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Bordeaux s'attaque à la spirale de la baisse des prix

Colette Goinère - La vigne - n°227 - janvier 2011 - page 12

L'ODG des Bordeaux et Bordeaux supérieurs annonce la création d'une SAS qui achètera les vins à un prix minimal. L'interprofession demande le contrôle de tous les lots vendus sous un certain seuil.
BERNARD FARGES (à droite), le président du syndicat de l'ODG Bordeaux et Bordeaux supérieur, est pressé de lancer le projet Mercure, une société chargée d'acheter des vins à un prix minimal, selon les besoins du négoce. Il est ici en dégustation chez Rémi Villeneuve, viticulteur à Saint-Genis-du-Bois (Gironde). © PH. ROY

BERNARD FARGES (à droite), le président du syndicat de l'ODG Bordeaux et Bordeaux supérieur, est pressé de lancer le projet Mercure, une société chargée d'acheter des vins à un prix minimal, selon les besoins du négoce. Il est ici en dégustation chez Rémi Villeneuve, viticulteur à Saint-Genis-du-Bois (Gironde). © PH. ROY

« Nous n'avons plus le temps d'attendre. » Bernard Farges est pressé de lancer le projet Mercure. C'est le message que le président de l'ODG des Bordeaux et Bordeaux supérieur a fait passer le 3 janvier dernier. Ce matin-là, il dévoilait le projet Mercure aux coopérateurs réunis en assemblée mensuelle par la Fédération des caves coopératives vinicoles d'Aquitaine. Objectif : endiguer la baisse des premiers prix sur le marché du vrac, un phénomène qui concerne 500 000 hl de bordeaux et côtes-de-bordeaux.

Pas moins de 800 € les 900 l de bordeaux rouge 2010

Pour enrayer cette tendance, l'ODG des Bordeaux et Bordeaux supérieur va mettre en place un « amortisseur », à savoir une SAS qui sera une centrale d'achat en vrac. Les négociants adhérents s'engageront à lui acheter un volume minimal, selon un prix « d'orientation » défini par l'Observatoire du vrac. Cet observatoire est une commission animée par le CIVB (l'interprofession) et composée de négociants, de coopérateurs et de viticulteurs indépendants. Elle réclame que les prix de vente en vrac du bordeaux rouge 2010 ne soient pas en dessous de 800 € le tonneau de 900 l et pas inférieur à 700 € le tonneau pour les autres millésimes.

« Mercure n'est pas un projet de la coopération. Il résulte d'une volonté de la production. Ce n'est pas une société de négoce supplémentaire. Elle n'a pas vocation à vendre en direct. C'est un intermédiaire. L'idée n'est pas d'acheter le vin et de voir ce que l'on peut en faire », a martelé Bernard Farges, le 3 janvier, tout en soulignant qu'il y a urgence. « On ne tiendra pas longtemps nos collègues s'il n'y a pas de vraie évolution du marché du vrac », a-t-il averti. Et de rappeler que 45 % des volumes de la récolte 2009 en bordeaux rouge se sont vendus, jusqu'à présent, à moins de 800 € le tonneau.

« En euros constants, les prix du bordeaux rouge, des côtes-de-bordeaux et du médoc n'ont jamais été aussi bas depuis vingt-cinq ans. Il faut stopper cette spirale à la baisse », répète, de son côté, Philippe Abadie, responsable du service développement et formation de la chambre d'agriculture de la Gironde. Ce dernier a fait les comptes : en AOC Bordeaux et Bordeaux supérieur, un quart des exploitants a un revenu négatif et un tiers dégage un revenu inférieur au Smic. « Nous sommes dans un moment clef. On va très vite voir si les différents acteurs de la filière sont prêts à jouer le jeu pour sortir Bordeaux de l'ornière », indique-t-il. Jouer le jeu ? Pas simple. Mercure est déjà soupçonnée d'avoir été fomentée par la coopération pour prendre des parts de marché au négoce.

Pour être crédible, la SAS doit réunir dans son capital une cinquantaine de viticulteurs (ils sont dix aujourd'hui), les caves coopératives (Sauveterre, Landerrouat, Hauts de Gironde et Rauzan seraient partantes), mais également les négociants. C'est là que le bât blesse. Les maisons de négoce n'ont aucune envie de prendre un risque financier.

