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DOSSIER - La viticulture solidaire et généreuse

Le difficile soutien aux viticulteurs grêlés

COLETTE GOINÈRE, INGRID PROUST - La vigne - n°258 - novembre 2013 - page 36

Des syndicats ont réuni des fonds pour venir en aide à leurs membres ou à des confrères victimes de la grêle cette saison. Mais les sommes qu'ils ont collectées sont sans commune mesure avec les dégâts subis par les viticulteurs.
BRUNO DE LAMBERT, vice-président de l'ODG de Pomerol, a écrit à ses adhérents pour leur proposer de faire un don aux viticulteurs des appellations voisines. © S. KLEIN/DIVERGENCE

BRUNO DE LAMBERT, vice-président de l'ODG de Pomerol, a écrit à ses adhérents pour leur proposer de faire un don aux viticulteurs des appellations voisines. © S. KLEIN/DIVERGENCE

JEAN-MICHEL PIEAUX, président du syndicat de Vouvray, pendant le concert solidaire donné cet été.

JEAN-MICHEL PIEAUX, président du syndicat de Vouvray, pendant le concert solidaire donné cet été.

BORDEAUX : Pomerol lance un appel aux dons

24 000 hectares de vignes touchées, dont 4 700 hectares avec des pertes de récoltes estimées entre 80 et 100 %. Le coup est très dur pour les viticulteurs de l'Entre-deux-Mers et de la région de Castillon frappés par l'orage de grêle du 2 août dernier. Outre les mesures d'urgence mises en place par les pouvoirs publics, quelques opérations de solidarité émergent. Ainsi, dès le 28 août dernier, l'ODG de Pomerol a envoyé un courrier aux 138 viticulteurs de son appellation leur suggérant de faire un don. « Même si une partie de notre appellation Pomerol a été un peu touchée par l'orage du 26 juillet, nous sommes loin d'avoir eu les dégâts subis par nos voisins, qui de plus, ont des prix de vente beaucoup moins rémunérateurs que les nôtres », écrit le syndicat.

« Nous avons proposé à nos membres de constituer une réserve alimentée par des dons. Nous leur suggérons d'apporter un minimum de 100 €/ha. Nous remettrons le montant récolté à la Fédération des grands vins de Bordeaux qui en assurera la répartition entre les viticulteurs sinistrés », rapporte Bruno de Lambert, vice-président de l'ODG.

Mi-octobre, une quinzaine de donateurs anonymes de Pomerol avaient joué le jeu, offrant 60 000 euros. « Il y a eu d'emblée un élan de générosité. Mais il s'est calmé avec les vendanges, observe Henry Gasparoux, trésorier de l'ODG. Après les vendanges, nous allons envoyer un nouveau courrier remerciant les donateurs et incitant les autres à se manifester. »

Pomerol a-t-il fait des émules ? Pas sûr. « J'approuve cette initiative, mais elle paraît difficile à dupliquer, estime Philippe Hermouet, le président de l'ODG de Fronsac, une appellation voisine de Pomerol. Nos viticulteurs n'ont qu'une demi-récolte après avoir subi la coulure. Ce n'est pas évident de leur demander une contribution solidaire. »

À Saint-Émilion, le syndicat n'a pas abordé le sujet. Les responsables ne sont pas franchement tentés d'engager le débat avec ceux qui préconisent une ligne dure. Pourquoi mettre la main au portefeuille alors que la grêle est un risque assurable ? demandent-ils, voyant que la grande majorité des viticulteurs touchés n'était pas assurée.

À Montagne Saint-Émilion, l'ODG se veut « solidaire » et « bienveillant » à l'égard de ses confrères. Le contexte est particulier. Rappel des faits : l'organisme a été condamné à verser près de 60 000 euros à l'organisme d'inspection et de contrôle Qualityvin au titre de la redevance due pour l'exercice 2010. Sauf que Qualityvin est en liquidation amiable. La somme due par l'ODG risque donc de finir en boni de liquidation, c'est-à-dire en excédent de la structure qui sera partagé après sa liquidation. Or, étant une association, elle ne peut la reverser qu'à une autre association ou à un groupement d'intérêt public, mais pas à ses associés. Montagne Saint-Émilion considère que cette somme devrait aider des viticulteurs touchés par la grêle de cet été. « Nous faisons pression auprès de Qualityvin pour qu'elle soit reversée à l'ODG Côtes de Castillon », assure Bruno Marchand, à la tête de l'ODG Montagne Saint-Émilion.

