
Le principal attrait d'un GFA reste la conservation de l'exploitation dans sa globalité, au fil des générations. Cette situation n'est pas sans poser des problèmes pour les héritiers non exploitants, d'autant que ces derniers exercent souvent des métiers éloignés de l'agriculture et sont donc, de ce fait, moins réceptifs et compréhensifs sur la difficulté d'acquérir le foncier pour un vigneron.
Les héritiers d'un GFA ne perçoivent pas de terres ou de bâtiments, mais seulement leur équivalent en papier. Or, il leur est difficile de vendre leurs parts, car les acquéreurs ne se bousculent pas pour acheter un capital gelé. Seul l'exploitant ou un cohéritier souhaitant diversifier son patrimoine peuvent être intéressés. Moralement, l'exploitant fait souvent l'effort de racheter des parts, mais il peut rarement le faire en totalité. Quelques décennies plus tard, les parts seront redistribuées à la génération suivante, celle des petits-enfants des fondateurs du groupement, encore moins concernés par l'exploitation que leurs parents.
' On commence juste à voir les effets pervers des GFA puisqu'ils ne datent que de trente ans , analyse un banquier. Ils ont été créés dans un bon esprit, à savoir permettre à un exploitant de s'installer en protégeant le patrimoine foncier de la famille. Mais si ce dernier n'a pas eu les moyens financiers de racheter toutes les parts à ses frères et soeurs, les relations familiales deviennent vite tendues. A la génération suivante, cela se compliquera car ce sont les cousins qui seront concernés. Ceux-ci peuvent avoir envie de céder leurs parts pour réaliser leur projet personnel, comme l'acquisition d'une maison. Et ils supportent mal de ne pas pouvoir les vendre, comme ils le feraient avec des actions. '
' Je compare souvent le GFA à une bombe à retardement. J'ai vu trop de familles éclatées par des GFA pour les préconiser. En revanche, la création d'un GFA au sein d'un couple peut se justifier fiscalement. Le GFA est propriétaire de l'ensemble de l'actif qu'il loue au gérant de l'exploitation, lequel est également gérant du GFA. Mais dans ce cas de figure, il est préférable de le dissoudre avant le partage entre la descendance du gérant. Là où le GFA pourrait vraiment être intéressant, c'est dans l'apport de capitaux extérieurs. Mais aucun investisseur ne va s'embêter avec un système si fermé à la revente. '
Petit bémol dans ce tableau sombre pour les cohéritiers : ces derniers perçoivent des revenus de leurs parts, et ce placement peut s'intégrer harmonieusement dans une diversification de leur patrimoine. Reste à juger si la rémunération est équitable. C'est toute la question des montants des fermages, souvent jugés trop bas, qui est en jeu. Le problème lié aux parts de GFA va être d'autant plus aigu entre les héritiers que l'augmentation du prix des terres de vigne ne va pas favoriser le rachat des parts par l'exploitant.
Pour maintenir la surface globale à l'enfant qui reprend l'exploitation familiale, on peut aussi envisager la mise en place d'un bail couvrant l'ensemble de la carrière du repreneur, plutôt que de créer un GFA. Les biens resteront liés au bail pendant toute cette période, mais les cartes seront redistribuées au départ à la retraite de ce dernier. Mais dans ce cas de figure, il est fort à parier que l'exploitation se disloquera, car chacun des héritiers préfèrera vendre sa part du patrimoine viticole plutôt que de la louer au successeur du retraité.