En 1978, André donne à louer 1,89 ha de vignes. A l'époque, sa parcelle n'est pas soumise au statut du fermage parce que trop petite. En 1999, le préfet abaisse le seuil et André ne le sait pas. Il va s'en mordre les doigts.
Certains propriétaires possèdent des parcelles de vignes qui ne constituent par une unité économique et qu'ils ne sont pas en mesure de cultiver eux-mêmes. Le phénomène est bien connu en Champagne et en Bordelais. Lorsque ces propriétaires concèdent l'exploitation de pareilles parcelles à un vigneron, sont-ils soumis à l'intégralité des règles du statut du fermage et notamment au renouvellement obligatoire, au droit de préemption et au bail de neuf ans ? Pas forcément.
L'article L 411-3 du code rural admet que les parcelles inférieures à une certaine surface ne sont pas soumises au statut du fermage. C'est un arrêté préfectoral qui définit, pour chaque culture, la superficie en dessous de laquelle la location échappe aux règles du statut. Avec le temps, le préfet peut être amené à modifier les seuils et c'est ce qui va provoquer un contentieux qui a été soumis à la Cour de cassation.
Dans l'héritage de son père, André reçoit une parcelle en AOC Graves d'une superficie de 1,89 ha. N'étant pas vigneron, il la donne en location. A l'époque des faits, l'arrêté en vigueur en Gironde fixe le seuil des petites parcelles à 2 ha. En dessous de cette superficie, la location est simplement soumise à la loi du contrat. Le tout est de trouver un viticulteur qui accepte de conclure un fermage non soumis au statut.
Pour lui garantir une durée raisonnable d'exploitation, André lui propose un contrat de location pour neuf ans. Les deux parties conviennent qu'à l'expiration de cette période, la location se renouvellera par tacite reconduction. Le propriétaire et le locataire pourront y mettre fin en prévenant la partie adverse un an à l'avance par lettre recommandée. La convention est signée en 1978. Le contrat arrive à échéance en 1987. Comme le propriétaire n'a aucune raison de se séparer de son locataire, le bail se renouvelle d'année en année.
En 2002, le fils du locataire, qui a pris la suite de son père avec l'accord du propriétaire, prétend que le bail est soumis à l'intégralité des règles du statut, et spécialement au droit de renouvellement obligatoire pour neuf ans. André s'indigne et on le comprend. Selon lui, le nouveau locataire renie l'accord donné par son père, mais de plus, il va à l'encontre de l'arrêté préfectoral.
Mais il ne sait pas que ce dernier a été modifié en 1999. Depuis, les petites parcelles sont celles de moins de 50 ares. Soit, convient André, mais le bail a été conclu bien avant la modification de l'arrêté. Il a été tacitement reconduit, donc aux mêmes conditions. Pour défendre son point de vue, il ajoute que si « au moment de conclure le bail en 1978, on m'avait dit que les petites parcelles étaient de 50 ares, je n'aurais pas loué ».
Moralement, il a peut-être raison. Mais il ignore que l'article L 411-3 du code rural prévoit que la superficie maximale des parcelles à retenir lors de chaque renouvellement de la location est celle mentionnée dans l'arrêté en vigueur à la date du renouvellement. Ainsi, lorsqu'en 2000, André admet tacitement le renouvellement du bail, sa parcelle n'échappe plus au statut du fermage. Sans le savoir, il accepte un renouvellement pour neuf ans avec application des règles du statut.
C'est une nouvelle manifestation dans la législation du bail rural de la suprématie de la loi sur le contrat librement négocié. A remarquer que les choses peuvent jouer en sens inverse. Si la location est soumise au statut au moment de la signature du bail, mais que le préfet augmente la superficie de telle manière que la parcelle devient inférieure au seuil, le locataire ne pourra plus revendiquer le statut.
Référence : Cour de cassation du 11 janvier 2006, n° 0 420 723, et du 25 septembre 2002, BC 02-III-175.