Il aura fallu plusieurs années, mais les États membres sont parvenus à un accord : le vin bio aura une définition européenne pour la vendange 2012 (1). Le 8 février dernier, le Comité permanent à l'agriculture biologique (Scof ) de la Commission européenne a donné un avis favorable à un projet de règlement.
« Je me réjouis de l'accord enfin conclu sur ce dossier, car il était important d'établir des règles harmonisées garantissant une offre claire aux consommateurs », a exprimé Dacian Ciolos, commissaire européen à l'Agriculture, le jour du vote.
50 mg/l de SO2 en moins
En effet, le vin bio restait le seul produit à n'avoir ni définition, ni règles de production en Europe. Pourtant, dès 2004, la Commission s'était engagée à lui en donner. Mais en 2009, les propositions faites au Scof sont restées sans réponse. Et la commission a même retiré son projet de règlement en juin 2010, pour cause de désaccords entre les États membres, notamment sur les sulfites, les uns voulant un abaissement important des teneurs autorisées, les autres s'y opposant.
Mais le débat sur les sulfites est tranché. Les teneurs en SO2 total dans les vins bios secs devront être inférieures de 50 mg/l à celles des vins conventionnels. Ce qui porte les limites maximales autorisées à 150 mg/l dans les blancs et rosés et à 100 mg/l dans les rouges. Les vins bios renfermant plus de 2 g/l de sucres résiduels devront contenir 30 mg/l de SO2 en moins que les vins conventionnels.
À une exception près : en cas de conditions climatiques très mauvaises, les vignerons bios pourront augmenter ces doses. Du côté des pratiques œnologiques, le règlement interdit l'enrichissement par concentration des vins à froid, la désalcoolisation partielle, la désulfitation des moûts par voie physique (par distillation), ainsi que la stabilisation tartrique par électrodialyse ou avec des résines échangeuses de cations. La filtration des vins est autorisée, mais le diamètre des pores doit être supérieur à 0,2 μm. Concrètement, nano et ultra-filtration sont exclues. Tous les types de filtres et de médias filtrants restent possibles.
Le traitement thermique de la vendange est admis. Néanmoins, la température de chauffage ne doit pas excéder 70°C et la flash-détente ainsi que la flash pasteurisation sont interdites. De plus, le traitement thermique fera l'objet d'une réévaluation avant le 1er août 2015, tout comme l'osmose inverse et le recours aux résines échangeuses d'ions sur moûts. Afin « d'encourager la demande en matières premières biologiques », les additifs tels que les levures, l'albumine, la gélatine ou les tanins devront être d'origine bio, s'il en existe sur le marché. Sont interdits, le sulfate et bisulfite d'ammonium, la PVPP, le DMDC, les CMC ou encore les enzymes beta-glucanases, le lysozyme, le kaolin, les mannoprotéines…
Conforme à la philosophie du bio ?
Le commissaire à l'Agriculture Dacian Ciolos se dit « satisfait de ces règles qui différencient clairement le vin traditionnel et le vin biologique ». Mais certains vignerons ne voient pas les choses du même œil. Pour eux, justement, la différenciation entre vin bio et vin conventionnel n'est pas assez claire. Pierre-Abel Simmoneau, vice-président de la Fédération nationale interprofessionnelle des vins de l'agriculture biologique, regrette ainsi que le Scof n'ait pas pris en compte « l'éthique du vin bio ». Pour lui, seules les chartes privées le font.
Avis que partagent les Vignerons indépendants de France. « Ce règlement est le plus petit dénominateur commun, parce qu'il fallait aller vite et débloquer des volumes conséquents de vin bio, estime Michel Issaly, président des Vif. Il oublie la philosophie du bio, qui consiste à préserver le vivant, à la vigne comme en vinification. » Une philosophie qui revient, selon lui, à éviter les substances chimiques ou les traitements physiques qui modifient la matière vivante : des teneurs en sulfites trop élevées, la thermovinification qui tuent levures, bactéries et enzymes. Il souligne aussi que dans beaucoup d'autres secteurs alimentaires, productions bios et non bios doivent être séparées. Ce n'est pas le cas pour le vin : une même cave pourra vinifier des vins bios et des vins conventionnels. « Au final, on leurre le consommateur », conclut Michel Issaly.
