« Si vous quittez Inter-Loire, vous ne bénéficierez plus de la garantie de délais de paiement offerte par les contrats interprofessionnels. » C'est l'avertissement que René-Louis David, secrétaire général d'InterLoire, a lancé aux vignerons de Bourgueil (Indre-et-Loire), le 12 novembre dernier.
« Ah bon ? Parce que les délais de paiement sont garantis ? » ont répondu unanimement les représentants du syndicat des vins de Bourgueil en se tournant vers un négociant membre du conseil exécutif d'InterLoire. Embarrassé, celui-ci a préféré changer de sujet. Un mois plus tard, le syndicat de Bourgueil votait son départ d'InterLoire.
« Seuls les négociants qui achètent à bas prix paient à l'heure »
L'anecdote est révélatrice de la tension grandissante entre la viticulture et le négoce tourangeaux. « Il serait faux de dire que tous les négociants payent en retard, plaisante un vigneron. Ceux qui achètent à bas prix payent à l'heure ! Avec les autres, il faut attendre. » Et chacun d'évoquer l'angoisse des traites qui n'arrivent pas à la date prévue, exhibant parfois les recommandés qu'ils ont adressés au négoce pour accélérer les choses.
Côté prix, les commissions paritaires organisées avant les vendanges pour les vins de pays du Val de Loire et les appellations Touraine et Vouvray se sont déroulées dans un climat difficile. « Nous avons proposé 130 €/hl pour le touraine-sauvignon alors que la viticulture réclamait 135 €/hl », expliquait Denis Rolandeau, président d'Entreprises des grands vins de Loire (EGVL), le 1er septembre dernier, en quittant la réunion dans une ambiance plutôt glaciale. Et pour cause : l'accord triennal, conclu à la veille des vendanges 2008, prévoyait 145 €/hl de touraine-sauvignon pour la campagne 2009-2010. Durant la réunion, le négoce a expliqué à la production qu'il fallait l'enterrer au nom de la crise financière internationale.
A Vouvray, le syndicat avait cru présenter une demande raisonnable, « en proposant de repartir sur les mêmes bases qu'en 2008 », explique Philippe Brisebarre, président du syndicat. Mais il faut croire que cette modération n'a pas suffi au négoce qui a quitté la commission paritaire sans proposer de prix d'orientation…
Les vignerons veulent conserver une certaine liberté
Le bilan de la contractualisation n'est pas plus positif. Dans les réunions de bassin, comme dans la négociation du contrat de projet Etat-région, on avait pourtant promis des contrats pluriannuels entre viticulteurs et négociants, comme contrepartie à l'engagement parcellaire. Dès ce mois de janvier, les vignerons devront engager leurs parcelles. Or, ils étaient habitués à jongler entre vins de pays et AOC. Ils attendaient la déclaration de récolte pour arbitrer en fonction des demandes du négoce et de leurs propres marchés de vente directe. Si les contrats sont rares, ce n'est pas seulement la faute du négoce, c'est aussi parce que les vignerons veulent garder une certaine liberté. D'autant que les contrats ne sont pas toujours très rigoureux. « Un négociant m'a fait signer au début de l'été un contrat pour du crémant de Loire. Mais au lieu de fixer un prix, le contrat se référait au prix d'orientation de la commission paritaire, explique un vigneron de Touraine. Oralement, on m'avait promis les mêmes prix que l'an dernier. Et le 7 septembre, j'ai reçu un mail annonçant des prix à la baisse. J'ai eu beaucoup de difficultés à faire accepter au négociant l'annulation du contrat. Il m'a fallu trouver une autre solution à la veille des vendanges. »
Mais c'est peut-être sur la stratégie de développement du vignoble que les dissensions sont les plus vives. « Le négoce souhaite que l'interprofession communique essentiellement sur les vins de Loire, explique Philippe Pitault, président du syndicat des vins de Bourgueil. Une communication dans laquelle on ne retrouve plus l'identité de nos appellations. »
Le 3 décembre, c'est en évoquant cette divergence de stratégie entre les deux familles que le syndicat des vins de Bourgueil a voté à 89 % son départ d'InterLoire. Et deux appellations voisines, Saint-Nicolas-de-Bourgueil et Touraine-Noble- Joué, même si elles assurent vouloir rester dans l'interprofession, ont refusé l'augmentation de CVO demandée par celle-ci, considérant qu'il s'agissait d'un « ultimatum du négoce ».
Déjà, en mai dernier, la tension était montée quand le négoce avait obtenu que la CVO soit payée à moitié par le vigneron et à moitié par le négociant. Les vignerons, qui jusque-là ne payaient pas, n'ont pas vu le cours des vins augmenter d'une demi-CVO...
« Trouver d'autres solutions »
Trente ans après la création d'une interprofession en Touraine, les deux familles n'ont sans doute jamais autant peiné à se comprendre. Au point même que le syndicat du Loir-et-Cher des producteurs de vin de pays a initié une vaste réflexion sur la mise en marché.
« Puisque la relation entre les vignerons et le négoce régional ressemble à un tunnel sans fin, il faut trouver d'autres solutions », propose Luc Percher, président du syndicat. Trouver une autre organisation ? Vendre davantage en direct ? Chercher à travailler avec des négociants d'autres régions ? Selon lui, « aucun sujet n'est tabou ».
Le Point de vue de
Régis Mureau, viticulteur sur 20 ha au domaine de la Gaucherie, à Ingrandes-de-Touraine (Indre-et-Loire)
« Depuis deux ou trois ans, je sens que la situation se dégrade »
« Je suis installé depuis 1975, en appellation bourgeuil. Depuis toujours, je vends 25 % de ma production au négoce. J'ai longtemps travaillé avec plusieurs négociants régionaux, avec une certaine fidélité. Il y a quelques années, certains m'ont proposé de contractualiser, mais je n'ai pas donné suite. Depuis deux ou trois ans, je sens que la situation se dégrade. Cela coïncide avec l'arrivée dans le vignoble de grands négociants nationaux. Sur les dates d'enlèvement et de paiement, on ressent une domination. Le négoce a toujours travaillé à flux tendu, mais c'est de pire en pire. Et pour les paiements, il est rare que le délai de 45 jours soit respecté. Peut-être qu'il manque à la région un courtage mieux organisé qui pourrait créer un équilibre. Contrairement à d'autres régions, les courtiers locaux font peu de travail de recherche ou de mise en valeur des échantillons. Ici, ils se contentent souvent de collecter les échantillons. Je ne sais pas si la solution serait de contractualiser, car cela nous mettrait un fil à la patte. On voit se développer des vignerons-négociants qui valorisent bien l'appellation. C'est une bonne chose. Et l'avenir est peut-être dans le développement de la vente directe, même si cela demande beaucoup de travail. »