Une majorité silencieuse de vignerons ne comprend pas la rigidité de l'organisation et de la réglementation viticole française. Ils souhaitent un peu de souplesse pour affronter la concurrence mondiale.
Il plane comme un parfum de 21 avril 2002 dans le monde viticole français. « Si vous saviez le décalage qu'il y a entre le viticulteur et son représentant national ! » constate Jean-Marc Joblot, vice-président du Syndicat de l'AOC Givry, en Saône-et-Loire. Pour autant, l'heure n'est pas à la révolte, plutôt au fatalisme. De nombreux producteurs ont le sentiment que rien ne peut changer, tellement les choses paraissent figées.
Les pratiques oenologiques cristallisent le plus de mécontentement. « Interdire la concentration est une hérésie, estime Jérôme Choblet, vigneron dans le Muscadet, membre du syndicat d'AOC et de la commission de communication au CIVN. Cette pratique est qualitative et, en plus, elle résout partiellement le problème de la surproduction en diminuant de 10 % le volume de vin fini. »
A Bordeaux, le sujet est particulièrement sensible ces temps-ci. Plusieurs appellations et viticulteurs se sont prononcés en faveur des copeaux. Mais depuis que l'Inao a annoncé qu'ils seraient réservés aux appellations d'origine simple, les ardeurs sont retombées. « La vision de l'AOC semble plus dogmatique, alors que les producteurs ont besoin de concret et de réalisme, commente Yann Le Goaster, directeur de la Fédération des grands vins de Gironde. Il est incroyable que les vignerons supportent plus de contraintes que leurs concurrents. »
On est dans un marché mondial, pourquoi n'applique-t-on pas les règles définies par l'Office international du vin ? « Il en va de notre survie », s'alarme un vigneron du Beaujolais.
L'impossibilité d'expérimenter des cépages différents de ceux autorisés par l'Inao, ou de tenter d'autres pratiques culturales alimentent aussi l'amertume. « Les AOC devraient rester un espace de création avec la possibilité d'expérimenter sans être mis au pilori », regrette Jean-Marc Joblot.
Certes, on constate des avancées dans certains syndicats. Mais au prix de nombreuses heures de réunion... Ce fut le cas pour la date de début des vendanges en Saône-et-Loire. Depuis 2005, le ban est fixé au 1 er septembre de façon à laisser le vigneron décider de l'organisation. « On s'est battu pendant quinze ans sur ce dossier. Le temps que l'on passe à essayer de faire bouger les choses, c'est le temps que l'on ne passe pas sur nos entreprises ou avec nos familles », poursuit-il.
Face à l'agacement qui monte, les vignerons s'entendent dire que « toutes ces contraintes, c'est vous-mêmes qui les avez voulues pour vous protéger contre les fraudeurs ». La remarque est juste, sauf que la machine semble s'être enrayée. « Le pouvoir n'est plus vraiment entre les mains des professionnels, mais plutôt dans celles des administratifs , précise Jérôme Choblet. Ils voient passer les dossiers et sont à des postes clés pour peser dans les décisions. »
L'autre source d'irritation, c'est le nombre croissant de personnes qui gravitent autour de la viticulture. Les professionnels ont leur part de responsabilités dans cette multiplication de structures... et de présidences !
Pour renouer le dialogue entre les responsables professionnels et les vignerons, « il faut faire des choses ensemble, préconise Jean-Marc Joblot. A Givry, on a organisé un festival de musique : ainsi, la communication passe entre tous les acteurs de la filière ».