« Il y avait vingt-sept pays à mettre d'accord, ce n'est pas une mince affaire », admet Pierre-Abel Simmoneau. Ce que souligne aussi Valérie Pladeau, chargée de mission qualité à l'AIVB-LR (Association interprofessionnelle des vins biologiques du Languedoc-Roussillon ). « La Commission voulait un règlement qui englobe tous les pays membres et tous les producteurs bios, du petit vigneron à la grande coopérative. Aussi, les règles sont assez larges. »
Les échanges commerciaux facilités
Malgré ces critiques, la filière accueille l'arrivée d'un règlement pour le vin bio comme une bonne nouvelle. « Nous avons œuvré pour l'avoir, expose Valérie Pladeau. Cela permettra d'être plus visible auprès du consommateur, cela facilitera les échanges commerciaux entre pays et les producteurs bios pourront mieux valoriser leurs vins. » Quant à ceux qui ne se reconnaîtraient pas dans ce nouveau règlement, ils pourront toujours se tourner vers des chartes privées plus restrictives, qui risquent de se multiplier.
(1) Le règlement entrera en vigueur trois jours après sa parution au Journal officiel et sera obligatoire à partir du 1er août 2012.
Un nouvel étiquetage obligatoire
À partir des vendanges 2012, les vins qui respectent le règlement de vinification bio devront porter le logo « agriculture biologique » de l'Union européenne et le code de leur certificateur sur leur étiquette. Celle-ci devra aussi arborer la mention « vin bio ». Le logo français « AB », qui n'était pas une obligation, pourra toujours cohabiter avec le logo européen. De même que les logos de chartes privées. Les vignerons bios pourront demander un contrôle de certification des vins produits avant 2012, encore non conditionnés ou non étiquetés. S'ils prouvent qu'ils les ont élaborés en respectant le règlement vin bio, ils seront autorisés à utiliser la feuille étoilée européenne et la mention « vin bio ». Sinon, ils devront conserver la formule « vin issu de raisins de l'agriculture biologique ». Les vins conditionnés avant la parution du règlement pourront être commercialisés jusqu'à épuisement des stocks mais sans la mention « vin bio ».
Le Point de vue de
Anne Sutra de Germa, vigneronne bio au domaine Monplézy, à Pézenas (Hérault)
« Je n'ai aucun mal à respecter ce nouveau règlement »
« Ce règlement sur le vin bio est une avancée. Il va amener plus de lisibilité auprès du consommateur et encadrer la vinification. Mais il me semble qu'il ne différencie pas vraiment le vin bio du non bio. Par exemple, les teneurs en sulfites acceptées sont élevées. Mes vins rouges ne contiennent pas plus de 40 à 50 mg/l de SO2 total à la mise, mes blancs et rosés, 60 mg/l tout au plus. En dix ans, je n'ai jamais eu aucune déviation. Ensuite, je suis surprise de voir que certains produits comme les gélatines sont admis en bio. Pour les vins de l'année, je n'utilise que de l'albumine d'œuf bio et/ou de la bentonite pour le collage. Rien d'autre. Et je fais des filtrations larges, pour des raisons de sécurité alimentaire : pour éviter de retrouver un moucheron dans une bouteille par exemple. Il m'arrive aussi de ne pas coller ou filtrer mes vins, s'ils sont restés très longtemps en barrique, ils sont donc stabilisés. La plupart de mes rouges (300 hl en tout) ne sont pas levurés. Je levure seulement les cuves au degré très élevé, ainsi que mes blancs et rosés (150 hl), pour sécuriser les fermentations. Je suis aussi les conseils des œnologues, qui savent dire si les fermentations alcooliques risquent d'être problématiques. En tout cas, je n'ai aucun mal à respecter ce nouveau règlement. »