« Nous maintenons nos marchés avec nos clients traditionnels : États-Unis, Royaume-Uni et Japon. Mais nous savons bien que la croissance est aussi ailleurs : au Brésil et surtout en Asie, en particulier en Chine », explique Pierre-Henri Gagey, président du Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne (BIVB).
Avec sa tradition exportatrice qui l'amène à vendre près de la moitié de sa production hors de France, la Bourgogne a toujours su anticiper les nouveaux marchés, tout en prenant soin de maintenir un lien fort avec ses clients traditionnels. Et sur les huit premiers mois de 2012, cela semble encore lui réussir. Son chiffre d'affaires à l'export est en forte hausse : + 15 % (719 millions d'euros) pour la campagne 2011-2012, sans hausse en volume (+ 1 %, soit 95 millions de bouteilles exportées).
Il faut dire que l'interprofession ne lésine pas sur les actions à l'export. Elle multiplie les Wine Tours en Chine, au Brésil, en Corée, en Suède, en Finlande et au Danemark. En 2011-2012, son opération Terroirs & signatures a touché 2 200 prescripteurs aux États-Unis et au Japon. Dans le même temps, elle a formé « 2 500 personnes – à 42 % des importateurs – dans dix-sept pays lors de cinquante et une sessions différentes », résume Tanguy Chatillon, le directeur du pôle marketing et communication. Pas mal pour ce petit vignoble ne représentant que 0,3 % de la production mondiale de vin.
L'Asie réclame surtout des vins rouges
Cependant, la région doit lever le pied. Avec la faiblesse de la récolte 2012 et l'incertitude sur la reconduction des crédits OCM de promotion dans les pays tiers, le BIVB a réduit la voilure de ces opérations. « D'après nos informations, nous devrions organiser nos actions en dehors de nos actuels pays prioritaires pour obtenir de nouveaux financements OCM », indique le président de l'interprofession.
Du côté des exportateurs, nombreux sont ceux qui craignent la pénurie de vins, rouges notamment. La dernière vente des Hospices de Beaune (Côte-d'Or) avait révélé au monde entier que le millésime 2012 serait encore plus « rare et précieux » qu'à l'accoutumée. Lors de la vente, Louis-Fabrice Latour avait prédit que « nous n'aurons bientôt plus de vin à moins de 10 dollars, 10 euros ou 10 livres ».
Pierre-Henri Gagey pense donc qu'« avec l'augmentation des cours du vrac en 2012 (+ 30 % sur le bourgogne rouge à 850 euros la pièce, NDLR), viticulteurs comme négociants vont être obligés d'augmenter leurs prix et de passer dans un autre segment. Si les marchés et les consommateurs réagissent bien, alors il faudra se positionner collectivement pour conserver cette montée en gamme par la suite, avec le retour de récoltes normales ».
C'est dans ce contexte que la Bourgogne « bascule progressivement » vers les marchés asiatiques et émergents, analyse Philippe Longepierre, directeur du pôle marché et développement au BIVB. La Chine et Hong Kong ont représenté 6 % du chiffre d'affaires des huit premiers mois 2012, contre moins de 1 % sur la même période en 2007. Et sur les huit premiers mois de l'année 2012, les ventes de vins de Bourgogne passent à 28 millions d'euros (+ 44 % par rapport à la même période 2011).
Mais la Bourgogne s'interroge : est-elle bien en phase avec la demande des marchés émergents ? En effet, elle est encépagée à 60 % en chardonnay et en aligoté alors que l'Asie réclame surtout des vins rouges. Cet appétit pour les rouges est l'une des raisons pour lesquelles les pinots noirs des côtes de Nuits et de Beaune, mais surtout les grands crus et les premiers crus, flambent.
Tester les marchés en 2013
Pour les blancs, il n'en va pas de même. « Les affaires ne sont pas toujours aussi percutantes ou mirobolantes que ce qui est parfois présenté. La Chine ne consomme que 8 % de vins blancs. Il y a donc un long travail d'éducation à effectuer pour les vins du Mâconnais ou de Chablis », reconnaît Michel Barraud, président des Vignerons des terres secrètes, à Prissé (Saône-et-Loire), membre des Blasons de Bourgogne, l a marque collective des coopératives qui a désormais un bureau permanent en Chine.
De nombreux producteurs pensent que les grands vins blancs de Bourgogne y ont leur place, notamment avec les plats asiatiques à base de poissons et peu épicés.
Face à ces incertitudes, le président du BIVB appelle les opérateurs à tester les marchés en 2013. La Bourgogne va avancer prudemment ses pions en Chine, ayant en tête que ses trois premiers clients restent les États-Unis, la Grande-Bretagne et le Japon. Ils lui achètent la moitié de ses exportations, à des prix en hausse. La Bourgogne ne va donc pas lâcher ces proies pour l'ombre… chinoise.
Le Point de vue de
Romain Taupenot-Merme, vigneron à Morey-Saint-Denis (Côte-d'Or) sur 13 ha. 75 000 bouteilles exportées à 90 %.
« Il faut gagner le respect et la confiance des Chinois »
« J'ai participé au dernier Wine Tour en Chine organisé par la chambre régionale de commerce et d'industrie avec le BIVB, du 24 octobre au 4 novembre. Tout a été très bien organisé, depuis l'acheminement et le dédouanement des échantillons jusqu'à la réservation des billets d'avion, des chambres d'hôtels et des salles. Il m'a juste fallu préparer les échantillons pour le transporteur : deux bouteilles de chacun de mes six vins. Ça suffit. Ce n'est pas une buvette ! Bien qu'ils nous aient très bien reçus, les importateurs chinois n'ont pas la même mentalité que nous. Ils ne se livrent pas. Il est difficile de se prononcer sur l'issue d'une dégustation. Il faut gagner leur respect et leur confiance. Ils posent 36 fois la même question de façon à s'assurer de votre même réponse. Durant cette mission, j'ai enchaîné de grosses journées : le matin nous préparions les tastings qui se déroulaient ensuite de 13 à 17 heures. Le soir, il y avait les paulées qui finissaient souvent vers 3 heures du matin. Lors de ces Wine Diners, avec mes importateurs, je vérifiais si les menus étaient adaptés aux vins, la température de service de ces derniers ou encore le choix des verres. Même dans des restaurants étoilés, j'ai vu des vins servis dans des verres à eau. J'ai rencontré 150 à 200 professionnels sérieux pour des échanges. Je ne négocie pas mes prix pour ne pas avoir de marché gris. Il faut dire que cela fait cinq ans que je suis présent en Chine. Sans exclusivité. Je cherche les bons distributeurs et aussi à comprendre le marché. »