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VIGNE

Importer des produits phytos, c'est possible

Frédérique Ehrhard - La vigne - n°240 - mars 2012 - page 28

La coopérative des Vignerons de Tutiac importe pour ses adhérents des produits phytosanitaires moins chers que leurs équivalents vendus en France. Elle demande un permis de commerce parallèle pour chaque produit et chaque origine.
JÉRÔME OSSARD, responsable approvisionnement des Vignerons de Tutiac, souligne bien que les produits importés doivent être réétiquetés en français. © P. ROY

JÉRÔME OSSARD, responsable approvisionnement des Vignerons de Tutiac, souligne bien que les produits importés doivent être réétiquetés en français. © P. ROY

« Nous avons commencé à importer des produits phytosanitaires en 2002, avec deux objectifs : retrouver une liberté commerciale et faire bénéficier nos adhérents de tarifs plus compétitifs, explique Jérôme Ossard, le responsable approvisionnement des Vignerons de Tutiac. Aujourd'hui, la moitié des produits de protection de la vigne qu'ils utilisent proviennent d'un autre pays de l'Union européenne tout en étant strictement identiques à ceux commercialisés en France. »

« Sécurisant pour les adhérents »

Cette coopérative basée à Marcillac, en Gironde, regroupe 550_vignerons cultivant 4 000 ha et vinifie 225 000 hl. Elle a créé une section spécialisée dans l'approvisionnement. « Pour chaque produit de chaque origine que nous voulons importer, nous devons déposer un dossier auprès de l'Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire des aliments, de l'environnement et du travail), précise-t-il. L'administration demande alors le dossier au pays concerné et vérifie que le produit en question est bien similaire à un produit autorisé en France. La matière active, le dosage, la formulation et le fabricant, doivent être les mêmes. »

Parmi les produits importés les plus vendus par la coopérative, il y a deux anti-oïdiums, l'un à base de quinoxyfène, l'autre à base de tebuconazole, ou encore un antimildiou à base de cuivre d'oxyde cuivreux. La législation n'autorise pas l'importation de génériques. En revanche, le produit peut être homologué sur une autre culture que la vigne dans le pays d'achat, ce qui élargit les possibilités. Les frais de dossier se montent à 400 euros. La demande doit contenir une étiquette du produit que la coopérative veut importer ainsi qu'un projet d'étiquette traduite en français. Le délai de traitement du dossier peut aller de trois mois à un an suivant la réactivité de l'administration du pays d'achat.

« Côté français, la procédure est bien calée et l'Anses joue le jeu. Il n'y a pas de problèmes », affirme Jérôme Ossard. Une fois la similarité vérifiée, la coopérative reçoit un permis de commerce parallèle qui lui permet d'importer le produit en toute légalité.

Des écarts de prix significatifs

À la réception, il reste à coller à la main, sur chaque emballage, une étiquette en français. Les Vignerons de Tutiac doivent donner au produit un nom différent de celui qu'il porte dans son pays d'origine et différent du produit équivalent commercialisé en France. Mais il s'agit bien de la même formulation. « C'est sécurisant pour nos adhérents, car c'est l'administration qui se charge de vérifier la similarité des produits », rassure Jérôme Ossard.

Pour acheter dans les autres pays de l'Union européenne, il s'est constitué un réseau de fournisseurs avec lesquels il négocie des tarifs départ ou rendu. « C'est souvent moi qui dois organiser l'expédition. Mais pour des palettes entières, trouver un transporteur ne pose pas de problème. »

Les fabricants pratiquent des prix qui varient fortement d'un pays à l'autre. C'est en jouant sur ces écarts que la coopérative arrive à proposer des tarifs intéressants à ses adhérents. « Ils n'ont plus besoin d'aller chercher ailleurs pour acheter moins cher », souligne-t-il.

Au fil des années, le différentiel avec les autres pays reste significatif sur certains produits. Sur d'autres, il se réduit peu à peu. « Mais même à tarif égal, j'apprécie de pouvoir acheter dans plusieurs pays, car j'y gagne de la liberté commerciale », affirme-t-il. Pour répondre à la demande d'autres viticulteurs, la cave a créé une filiale. Des vignerons indépendants ou des adhérents d'autres coopératives s'y approvisionnent. « Nous n'allons pas les chercher. Mais nos ventes progressent, car il y a une vraie demande pour un approvisionnement alternatif », conclut Jérôme Ossard.

Enfin un règlement européen sur le commerce des phytos

Jusqu'en juin 2011, c'était un décret datant de 2001 qui fixait les modalités d'importation des produits phytosanitaires en France. « Après dix ans de démarches auprès de la Commission, un règlement européen est enfin paru en novembre 2009. Il renforce la légitimité de ces importations dont il harmonise partiellement le cadre réglementaire », affirme Daniel Roques, de l'association Audace, qui a mené ce combat. Ce texte s'impose depuis juin 2011 à tous les pays de l'Union européenne. Désormais, les entreprises qui veulent importer un produit doivent demander un permis de commerce parallèle à leur administration. En France, les frais de dossiers ont été réduits de 800 à 400 euros par produit et par origine. En ce qui concerne les importations réalisées par des vignerons pour les besoins de leur exploitation, un décret serait en préparation. « La procédure devrait être simplifiée pour les produits dont la similarité a déjà été reconnue. Le vigneron devrait juste prévenir quinze jours à l'avance le préfet de son département du produit et du volume qu'il souhaite acheter dans un autre pays. L'absence de réponse vaudrait autorisation. Et en cas de contrôle, il serait en règle pour cet achat », détaille Daniel Roques, qui espère une publication de ce décret en 2012.

Le Point de vue de

Arnaud Courjaud, vigneron coopérateur à Marcillac (Gironde)

« De cette manière, j'économise 30 % sur les achats de phytos »

« Quand je me suis installé il y a quatre ans, j'ai choisi de m'approvisionner en produits phytosanitaires auprès des Vignerons de Tutiac, la coopérative où je porte mes raisins. Mon père avait un autre fournisseur. Pour comparer les prix la première année, j'ai acheté les mêmes produits que lui. Résultat : ma facture a été inférieure d'un tiers. J'ai économisé 180 €/ha, soit 7 740 euros pour 43 ha. Depuis, je prends tout à la coopérative, et je ne suis pas le seul. Les autres distributeurs de la région ont réduit un peu les écarts de prix, mais celle-ci reste mieux placée. Pour un programme avec huit applications contre le mildiou et l'oïdium, deux contre le botrytis sur les cépages blancs et trois désherbants, je m'en sors à 450 €/ha. Cela fait au moins un poste de charges stabilisé ! Les fongicides et une partie des désherbants viennent d'autres pays de l'Union européenne : Espagne, Italie, Hongrie ou encore Pologne. Ce sont des produits similaires à ceux qu'on trouve en France. Sur l'emballage, j'ai une étiquette en français avec le dosage et les préconisations. Tout est légal et traçable, c'est sécurisant. Je suis équipé du système de guidage par satellite Tixad. Pour chaque traitement, je rentre la matière active et le numéro de lot du produit, français ou importé. L'appareil mesure la surface réellement traitée, tournières déduites, ce qui permet d'ajuster la dose. Pour réduire les coûts, j'adapte aussi la dose et la fréquence à la pression de l'année. En 2010, il m'est resté la moitié des produits en fin de saison. »

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