Les négociants veulent des garanties

Pour Allan Sichel, pas question d'aller dans le capital de Mercure ou alors de façon très symbolique. « Les négociants veulent avoir des garanties que les électrons libres ne fausseront pas le jeu », indique le président de la Fédération du négoce girondin, à la tête du négoce Maison Sichel. Reste que sans eux, Mercure ne marchera pas. « Il faut que le négoce donne un signe fort et s'engage. Si un gros, tel que Castel, y va, les autres suivront », estime Philippe Hébrard, directeur de la cave coopérative de Rauzan.

Mercure n'est pas le seul recours. Dans la boîte à outil du plan « Bordeaux demain », il y a le contrôle des lots vendus à bas prix. Une arme de dissuasion mise au point par le CIVB. « Il faut casser la surenchère à la baisse qui porte une atteinte grave à l'image des bordeaux. Nous allons “insécuriser” la pratique de ceux qui font des contrats à des prix très bas », affirme Roland Feredj, directeur du CIVB.

Mener la vie dure aux acheteurs à bas prix

L'opération a été lancée en juillet. Depuis, plus d'une cinquantaine de contrôles ont déjà été effectués chez des viticulteurs et des négociants. Selon des informations concordantes, ils n'ont pas révélé que ceux qui proposent ou acceptent des prix bas ont de mauvais vins en cave.

Depuis janvier, le CIVB a décidé de durcir le dispositif. Jusqu'à présent, il déclenchait des contrôles chez les opérateurs pratiquant des prix bas, bien souvent après le départ des lots soldés. Désormais, il demande à Quali-Bordeaux de contrôler chaque lot vendu à un prix jugé insuffisant. L'organisme dépêche ses agents pour prélever des échantillons et poser des scellés sur les cuves dès que les contrats d'achat sont déposés au CIVB. Ces scellés restent en place, le temps que la dégustation soit réalisée. Les vins présentant des défauts rédhibitoires seront déclassés. Ceux affectés de défauts mineurs entraîneront des contrôles systématiques des vins de leurs propriétaires. Bref, une pression forte exercée pour compliquer la vie de ceux qui ont pris l'habitude d'acheter à très bas prix et pour moraliser le marché du vrac.

Pour certains le problème est ailleurs. « A Bordeaux, on ne pense pas assez à l'équilibre entre l'offre et la demande. En vingt ans, les superficies ont été doublées sans s'interroger sur les conséquences de ces plantations en terme de commercialisation », estime Xavier Coumau, président des courtiers de Gironde.

Allan Sichel, lui, préfère parler de la demande qu'il faut stimuler, de l'intérêt qu'il faut créer auprès du consommateur pour qu'ils aient le désir d'acheter un bordeaux. Il parle également des ventes qu'il faut doper à l'export. « On végète autour de 30 % d'exportation depuis quinze ans. » Pour y remédier, le CIBV a décidé de se concentrer sur sept pays prioritaires. Allan Sichel insiste aussi sur la nécessité « d'agir collectivement ». Ce dernier chantier ne sera pas des plus faciles.

Mercure, mode d'emploi

Mercure doit fonctionner de la manière suivante : au départ, des négociants s'engagent sur un volume de vrac premier prix à acheter. Des courtiers battent la campagne pour trouver les vins. Ils présentent les lots au négociant et à Mercure qui doivent les agréer tous les deux. Mercure passe le contrat d'achat auprès du viticulteur qui conserve le stock chez lui. Muni du contrat, ce dernier peut obtenir un prêt de trésorerie du Crédit agricole. Lorsque le négoce a décidé la date de retiraison, Mercure organise l'enlèvement. La SAS paie le viticulteur 60 jours après la retiraison.

Avantages de Mercure pour le négoce ? Les contrôles se font avant la retiraison. Donc pas de risque de blocage des lots. Ticket d'entrée dans la SAS : 500 à 1 000 € pour un viticulteur, 50 000 € pour une coopérative réalisant plus de 100 000 hl. Un bureau de courtage devrait entrer dans le capital. Mercure prélève 1 % sur tout lot vendu.