De son côté, la Fédération des grands vins de Bordeaux – qui réunit tous les syndicats d'AOC de Gironde – tente de mettre sur pieds un fonds de dotation dont elle aurait la gestion. Toute la difficulté est d'obtenir que ce fonds soit classé d'intérêt général afin qu'il bénéficie de la fiscalité très favorable des organismes sans but lucratif. Dans le cas contraire, il supporterait 60 % de taxes sur les dons reçus. « Nous attendons des réponses de la part de l'administration fiscale. Nous ne voulons pas donner de faux espoirs aux victimes de la grêle », avise Yann Le Goaster, directeur de la fédération.

À Pomerol, Bruno de Lambert est très clair : « Nous voulons une garantie totale sur la façon dont les dons seront utilisés. Pas question qu'ils soient fiscalisés. Si c'était le cas, nous rembourserions cet argent à l'ensemble des donateurs », prévient-il.

VOUVRAY : Le syndicat vend un stock de vin

Cette année, une dizaine de vignerons de Vouvray n'a pas, ou presque, de récolte après avoir subi le terrible orage de grêle du 17 juin. Certains ont heureusement pu constater la solidarité de leurs confrères, eux-mêmes parfois durement touchés.

Laurent Kraft, dont le vignoble a été meurtri à 80 %, a fait preuve de générosité pour son voisin, lequel a vu sa récolte détruite quasiment en totalité. « Il n'a récolté que 2 hl/ha, s'indigne-t-il. Je lui ai donné une benne de raisins, l'équivalent de 20 hl. Je suis assuré contre la grêle, pas lui. Je travaille avec lui. Nous avons acheté du matériel ensemble. Il n'est pas dans mon intérêt que son exploitation n'aille pas bien. »

D'autres vignerons ont acheté de la vendange à des confrères de l'appellation, comme l'arrêté préfectoral pris cet été les y autorise. Les transactions ne se sont pas déroulées dans un climat de spéculation, précise Jean-Michel Pieaux, président du syndicat de Vouvray : « Les prix ont été revus à la hausse par rapport à la dernière campagne, mais sont restés raisonnables. »

Au niveau du syndicat, la solidarité s'est organisée dès cet été avec un concert accompagné d'une dégustation vente de vins, au profit des vignerons les plus touchés. Cette vente a rapporté autour de 2000 euros. Une autre opération a permis de récolter une plus belle somme. « Il y a quelques années, nous avions découvert un important stock de vins anciens dans la cave de la maison que nous venions d'acheter pour héberger le syndicat. Nous l'avons vendu à la coopérative de Vouvray pour 30 000 euros », sourit Jean-Michel Pieaux.

Une recette providentielle qui va permettre de soutenir les exploitations les plus en peine. « Nous pourrons épauler des vignerons pour leurs frais de main-d'œuvre ou de traitements, note Laurent Kraft, trésorier du syndicat. Mais la question est de savoir jusqu'à quel niveau on peut les aider. » Jean-Michel Pieaux a demandé à son conseil d'administration de réfléchir aux règles de distribution de cette somme. « Cela fera l'objet de débats cet hiver », dit-il.

Le conseil général de Gironde met la main à la poche

Le conseil général de la Gironde a affecté une enveloppe de 300 000 euros à l'aide aux sinistrés touchés par la grêle. Il accordera une aide directe de trésorerie de 1 000 à 2 500 euros suivant le type d'exploitation (individuelle ou sociétaire) aux viticulteurs assurés ayant subi une perte de récolte supérieure à 50 %. Ces viticulteurs pourront également obtenir la prise en charge d'une partie du coût de leurs prêts bancaires. « Les viticulteurs non assurés ne sont pas exclus, mais ils ne seront pas aidés autant que les autres », prévient Jean-Luc Gleyze, vice-président du conseil général, en charge de l‘aménagement économique solidaire. Ainsi, les non-assurés ayant subi une perte supérieure à 50 % ne bénéficieront que de bonifications d'intérêts bancaires, sous réserve de s'engager à s'assurer. Enfin, 75 exploitations déjà dans le rouge et ayant subi la grêle vont être auscultées au cas par cas. Si leur banque les juge pérennes, le département pourra apporter une caution à hauteur de 50 % de leurs besoins de financement.

L'essentiel de l'offre

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