Le scandale éclate à la fin de l'année 2012. La Chine découvre alors des teneurs importantes en phtalates, des substances chimiques utilisées dans la fabrication des plastiques, dans certains de ses propres alcools. Une liqueur de la société Jiugui est la première incriminée avec des niveaux de phtalates qui peuvent atteindre deux fois et demie le maximum autorisé. Un autre alcool haut de gamme, exporté aux États-Unis, est ensuite pointé du doigt pour ses teneurs excessives.
Ces découvertes provoquent un effet boule de neige. La Chine se met à contrôler tous les alcools importés, au premier rang desquels figure le cognac. Le 27 février, le quotidien « La Charente libre » annonce que les douanes ont bloqué des conteneurs à leur arrivée dans des ports chinois, provoquant la consternation dans les Charentes.
Quelques jours plus tard, le Bureau national interprofessionnel du cognac (BNIC) assure que les lots bloqués ne sont que des cas isolés. « Notre filière a fourni aux autorités chinoises les certificats nécessaires pour permettre l'entrée des cognacs sur le territoire chinois, affirme Jean-Marc Morel, président du BNIC. La mise en place de ces nouvelles procédures a généré des ralentissements dans le dédouanement. »
Dans certains vins, des teneurs très élevées
L'affaire prend une telle ampleur que le 8 mars, Nicole Bricq, la ministre du Commerce extérieur, s'est rendue à Cognac (Charente) pour garantir à la viticulture locale que « tout l'appareil d'État est mobilisé pour dégager au plus vite les lots bloqués du côté chinois ».
Très vite, l'onde de choc s'étend à l'ensemble du vignoble. Depuis le début de l'année, un peu partout en France, les laboratoires d'oenologie font face à un afflux de demandes d'analyses. « La grande majorité nous est demandée pour des vins destinés au marché chinois, mais nous avons également affaire à des viticulteurs qui veulent contrôler leur production », explique Vincent Bouazza, du laboratoire Dubernet, près de Narbonne (Aude).
« Nous avons déjà eu des vins avec des teneurs en dibutyl phtalate (le phtalate le plus abondant dans les vins) supérieures à 1 mg/l », signale Marie-Dominique Labadie, cogérante du laboratoire Excell, à Mérignac (Gironde). Cette molécule est limitée à 0,3 mg/l en Chine dans les eaux-de-vie et dans les vins.
Une nouvelle génération de résines et de plastiques
En apprenant que leur vin dépasse la limite autorisée en Chine, certains vignerons sont surpris et s'étonnent des résultats de l'analyse. « J'ai l'exemple d'un petit viticulteur qui est dans une démarche de respect de l'environnement et qui fait tout pour produire un vin de qualité. Il a été catastrophé en apprenant que son vin possédait des teneurs élevées en phtalates », rapporte Cédric Courtois, directeur scientifique du laboratoire Vect'oeur, à Savigny-lès-Beaune (Côte-d'Or). Pour les caves touchées, le plus gros problème reste d'identifier la source des contaminations. Les phtalates peuvent être présents dans tous les ustensiles ou contenants en plastique entrant en contact avec le vin : du bidon de SO2 aux résines époxy couvrant les cuves en passant par les tuyaux ou les bacs de remontage. « Nous avons eu un vin avec une teneur en dibutyl phtalate de 3 mg/l.
Nous nous sommes aperçus qu'il avait passé beaucoup de temps au contact de résines époxy », indique Marie-Dominique Labadie.
Les résines époxy sont suspectées d'être la principale source de phtalates dans les vins. Mais pour Denis Bonneau, gérant de la société Deproma, à Saint-Amand-Montrond, dans le Cher, des efforts ont été fournis. « Depuis environ cinq ans, notre résine de protection des cuves est exempte de phtalates », garantitil. Le gros problème réside dans les cuves dont le revêtement est plus ancien. Le risque de contamination est réel et il semble bien que le seul moyen d'y remédier est de refaire le revêtement avec des résines sans phtalates. « Nous pouvons fournir à nos clients un certificat attestant l'absence de phtalates dans la résine époxy », poursuit Denis Bonneau.
