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Les vignerons du Midi protestent en masse contre la chute des cours

La vigne - n°165 - mai 2005 - page 0

Le 20 avril, 7 000 à 10 000 vignerons font le tour de Narbonne (Aude). A la fin, ils repartiront déçus de cette manifestation, organisée par le Syndicat régional des vignerons du Languedoc-Roussillon.

'Deux fois zéro égale zéro. ' Philippe Vergnes dénonce l'insuffisance des nouvelles mesures d'aide annoncées par Dominique Bussereau, deux jours plus tôt. ' Nous demandons une exonération d'impôt foncier... ' Acclamation de la foule. ' ...La prise en charge des cotisations sociales ... ' Nouveaux applaudissements. ' ...Les primes à la plantation au même niveau que l'an dernier... ' Les manifestants approuvent encore une fois.
Le président du Syndicat des vignerons du Languedoc-Roussillon s'exprime du haut d'une tribune installée à deux pas du pont de la Liberté, à Narbonne, le 20 avril. Il s'adresse au ministre de l'Agriculture : ' Augmentation des préretraites, arrachage temporaire. ' Cette fois, personne n'approuve. La foule préférerait la prime d'abandon définitif. Elle permettrait aux viticulteurs à bout de souffle de quitter dignement leur métier. Mais les leaders du Midi y sont opposés. Leur région a assez donné. Aux autres d'arracher !

Philippe Vergnes s'en prend aux importations de vin de table d'Espagne. Il les tient pour responsables de la dégradation des cours. La foule le soutient, sifflant et huant. Il dénonce aussi les contrôles qui frappent les viticulteurs achetant des produits phytosanitaires en Espagne. Nouveaux sifflements. Puis il demande la distillation de crise à 3,30 euros/°hl ' pour tous les vins '. Là, personne ne réagit. Il y a quelques semaines, les responsables des vins de pays et de table n'étaient pas intéressés. Ils avaient même conseillé aux caves de passer des contrats de stockage aidé pour conserver les vins jusqu'en septembre. Ils pourraient toujours être distillés à ce moment-là, expliquait la Confédération française des vins de pays.
Avant d'achever son discours, Philippe Vergnes prévient : ' Nous serons à Nîmes le 25 mai si rien ne se passe d'ici là. ' Et il demande à tous de respecter les biens et les personnes, de manifester dans la dignité. Un dernier leader syndical prend la parole, Jean Roger, du Syndicat des vignerons des Pyrénées-Orientales. Il lit la motion qu'il remettra dans quelques minutes au préfet.
Il est 15 h 55, la foule démarre pour un tour de ville. Elle n'entame aucun slogan. Un concert de pétards éclate. Il durera tout le temps de la marche. Les manifestants sont là pour protester contre de misérables revenus. ' On bouffe notre capital ', dit l'un. ' On survit, mais on ne construit pas ', avertit un autre. ' On travaille pour rien ', affirme un troisième. Beaucoup vendent à perte, sont ' pris à la gorge ' et ' ne savent pas comment payer leurs factures '.

Certains ne sont même pas éligibles aux aides annoncées par le ministre de l'Agriculture le 31 décembre 2004, et qu'il a augmentées le 18 avril. Ils sont dans le rouge depuis deux ans déjà. Comme leur situation ne s'est pas aggravée cette année, l'administration rejette leur dossier. A la tribune, Philippe Vergnes a dénoncé cette situation, affirmant que des vignerons du Roussillon réalisent un chiffre d'affaires de ' 15 000 F/ha (2 287 euros) depuis deux à trois ans. De quelle justification faut-il parler pour qu'ils touchent des aides ? '
La foule compte aussi de nombreux producteurs de côtes du Rhône, du Vaucluse ou du Gard. Eux aussi dénoncent la chute des cours. Chrystel Chave porte la banderole ' Sainte-Cécile '. Elle est venue à Narbonne avec d'autres adhérents de la coopérative de Sainte-Cécile-lès-vignes. Elle s'est installée voilà quatre ans sur 10 ha. A l'époque, le côtes-du-rhône se vendait ' 7,50 à 8 F/l (1,14 à 1,22 euros). Aujourd'hui, on nous fait des propositions à 4 F/l (0,61 euros). Il faut qu'on se montre, qu'on se fasse entendre. ' Le Collectif des viticulteurs du Bordelais approuverait à coup sûr ces propos. Une délégation de ses membres est là. Elle promène une banderole : ' Bordeaux, Midi, même combat ! '
La mévente n'est pas la seule cause d'exaspération. Beaucoup ont la dent dure contre le gouvernement, en raison des attaques qu'il a portées contre le vin. ' On nous a traités de croquemorts, c'est inadmissible ', proteste un Audois.
Il est 17 h. Le cortège revient à son point de départ. Les leaders syndicaux reprennent brièvement la parole. Ils n'ont rien à annoncer, sinon que le préfet les a très bien reçus. Pour les revendications, il faut attendre. Des sifflements et des grondements se lèvent. ' On est venus pour rien. ' ' On nous a fait faire un circuit touristique... ' ' Y en a marre, on veut que ça bouge ... '
Les plus revendicatifs se regardent. Que faire ? Partir ou casser ? ' C'est maintenant que ça commence ', dit un manifestant. Avec quelques autres, il se dirige vers la grille qui barre le pont de la Liberté, coupant l'accès au centre-ville. Ils l'arrachent. De l'autre côté du canal, les CRS prennent position en tenue antiémeute. Des manifestants sortent des cagoules, des masques à gaz, des lance-pierres. Ils avaient prévu d'en découdre. Ils lancent un assaut. Une gerbe de grenades lacrymogènes les repousse. Le scénario se reproduira maintes fois. Les organisateurs avaient parlé d'un service d'ordre, mais personne ne vient raisonner les casseurs.

La foule quitte peu à peu ce champ de bataille qui s'épuise. Il est 18 h 15. A quelque centaines de mètres, sur le pont de l'Avenir, les forces de l'ordre libèrent un manifestant. Ils l'avaient capturé sous le regard des caméras de télévision. ' Individu remis à M. Vergnes ', annonce le chef de la police à ses supérieurs, au talkie-walkie. L'individu en question rejoint le président du syndicat sous les applaudissements de ses confrères. Il les entend à peine, il est terriblement pâle. Il n'a qu'une chose en tête : se remettre de ses émotions.
Quelques mètres plus loin, de nouvelles arrestations ont lieu. Cette fois, les CRS plaquent trois manifestants au sol. Ils les menottent, mains dans le dos. Philippe Vergnes demande leur libération. Dix minutes plus tard, il l'obtient. L'un des captifs, les mains toujours attachées dans le dos, tente de les lever en signe de victoire. Le chef de la police s'y reprend à deux reprises pour le calmer. ' Il n'y a pas de vainqueur ', lui assène-t-il. Le fier à bras cesse de fanfaronner. Il quitte les rangs de la police sous des applaudissements réservés. Ses deux compagnons d'infortune le suivent. Peu à peu, la journée s'achève. Les derniers manifestants rejoignent le parking du parc des expositions, en empruntant l'avenue Domitius jonchée de cailloux arrachés aux terre-pleins paysagers. Plus tard, dans la soirée, un commando s'attaquera à des supermarchés. Une nouvelle fois, le Midi a laissé parler ses démons.




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