La mobilisation est exceptionnelle. À la hauteur des enjeux. De fin août à mi-septembre, plus de mille vignerons, salariés et techniciens agricoles et viticoles ont prospecté l'ensemble du vignoble bourguignon, soit quelque 29 000 hectares en production.
Par petits groupes, ils ont inspecté les vignes à la recherche de plants atteints de flavescence dorée. Même les distributeurs de produits phytos ont participé à cette traque qui s'étend de Chablis au Mâconnais – jusque dans quelques parcelles du Nord Beaujolais. Seuls quelques domaines n'ont pas participé à cette vaste opération collective, préférant organiser leur propre prospection.
« Avec l'esca et la flavescence dorée, nous sommes devenus de véritables randonneurs », préfère en sourire Pascal Thévenard, vigneron installé à Uchizy, une commune de Saône-et-Loire proche du principal foyer de flavescence découvert à Plottes fin 2011.
Pour monter cette opération inédite, toutes les organisations professionnelles et administrations concernées* se sont coordonnées. Dès 2012, elles ont créé une commission chargée de lancer ce marathon et d'aller sur le terrain pour attirer l'attention des vignerons sur le danger qui menace leurs vignes.
Éteindre le feu. Durant l'hiver et le printemps derniers, ODG et syndicats ont organisé une centaine de réunions avec des spécialistes pour détailler aux viticulteurs le plan de lutte et sa nécessité. « C'est comme si vous découvriez le feu dans votre maison sans encore bien voir son ampleur. La priorité est de l'éteindre. Après, on verra », illustrait Didier Sauvage, le responsable du service vigne et vin de la chambre d'agriculture de Saône-et-Loire lors d'une réunion à Buxy, ce printemps.
En effet, l'an dernier, la flavescence dorée a progressé malgré la lutte obligatoire décrétée sur 1 500 hectare dans le sud du département. À l'automne 2012, de nouveaux foyers ont été découverts au nord de ce vaste périmètre de lutte. En l'absence de mesures vigoureuses, ils risquaient d'exploser en raison de la présence de nombreuses cicadelles vectrices de la maladie, telles de l'huile près du feu.
Le préfet de Saône-et-Loire a donc déclaré la lutte obligatoire sur l'ensemble du département en 2013. En juin dernier, celui de Côte-d'Or a également pris un arrêté de lutte obligatoire alors même qu'aucun foyer de flavescence dorée n'avait encore été identifié dans ce département. Cet arrêté a imposé aux vignerons de réaliser un seul traitement contre la cicadelle de la flavescence dorée cet été pour diminuer les populations du vecteur de la maladie.
Une opération collective. Mais le second volet de ce plan de lutte, la prospection à grande échelle, était de loin le plus minutieux. De fin août à mi-septembre, des techniciens ont formé, dans chaque commune, des vignerons à la reconnaissance des symptômes de la flavescence dorée, à savoir : décoloration sectorielle ou totale des feuilles, enroulement, absence d'aoûtement et flétrissement des grappes. Ces viticulteurs, devenus responsables communaux, ont ensuite donné rendez-vous à leurs confrères pour prospecter les vignes. Ce sont eux qui ont transmis les résultats de leurs recherches à la Fédération régionale de défense contre les organismes nuisibles (Fredon).
En Côte-d'Or, les salariés des grands domaines et de maisons de négoce ont prêté main-forte aux vignerons. « De grosses communes comme Meursault, Chassagne-Montrachet, Puligny-Montrachet ou encore Santenay ont été totalement prospectées en une à deux journées », se félicite Charles Chambin, de la Fredon Bourgogne.
À Meursault, le 9 septembre, lors du casse-croûte qu'ils ont organisé durant leur prospection, les vignerons ont servi des bouteilles de Mâcon-Uchizy, une commune située au cœur du foyer initial où une dizaine de viticulteurs ont dû arracher leurs vignes cet hiver. Une forme de soutien à leurs confrères. Un beau symbole.
Pendant leurs recherches, les viticulteurs ont marqué et repéré sur des cartes les ceps leur paraissant suspects. Des milliers. Munis de ces documents, des techniciens certifiés par l'État passent actuellement dans les vignes pour prélever des feuilles sur ces pieds marqués en vue de les analyser au laboratoire. La flavescence dorée se confond en effet avec le bois noir. Seuls des tests sérologiques permettent de distinguer avec certitude les deux maladies. Au total, 2 000 analyses sont prévues.
Désormais, le temps presse pour recueillir des feuilles de pieds suspects. En effet, elles pourraient rapidement tomber après les vendanges, qui ont débuté fin septembre au sud de la Bourgogne et début octobre au nord. De plus, les organisateurs savent qu'ils ne pourront pas analyser tous les pieds alors qu'il faudra arracher tous ceux qui présentent des symptômes de jaunisse, comme l'imposent les arrêtés de lutte obligatoire. « C'est un grand nettoyage qui se prépare. Après, ce sera plus ciblé », insistent tous les techniciens et élus qui attendent désormais les premiers retours. « Avec ces 2 000 analyses, nous aurons un bilan précis de la situation en Bourgogne. À l'avenir, nous pourrons appliquer la lutte insecticide uniquement sur des zones où le risque de dispersion sera avéré du fait de la présence de la maladie et du vecteur », précise Charles Chambin. Mais pour quelques viticulteurs, le plus dur reste à faire : opérer les arrachages qui s'imposeront.
*L'interprofession (BIVB), les syndicats viticoles (CAVB), l'administration (SRAL), la Fédération régionale de défense contre les organismes nuisibles (Fredon), les chambres d'agriculture et le Sedarb, une association de développement de l'agriculture biologique.
Des drones contre les jaunisses
Mi-août, un drone a survolé deux parcelles du Mâconnais pour y détecter des plants jaunissants. « Les premiers résultats sont encourageants. L'inspection a duré dix à quinze minutes par hectare. En quarante-cinq jours, le temps dont on dispose généralement pour rechercher les plants atteints de flavescence dorée, un drone pourrait donc survoler 3 000 ha. À ce compte, il n'en faudrait qu'une dizaine pour couvrir l'ensemble du vignoble bourguignon », imagine Franck Brossaud, directeur adjoint du pôle Technique du BIVB. Le drone avait embarqué un appareil photo. Reste à traiter les images prises à cette occasion pour voir s'il est possible de repérer automatiquement les plants malades. C'est l'affaire d'AgroSup Dijon (Côte-d'Or), école d'ingénieurs agronomes, et de Global Sensing Technologies, société spécialisée dans le traitement informatique de données. Les deux partenaires vont croiser leurs résultats avec les informations recueillies sur le terrain. « Il faudra distinguer les plants atteints de flavescence de ceux atteints d'enroulement », précise Franck Brossaud. Les drones pourraient également servir à déterminer le stress hydrique ou la vigueur des vignes avec des caméras infrarouges.