REPÈRE

Bordeaux est en surproduction. Depuis deux campagnes (2008-2009 et 2009-2010), la région commercialise tout juste 5 millions d'hl de ses différentes appellations, alors qu'elle produit presque 1 million d'hl de plus, sauf en 2008, année de faible récolte après un sévère gel printanier. La région perd régulièrement du terrain en France. Heureusement, ses exportations se redressent peu à peu.

Le Point de vue de

Michel Géromin, viticulteur sur 70 ha à Coubeyrac (Gironde)

« Il faudrait distiller et arracher pour rétablir un équilibre »

Michel Géromin, viticulteur sur 70 ha à Coubeyrac (Gironde)

Michel Géromin, viticulteur sur 70 ha à Coubeyrac (Gironde)

« Depuis vingt ans, j'ai un partenariat avec le négociant Ginestet qui m'achète aujourd'hui entre 1 000 et 1 100 € le tonneau de 900 l de bordeaux rouge. Ginestet assure un suivi œnologique. Mais en fait, ce qu'il demande, cela fait longtemps que nous le pratiquons sur notre exploitation : des rendements contrôlés (55 hl/ha), l'épamprage des têtes de pieds et l'attachage des astes à plat. Toutes ces opérations sécurisent le négociant qui s'en sert comme argument commercial. Il y a trois ans, nous avons pris 15 ha en fermage.

La première année, nous les avons écoulés auprès de Ginestet. Il n'a pas renouvelé le contrat sur cette partie-là. Maintenant, il ne prend que les deux tiers de notre production (2 500 hl de bordeaux rouge et 450 hl de blanc). Pour le reste, nous essayons de valoriser ces 15 ha en faisant de la bouteille à l'export. Nous avons quelques contacts, mais ce n'est pas facile. J'observe les mesures pour aider Bordeaux à s'en sortir. Le plan “Bordeaux demain“? C'est du long terme. Pour le court terme, il faudrait encourager la distillation et l'arrachage pour atteindre un équilibre entre l'offre et la demande. La centrale d'achat Mercure ? A voir, mais j'espère que cela ne va pas fixer un prix de référence qui bloque. Le contrôle des lots à bas prix ? Je ne suis pas contre, mais les vins à petits prix ne sont pas forcément les plus mauvais. »

Le Point de vue de

Patrick Tauzin, gérant d'une exploitation viticole et propriétaire de 2,5 ha à Saint-Pierre-d'Aurillac (Gironde)

« Je vivais très mal de mon travail, j'ai tout vendu »

Patrick Tauzin, gérant d'une exploitation viticole et propriétaire de 2,5 ha à Saint-Pierre-d'Aurillac (Gironde)

Patrick Tauzin, gérant d'une exploitation viticole et propriétaire de 2,5 ha à Saint-Pierre-d'Aurillac (Gironde)

« J'ai cru qu'on pouvait s'en sortir. En 2006, avec six autres viticulteurs de Saint-Macaire, pour ne plus subir la baisse des cours, on a créé une petite société et une marque commune. On a embauché un commercial. Mais les cours ont continué de chuter. Je ne dépassais pas 1 000 € en salaire. Je vivais très mal de mon travail de viticulteur. Alors il y a trois ans, un matin d'août, j'ai décidé de vendre mon exploitation de 25 ha. J'ai obtenu entre 12 000 à 14 000 € l'hectare. Un prix au ras des pâquerettes. Mais j'ai vendu. Il y a deux ans, la petite structure de négoce que l'on avait monté a été arrêtée.

J'ai trouvé du travail. Je suis gérant salarié d'une exploitation viticole. J'ai 50 ans. Je ne regrette pas ma décision. Mais je m'inquiète pour les copains qui galèrent et pour la filière bordelaise.

La solution passe par un rééquilibrage entre l'offre et la demande. L'an dernier, j'ai racheté 2,5 ha en AOC Bordeaux, à Saint-Pierre-d'Aurillac. Je produis du vin que je mets en bib. Je me fais plaisir. Je suis bien quand je suis dans les vignes. »

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