Le 10 avril, Boris Calmette, a mis les choses au clair. Le président de Coop de France Languedoc-Roussillon et des Vignerons coopérateurs de France (CCVF) a organisé une conférence de presse pour affirmer son opposition à une limitation arbitraire des rendements des vins sans indication géographique (IG). Il voulait répondre à une proposition faite quelques jours plus tôt par Bernard Devic, président d'Inter-Sud (1), qui avait affirmé au quotidien « L'Indépendant » : « Il faut limiter les rendements pour les vins sans indication géographique produits sur les exploitations mixtes. »
Ce plafonnement vise à empêcher ce tour de passe-passe qui consiste à reporter des rendements excessifs de vignes conduites en IG sur des parcelles dédiées à la production de vins sans IG. Officiellement, tout le monde est d'accord pour interdire de telles fraudes. Reste à savoir comment faire.
« Limiter les rendements des vins sans IG dans les exploitations mixtes ne va régler aucun problème. Si le seuil est fixé à 130 hl/ha, les producteurs d'appellation qui ne doivent pas dépasser 50 hl/ha pourront toujours surproduire et éponger l'équivalent de 80 hl/ha, réplique, agacé, Boris Calmette. En revanche, le plafond de 130 hl/ha entraverait le développement des vins sans IG et limiterait notre compétitivité par rapport aux autres pays producteurs. Je suis d'accord pour fixer un rendement physiologique de la vigne au-delà duquel nous sommes tous d'accord qu'il n'est pas possible de produire du vin, mais il n'est pas question de limiter la dynamique des vins sans IG au motif que certains producteurs d'IG fraudent. »
« Vins réducteurs de prix »
Parmi les autres sujets d'actualité abordés par Boris Clamette lors de sa conférence de presse se trouvait la chaptalisation. Pour le représentant de la coopération viticole, la fin de l'aide à l'enrichissement par moût concentré rectifié (MCR) crée une distorsion de concurrence en défaveur de ses utilisateurs. Le handicap est réel puisqu'aujourd'hui, l'enrichissement par MCR coûte au moins trois fois plus cher qu'un sucrage à sec. C'est pourquoi la coopération du Languedoc-Roussillon souhaite avoir le droit de chaptaliser les vins sans IG. Or, si l'autorisation est donnée pour une catégorie de vins, elle le sera pour toutes les autres qui auront demandé le droit d'enrichissement.
L'annonce concomitante de l'opposition à la limitation des rendements et la volonté d'obtenir la chaptalisation dans le Midi ont mis le feu aux poudres. « Certains ont peur de voir les rendements en vins sans IG exploser pour la prochaine récolte, indique un responsable professionnel national. D'autant que cette année, la nature est très généreuse en eau. Même s'il est bien trop tôt pour réaliser une quelconque estimation de récolte, la crainte d'une surproduction est déjà présente dans certains esprits. »
Parmi eux, Jacques Gravegeal, président du Syndicat des producteurs de vin de Pays d'Oc. L'homme a toujours été opposé à la création des vins sans IG avec mention du cépage qu'il considère comme « des réducteurs de prix des vins de cépages ».
Ce détracteur des vins sans IG prédit une prochaine catastrophe dans le Midi si rien n'est fait pour éviter les vignes éponges. « Si 2013 redresse la barre au niveau des volumes, ce qui est souvent le cas après une récolte déficitaire, nous allons nous retrouver avec trop de vin. Dans ce cas, les premiers perdants seront les Languedociens. En effet, les premiers vins sans IG qui se vendent sont ceux de Bordeaux ! Après avoir acheté à Bordeaux, les opérateurs viennent s'approvisionner chez nous. C'est donc nous qui aurons des stocks sur les bras. »
Réplique immédiate du camp adverse : « Ceux qui agitent la peur d'une surproduction cherchent surtout à se garantir des rentes de situation sur leur propre segment. Il n'y a pas de surproduction aujourd'hui en France mais un souci de sous-commercialisation. Regardez les chiffres à l'export, la France ne cesse de perdre des parts de marché depuis plusieurs années car nous manquons de compétitivité. » L'analyse n'est pas d'un négociant, mais du même Boris Calmette.
Le sujet remonte au niveau national
Pour Philippe Coste, président de la Fédération sud des AOC (2), ceux qui prônent la liberté de produire des vins sans IG et le droit à chaptaliser sont dans l'erreur. « Nous sortons d'une crise importante et nous voyons bien que l'on a aucune maîtrise de l'équilibre des marchés, explose-t-il. Cela fait des années que le Languedoc se bat pour sortir de cette image de vignoble hyperproductif. Or, depuis peu, certains revendiquent cette voie. À les écouter, on replonge un siècle en arrière ! Ils veulent faire des viticulteurs du Midi des péons, obligés de demander des droits à paiement unique tellement le prix du vin est bas. »
Ce responsable a donc demandé au Comité régional de l'Inao (Crinao) de s'emparer du sujet. Dans un communiqué daté du 23 avril, le Crinao du Languedoc-Roussillon a pris position pour une « obligation réglementaire de plafonnement des rendements de vins sans IG dans les exploitations mixtes » et « un différentiel minimum entre les rendements de chaque catégorie de vin ». Maintenant, le sujet remonte au niveau national...
