Le méchage des barriques, cette pratique ancestrale qui permet de désinfecter les fûts, est en péril. Pourquoi ? Parce qu'à ce jour, la Commission européenne n'a pas reçu de dossier d'évaluation du dioxyde de soufre, le désinfectant qui résulte de la combustion des mèches et des pastilles de soufre. Fin juin, la filière a amorcé une large mobilisation pour sauver la situation.
La période de transition est terminée
Petit rappel des événements. En 1998, l'Union européenne adopte la directive Biocide (voir Repère). Ce texte accorde dix ans aux fabricants de pesticides non agricoles pour présenter un dossier d'évaluation de leur efficacité et de leur toxicité. Passé ce délai, faute de dossier, les produits seront interdits de vente. Le dioxyde de soufre, employé comme désinfectant du matériel vinaire, en fait partie.
Après la période de transition, et quelques reports, en l'absence d'un tel dossier, le couperet tombe pour le soufre biocide. « En février dernier, la Commission européenne nous a informés qu'elle allait le retirer de la liste des produits autorisés », relate Maud Plener, de la Confédération européenne des vignerons indépendants (Cevi). Très vite, l'annonce inquiète la filière : comment continuer à aseptiser fûts et cuves en bois, si le méchage est interdit ? Dès février, le Comité européen des entreprises vins (CEEV) engage un dialogue avec l'Union européenne. « Nous avons demandé ce que nous pouvions mettre en œuvre pour conserver l'usage du SO2 biocide », rend compte José Ramon Fernandez, secrétaire général du CEEV. Suite à ces discussions et à un courrier envoyé le 3 mai par cinq organisations françaises et européennes, la Commission accepte de reporter l'interdiction à mai-juin 2012. « A la seule condition que la filière lui prouve sa volonté de monter un dossier pour le SO2 », rapporte Maud Plener, de la Cevi.
Reste donc à motiver les états européens, et surtout, à financer l'opération. « Le budget nécessaire est de 500 000 euros environ », estime Sophie Pallas, directrice générale d'Œnoppia, association internationale des producteurs de produits œnologiques. L'investissement ne s'avérant pas rentable pour les industriels de la chimie qui fabriquent les pastilles de soufre, la filière vin n'a plus qu'à « se cotiser ».
Les œnologues organisent une collecte
La France a déjà initié le mouvement. Le Cniv vient de voter un budget de 100 000 euros pour l'élaboration du dossier soufre biocide. De même, l'union des œnologues a prévu d'organiser une collecte sur le terrain. « Les œnologues conseil relaieront l'information auprès de leurs collègues et de leurs clients, et leur proposeront un bon de souscription de 5, de 10 euros ou plus selon leurs moyens », explique Marie-Madeleine Caillet, vice-présidente de l'UOEF.
Les fabricants de produits œnos, regroupés autour d'Œnoppia, se sont engagés à contribuer en apportant le dossier Reach. Celui-ci contient des données scientifiques sur le SO2, qui serviront de base au dossier Biocide. Pour l'instant, le coût de rachat de ce dossier n'est pas connu.
La tonnellerie, qui risque d'être pénalisée par l'interdiction du méchage, compte aussi participer : Jean-Luc Sylvain, président de la Fédération française des tonneliers, assure que 20 000 euros vont être débloqués immédiatement.
Enfin, la filière a sollicité FranceAgriMer, lui demandant une subvention de 50 000 euros. « Ce budget est en cours de réflexion et ne sera voté qu'en accord avec le ministère de l'Agriculture », précise Patrice Germain, directeur de l'international de FAM. Bien sûr, les professionnels français attendent de leurs voisins espagnols, italiens, allemands ou portugais, une participation similaire. « Nous sommes en train de voir quels soutiens financiers peuvent apporter les différents organismes dans les états membres concernés », décrit José Ramon Fernandez, de la Ceev, qui coordonne la mobilisation. Il espère aussi un appui des pouvoirs publics de chaque pays.
Le méchage des fûts est-il dangereux pour la santé ?