Pas de traitement pour réduire la contamination
Autre source potentielle de phtalates, les tuyaux en plastiques sont également pointés du doigt. Là encore, il est possible d'y remédier. « Depuis trois ans, nos tuyaux en PVC sont certifiés sans phtalates », atteste Didier Barbier, président de la société Fluides industrie, un fournisseur basé à Bordeaux (Gironde). Le problème provient des vieux tuyaux. D'ici peu, il devrait disparaître. « Plusieurs grosses coopératives du Bordelais ont décidé de supprimer leurs anciens tuyaux en PVC au profit de tuyaux sans phtalates, alors que des grands châteaux continuent de les utiliser », ajoutet- il. Dans le BTP, les tuyaux en PVC avec phtalates sont encore utilisés car ils sont moins chers. Il ne faut surtout pas les employer dans les caves, car les conséquences peuvent être désastreuses.
En effet, il n'existe pas de traitement pour réduire la contamination des vins. Les laboratoires expérimentent des pistes qu'ils gardent secrètes. Le seul moyen d'éliminer les phtalates d'un chai est de supprimer les sources de contamination pour les remplacer par leurs équivalents certifiés sans phtalates.
Il est également possible de mandater un laboratoire pour vérifier que les matériaux utilisés ne relarguent pas de phtalates à des niveaux supérieurs à la réglementation.
Les phtalates, des produits utilisés pour assouplir les plastiques
Les phtalates sont des substances qui entrent dans la fabrication des plastiques auxquels ils donnent de la souplesse. Ils ont longtemps servi à obtenir du PVC (polychlorure de vinyle) souple et flexible. Ils sont très peu solubles dans l'eau mais ont une forte affinité avec les graisses et certains alcools. Tous n'ont pas la même toxicité mais sont considérés comme des perturbateurs endocriniens. À forte dose, ils provoquent une baisse de la fertilité et des anomalies du développement du foetus et du nouveau-né. L'homme y est exposé par ingestion d'aliments contaminés par les plastiques utilisés durant la fabrication, le transport ou la conservation des aliments. À toutes ces étapes, les phtalates entrant dans la composition des plastiques peuvent migrer dans la nourriture. Les risques encourus dépendent des quantités ingérées, de la masse corporelle et de l'âge des personnes concernées, de la durée d'exposition et de la nature du phtalate. L'INRS (Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles) estime l'ingestion de phtalates via les aliments à 0,25 mg par jour.
Pas de seuils pour les aliments
En Europe, aucune loi ne fixe de limite admissible en matière de phtalates dans les vins et spiritueux, ni dans les autres aliments. La réglementation porte uniquement sur les matériaux. Pour être apte au contact alimentaire, les phtalates qu'ils renferment doivent satisfaire à des limites de migration spécifique (LMS). Par exemple, pour le dibutyl phtalate, la LMS est fixée à 0,3 mg/kg d'aliment (règlement européen n° 10/2011 du 14 janvier 2011). Les autorités chinoises ont repris ce seuil et l'ont appliqué pour tous les alcools qui, désormais, ne doivent plus contenir plus de 0,3 mg/l dibutyl phtalate.
Le Point de vue de
Michel Dulon, viticulteur sur 140 ha en AOC Bordeaux et Bordeaux supérieur à Soulignac (Gironde)
« Nos vins ont été bloqués par les douanes chinoises »
« Nous exportons l'ensemble de nos vins, ce qui représente 900 000 bouteilles. Le marché chinois représente environ 15 % de nos exportations. Il y a à peu près un mois, j'ai reçu un e-mail de mon client en Chine me signifiant qu'un conteneur était bloqué par les douanes. Nous n'avions jamais eu de problèmes de ce type avant. Les autorités chinoises auraient retrouvé des niveaux de phtalates supérieurs à 2 mg/l dans nos vins. Très inquiet, j'ai fait faire des analyses en France, mais les laboratoires n'ont pas l'habitude de ce genre de demande. Les premiers résultats n'étaient donc pas fi ables. J'ai ensuite commandé d'autres analyses qui ont montré que nos vins contiennent moins de dibutyl phtalate, la molécule la plus problématique, qu'annoncé par les Chinois. Notre oenologue a donc réalisé un certificat que nous avons envoyé en Chine et nous attendons les résultats. Le problème est que nous avons envoyé d'autres conteneurs avant même d'avoir été informés du blocage du premier. Ils risquent donc d'être coincés à leur tour. Actuellement, il est difficile d'identifier la source des contaminations. Les tuyaux, les gardes vins en polyester, les revêtements en époxy peuvent être des sources potentielles. Nous avons demandé des analyses pour déceler des phtalates sur des vins blancs qui ne sont passés qu'en cuve inox. Nous n'en avons pas retrouvé. En revanche, dans les vins rouges passés dans des cuves avec des revêtements en époxy, nous en avons décelé. »