La Confédération française des vins de pays a elle aussi mis le sujet à l'ordre du jour lors de sa dernière réunion, le 30 avril. Mais elle n'a pas pris position. « Le problème est compliqué car il touche les équilibres économiques des différentes catégories de vin, explique le président Michel Servage. Par exemple, on s'aperçoit que dans les zones d'appellation, les dépassements du plafond limite de classement tendent à disparaître depuis la mise en place des vins sans IG avec mention de cépage. Au final, la crainte est de se retrouver avec trop de vins sans IG de cépage, sachant que cela aura forcément un impact sur le marché des IGP avec cépages... »
Sans compter que pour certains observateurs, l'usage des vignes éponges en vins sans IG pour régulariser le trop-plein produit sur des parcelles d'IG pose la question de l'intérêt des contrôles à la parcelle.
(1) Fédération des interprofessions d'AOC et d'IGP du Languedoc-Roussillon.(2) Fédération des ODG de vins d'appellations du Languedoc et de vins secs du Roussillon.
Des réserves hydriques au plus haut
Une fois n'est pas coutume, ce printemps a été très arrosé dans le Midi. « Nous étions en déficit jusqu'en février. Mais depuis la fin février, il pleut régulièrement. Entre le 27 et le 30 avril, on a dépassé les 50 mm », rapporte Jacques Oustric, de la chambre d'agriculture du Gard. De même, l'association climatologique de l'Hérault indique que de janvier à mars 2013, le cumul des précipitations est nettement supérieur à la moyenne. Dans ce département, il a beaucoup plu en mars, avec des cumuls de précipitations allant de 130 à plus de 500 mm. Du coup, les sols se sont bien rechargés en eau et les réserves hydriques sont bonnes. Face à cette situation, certains redoutent déjà des rendements élevés susceptibles de déséquilibrer les marchés.
Trois conflits larvés entre IG et sans IG
Les prises de positions dans le Midi ravivent les veilles rancoeurs et peurs entre partisans des vins avec et sans IG. Florilèges des tensions non apaisées...
- Les syndicats d'appellation et d'IGP assurent une « veille féroce » sur le respect de la réglementation en matière d'étiquetage des vins sans IG. L'expression est d'un contrôleur des fraudes. Des responsables syndicaux sont prompts à dénoncer les bouteilles « qui voudraient se faire passer pour des IG ». Rappelons que les vins sans IG ne peuvent mentionner aucune origine géographique. De même, ils se voient interdire certaines mentions comme « domaine », « mise en bouteille à la propriété », etc. (voir l'article p. 20)
- Anivin de France, l'interprofession des vins sans IG, utilise l'expression « Vin de France » pour sa communication autour des vins sans indication géographique. Cela exaspère certains responsables professionnels des vins d'appellation. Ils y voient un accaparement de l'origine France au profit d'une seule catégorie de vins. Or, « nous sommes tous des vins de France, car nous sommes tous des vins français », souligne un responsable professionnel. De leur côté, les vins sans IG rétorquent qu'ils ont l'obligation de mentionner « vin » et le nom de l'État membre où les raisins ont été récoltés.
- Lorsque les vins sans IG ont été créés en 2009, des responsables d'OGD (organisme de défense et de gestion) et d'interprofessions d'IG ont craint un transfert de volumes vers la nouvelle catégorie avec, à la clé, une baisse de leurs cotisations syndicales et de leurs CVO. Au final, l'hémorragie n'a pas eu lieu. Toutefois, les responsables d'ODG sont toujours gênés quand on leur fait valoir que leur système coûte plus cher que celui des vins sans IG. Ils se défendent en critiquant le système de contrôle des vins sans IG jugé « trop léger ».
Le Point de vue de
Bruno Kessler, président d'Anivin de France (interprofession des vins sans IG)
« Nous ne faisons pas le même métier »
«Il y a une incompréhension complète entre le monde des vins sans indication géographique et le reste de la filière viticole car, au final, nous ne faisons pas le même métier. Certes, nous produisons tous du vin mais avec des logiques totalement différentes. Les vins avec indication géographique partent de leur terroir et cherchent ensuite le consommateur. La réflexion est inverse chez les vins sans IG. Nous partons du consommateur pour remonter au verre. Nous analysons la demande et, une fois ce profil défini, nous réalisons les assemblages nécessaires pour coller au mieux à ce que veut le client. »