« Nous avons failli disparaître. En 1998, nos volumes sont tombés à 20 000 hl alors que nous sommes dimensionnés pour traiter 40 000 hl, explique Christian Chauvin, directeur de la cave de Lieuran-lès-Béziers, dans l'Hérault. C'est grâce à la vinification en prestation de service développée pour des négociants que nous avons survécu. »
La démarche n'est pas toute récente. Certaines caves ont démarré leur offre de service dans les années 1995-1996. Mais ce phénomène prend de l'ampleur avec le développement des achats de raisins par le négoce qui cherche où les vinifier. « Au départ, nous avons proposé ce service dans le but de capter de nouveaux coopérateurs, indique Delphine Berruezo, la directrice de la cave d'Abeilhan, dans l'Hérault. Nous proposions à des viticulteurs qui ne souhaitaient pas s'engager en coopérative de tester notre outil et notre mode de fonctionnement, dans l'espoir qu'ils deviennent adhérents. Puis nous avons répondu aux négociants qui nous sollicitaient pour vinifier leurs achats de raisins. » La prestation de service n'est pas la vocation des caves coopératives. La cave d'Abeilhan et celle de Lieuran-lès-Béziers passent donc par une filiale pour développer cette activité. Les caves facturent des frais de location de matériel et de mise à disposition de personnel à leur filiale qui, elles, facturent la prestation à leurs clients, viticulteurs ou négociants.
Des cuves clairement identifiées
Les cuves recevant les vins travaillés en prestation doivent être clairement identifiées. À Lieuran-lès-Béziers, une travée de cuves est réservée à cette activité. À Abeilhan, qui a récemment fusionné avec les caves de Pouzols et Roujan, c'est le site de Roujan qui est affecté à la vinification à façon.
L'activité génère des contraintes : une comptabilité matière séparée, un suivi régi pour chaque client et le respect du cahier des charges défini par les clients, « mais ce sont des interventions que nous avons l'habitude de réaliser, il faut simplement respecter des dates de décuvage et ajouter les produits oenologiques spécifiés par les clients », souligne Delphine Berruezo.
En contrepartie, les caves créent une activité rentable et amortissent mieux leurs installations. « Nous pouvons ainsi réinvestir en matériel, en personnel ou en logiciel informatique », argumente la directrice d'Abeilhan. Les deux responsables y voient également un intérêt technique et commercial. « Nous sommes en contact direct avec les metteurs en marché. C'est une ouverture très intéressante sur les tendances du marché, les évolutions techniques… », plaide Christian Chauvin. « D'un point de vue technique, c‘est très enrichissant, nous sommes en contact avec différents intervenants qui nous apportent leur savoir-faire. Nous sommes plus en prise avec le marché », ajoute Delphine Berruezo.
Des coopérateurs mécontents
Cette diversification, démarrée timidement, tend à se développer. Au point que des coopérateurs la voient d'un mauvais oeil. « On n'est plus chez nous » maugréent-ils. Au contraire, la Fédération régionale des caves coopératives accompagne les caves qui choisissent cette voie. « C'est la preuve que l'outil technique et humain des coopératives est performant. Il est préférable de développer ce service plutôt que de voir se créer des wineries. À condition de s'inscrire dans l'éthique de la coopération », précise Boris Calmette.
En clair, tant que les acheteurs de raisins amènent la récolte de vignerons indépendants aux coopératives, la coopération n'y trouve rien à redire. La situation pourrait se compliquer s'ils lorgnaient sur la production de coopérateurs pour aller la faire vinifier… par une coop.
L'Uval veut développer les vins de domaine
L'Union des vignerons du Levant (UVAL), groupement de producteurs corses qui compte une coopérative ainsi que deux domaines indépendants et produit entre 70 000 et 100 000 hl de vin par an, propose à ses coopérateurs de développer des vins de domaines qu'ils peuvent commercialiser eux-mêmes dans leur caveau ou par tout autre circuit.
« Depuis dix ans, les volumes de vins produits en Corse ont fortement baissé. En donnant la possibilité à nos adhérents de commercialiser en bouteille une partie de leur récolte, nous développons la vente directe, qui ne cesse de croître durant la saison touristique.
C'est un moyen de mieux valoriser notre production : les vins de domaine se vendent à des prix supérieurs aux gammes commercialisées par l'Uval », explique le directeur Alain Mazoyer, qui a impulsé ce mouvement. Une dizaine de domaines se sont lancés dans l'aventure.
Le groupement s'est équipé de petites cuveries pour vinifier ces petits volumes.
« C'est un travail plus délicat. Cela responsabilise le vigneron comme le personnel de la cave et nous tire vers le haut. »
Champagnes de vigneron
En Champagne, les caves coopératives ont développé la prestation de service dès leur création, mais pour leurs adhérents exclusivement.
« Cela a été une volonté syndicale. Dans les années cinquante, pour que les vignerons aient accès au marché et que le partage de la valeur se répartisse entre production et négoce, le syndicat des vignerons a encouragé cette pratique, incitant les vignerons coopérateurs à commercialiser eux-mêmes une partie de leur récolte », rappelle Alexandrine Legras-Populus, directrice de la Fédération des coopératives viticoles de Champagne. Aujourd'hui, sur les 136 coopératives champenoises, toutes, à l'exception d'une seule, ont l'agrément accordé par le Haut conseil de la coopération pour proposer à leurs adhérents des prestations de service allant du pressurage au dégorgement.
À l'origine, le syndicat des vignerons souhaitait que 30 % de la production du vignoble champenois soit ainsi commercialisée par les vignerons coopérateurs.
Aujourd'hui, sur les 100 millions de bouteilles de champagne élaborées par la production, 30 millions sont commercialisés par les coopératives et 70 millions par les vignerons, la moitié par des vignerons coopérateurs, l'autre moitié par des vignerons indépendants.
Le Point de vue de
Cédric Jenin, winemaker du groupe Castel
« Une solution souple et économique »
« La maison Virginie, filiale du groupe Castel, a un lien historique fort avec la cave de Lieuran-lès-Béziers (Hérault), avec laquelle nous travaillons depuis quinze ans. Nous y vinifions nos sélections parcellaires de cépages rouges destinées à nos vins haut de gamme. Nous utilisons le matériel ainsi que le personnel de la cave et nous fournissons les produits œnologiques. Le suivi des vinifications est assuré par un oenologue rémunéré par Castel, qui s'assure du respect du cahier des charges préalablement défini.
Les vins sont vinifiés traditionnellement, en macération longue. Nous les récupérons en fin de fermentation alcoolique pour un élevage sur notre site de Béziers. Ce système est intéressant pour Castel, car notre site de Béziers est spécialisé dans les vinifications en phase liquide nécessitant beaucoup de technologie. En utilisant les installations de Lieuran pour ces vinifications traditionnelles où la technologie entre moins en jeu, nous minimisons nos coûts et nous pouvons spécialiser nos installations dans le traitement des phases liquides.
Ce partenariat nous offre une grande souplesse, nos achats de raisins fluctuent d'une année sur l'autre, les volumes à vinifier sont donc variables. Avec la cave de Lieuran, nous réajustons chaque année les volumes vinifiés en prestation de service. Castel vinifie ainsi entre 5 000 et 10 000 hl. »