Le dossier Biocide dédié au soufre devra répondre à cette question, puisqu'il comprend un volet d'évaluation des risques toxicologiques. Les données sur cet aspect sont peu nombreuses. Mais, la MSA a publié en 2002 une brochure intitulée « SO2, un produit toxique ? ». Elle indique qu'il peut provoquer des irritations des yeux ou des voies respiratoires, des nausées… La MSA déconseille donc aux personnes asthmatiques ou ayant des problèmes pulmonaires d'en manipuler. Le risque dépend de la concentration utilisée et de la durée d'exposition, ainsi que de la température ambiante, de l'aération du lieu et de la forme de SO2. Pour le méchage, la MSA recommande de fermer rapidement le fût ou la cuve après allumage de la mèche. Et, en cas de méchages répétitifs, d'installer un système de ventilation ou/et de porter un équipement de protection (masque à cartouche). Elle précise qu'il est dangereux de mécher des contenants qui ne sont pas en bois. Quant à la toxicité à long terme du SO2, elle n'a pas été prouvée pour l'instant.
Le Point de vue de
Thierry Sansot, oenologue de la cave Balma Venitia, à Beaumes-de-Venise (Vaucluse)
« Si on n'aseptise pas les fûts, on va au devant de problèmes »
« Nous avons 220 barriques de 400 litres pour les rouges et 120 barriques de 225 litres pour les muscats. Nous méchons les fûts à chaque soutirage, à savoir trois fois par an pour les rouges et une fois par an pour les muscats. Cela nous permet d'assainir la futaille afin d'éviter des déviations microbiennes et d'intégrer un peu de SO2 au vin quand nous le réentonnons. Après rinçage à grande eau froide, stérilisation à l'eau chaude sous pression et égouttage, nous faisons brûler une pastille de soufre de 10 g dans les fûts de 400 l et de 5 g dans ceux de 225 l. Nous les remplissons de vin immédiatement après séchage. La mèche de soufre a un caractère ancestral, elle est vraiment simple d'utilisation et a prouvé son efficacité. Si jamais le soufre biocide était interdit, je ne vois pas d'alternative aussi simple. Et si on n'aseptise pas les fûts, on va au devant de problèmes de déviations, car il reste toujours du vin imbibé dans les douelles quand le fût est vide. »
Le Point de vue de
Jean-Pierre Venture, vigneron du Mas de la Sérane, à Aniane (Hérault)
« Je ne vois pas d'alternative »
« J'ai appris qu'il serait bientôt nécessaire d'avoir des autorisations pour la mise sur le marché des mèches de soufre, et donc pour continuer à les employer. Pourtant, on les utilise depuis l'époque des Romains. Je me sers du soufre sous forme de pastille pour aseptiser mes barriques. Je le fais une fois par an, au mois de décembre, au moment des assemblages. Je soutire mes barriques, je les nettoie à la canne Moog (eau chaude sous pression), je les égoutte et je les mèche. Elles restent vides une semaine maximum. Puis, après rinçage, je les remplis avec les vins que je viens d'assembler. J'ai entre cinquante et soixante fûts, dont une quinzaine de neufs. A raison d'une ou deux pastilles de 5 grammes de soufre par fût, cela ne représente pas beaucoup. Néanmoins, cette opération est indispensable, pour éviter que mes barriques soient contaminées et que le vin tourne au vinaigre. Si jamais le soufre biocide est interdit, je n'ai pas vraiment d'alternative. »
Le Point de vue de
Nicolas Tiquet-Lavandier, coordinateur qualité de la tonnellerie Taransaud
« Un outil de maîtrise du bois »
« Beaucoup de nos clients, principalement dans l'hémisphère Sud, nous demandent de mécher les fûts, même neufs. Nous sommes concernés par cette affaire du soufre biocide, surtout parce que tous nos clients pratiquent le méchage. Que ce soit au soutirage ou pour conserver des barriques vides. Le SO2 maintient une atmosphère antiseptique à l'intérieur. Bien sûr, l'idéal est qu'un fût reste le moins longtemps en vidange. Si toutes les formes de SO2 pour désinfecter les barriques étaient interdites, il faudrait réinventer l'usage du bois. Mais je ne vois pas trop d'autre alternative. Certains pays utilisent l'ozone, mais cela ne me semble pas plus sain, et peut-être pas sans impact sur le vin. L'eau chaude et la vapeur sont efficaces et nous les recommandons. Mais leur effet est limité dans le temps, contrairement au soufre. Impossible donc de conserver un fût vide non méché. Supprimer le méchage reviendrait à enlever un moyen de maîtrise du bois. »