Retour

imprimer l'article Imprimer

DOSSIER - Tour des vignobles : gagnants et perdants d'une récolte compliquée

BOURGOGNE L'heure des interrogations

CÉDRIC MICHELIN - La vigne - n°260 - janvier 2014 - page 48

Après deux petites récoltes successives, la région manque cruellement de vins. Elle impose de fortes hausses de prix. Et elle commence à se demander si elle n'a pas été trop malthusienne sur les rendements.

La Bourgogne est dans une situation inédite. Après deux petites récoltes successives en 2012 et en 2013, couplées à des sorties record, elle manque de vins. « D'une surproduction il y a encore peu, nous sommes passés à une pénurie », résume Michel Baldassini, le président délégué de l'interprofession (BIVB) jusque mi-décembre. Les stocks à la propriété sont épuisés.

Résultat logique, les marchés en vrac se tendent. Les prix des vins blancs atteignent des sommets. Les appellations régionales enregistrent 40 à 50 % de hausse par rapport au cours moyen de 2012-2013. En novembre dernier, la pièce de 228 l de bourgogne blanc ou de mâcon blanc est ainsi passée à 767 euros, soit 336 €/hl. Les mâcons suivis de nom de commune grimpent jusqu'à 900 euros la pièce.

Les metteurs en marché réussiront-ils à faire accepter ces hausses à leurs clients ? Les rendez-vous s'enchaînent avec la grande distribution et les importateurs sans toujours aboutir. Mais le directeur des Terres secrètes, Xavier Migeot, ressent « un renversement dans le pouvoir de négociation » à l'avantage de la production. Cette cave coop du Sud Mâconnais a déjà fait passer des hausses l'an dernier. Malgré cela, elle a réalisé des ventes record avec 5,5 millions de cols (18,3 millions d'euros de chiffre d'affaires, soit 24 % d'augmentation). « Nous avons connu onze mois consécutifs de ventes en hausse », savoure Xavier Migeot.

Contrats annuels et investissements. Même constat du côté de son homologue du Nord Mâconnais, la cave de Lugny (Saône-et-Loire), qui réalise aussi une montée en gamme de ses appellations régionales. En 2012-2013, son chiffre d'affaires a progressé de 9 %, à 33,2 millions d'euros, avec des volumes stables.

Pris dans l'étau de la hausse des prix et de la baisse de l'offre, les négociants cherchent à sécuriser leurs approvisionnements. Certains proposent des contrats annuels aux viticulteurs. D'autres investissent dans l'achat de vignobles.

De tout temps, le négoce bourguignon a été propriétaire de vignes. La crise dans le Beaujolais a permis à des maisons de Beaune et de Nuits-Saint-Georges (Côte-d'Or) de s'y implanter pour replier des crus du Beaujolais en AOC Bourgogne. Une manière d'accroître leur approvisionnement.

Désormais, le négoce investit aussi dans le Mâconnais. En novembre dernier, Veuve Ambal s'implantait à Igé (Saône-et-Loire) en rachetant un domaine de 17 ha. Cette maison spécialiste des crémants, basée à Montagny-lès-Beaune (Côte-d'Or), s'était déjà illustrée en acquérant des exploitations entières dans le Couchois. Louis Bouillot, un autre spécialiste du crémant appartenant au groupe Boisset, a fait de même.

« Nous sommes propriétaires de 230 ha de vignes, ce qui représente 30 % de nos approvisionnements », explique Aurélien Piffaut, le responsable des ventes au États-Unis de Veuve Ambal.

Emmanuel Cordier, directeur de la Safer de Saône-et-Loire, voit dans ces opérations un changement profond. « La Bourgogne n'était jusqu'à présent qu'un marché de parcelles, observe-t-il. Aujourd'hui, des exploitations entières arrivent sur le marché. Le capital à racheter est important. Et là, il n'y a pas beaucoup de repreneurs potentiels. » Aucun vigneron n'était en capacité d'acheter dans leur globalité les exploitations récemment mises en vente. Une situation qui alerte la viticulture.

Baisse structurelle des rendements. « 2011 est notre dernière récolte pleine, souligne Michel Barraud, le président de la Fédération des caves coopératives de Bourgogne-Jura. Notre vignoble vieillit et ne se renouvelle pas assez. L'esca, les maladies cryptogamiques, la flavescence dorée et une météo capricieuse entraînent une tension économique importante sur les exploitations. » Difficile dans ces conditions de constituer des réserves pour réaliser de gros investissements lorsqu'une occasion se présente.

Cette année, les Bourguignons n'ont qu'une idée en tête : réaliser une récolte pleine et retrouver leur 1,5 million d'hectolitres habituel. Beaucoup vont modifier leurs itinéraires techniques pour obtenir de meilleurs rendements.

« Si on regarde bien, on n'a fait que baisser les rendements, note le président de la Confédération des appellations et des vignerons de Bourgogne, Jean-Michel Aubinel. Nous arrivons à un seuil de rupture. Il faut revenir à notre potentiel de production, tout en gardant notre capacité à produire des grands vins. » Les regards se tournent naturellement vers l'Inao. « L'institut vient d'accepter le système des volumes complémentaires individuels pour le blanc, précise Michel Barraud. C'est un gage de sécurité... à condition que nous arrivions à produire ces volumes complémentaires. » L'Inao et les organisations professionnelles accepteront-ils de rediscuter des rendements ?

7 EUROS TTC LE COL

C'est le prix moyen de vente d'une bouteille d'AOC Bourgogne en grande surface en France. Un prix élevé mais accepté puisqu'en 2012-2013, les ventes de vins de Bourgogne (toutes AOC) en grandes surfaces ont progressé en volume (+ 2,2 % par rapport aux douze mois précédents) et en valeur pour atteindre le record de 206,1 millions d'euros (+ 4,2 %).

Le Point de vue de

Aubert Lefas, du domaine Lejeune, à Pommard (Côte-d'Or), 5 ha en AOC Bourgogne et 5 ha en AOC Pommard premier cru, 500 000 euros de chiffre d'affaires

« Dans le rouge avec une image de nantis »

Aubert Lefas © DOMAINE LEJEUNE

Aubert Lefas © DOMAINE LEJEUNE

« Suite à l'orage de grêle qui a frappé la côte de Beaune le 23 juillet, nous avons perdu la moitié de notre récolte. Nous sommes à 18 hl/ha en moyenne en 2013. La récolte de 2012 était déjà faible à cause de la forte pression parasitaire, sans oublier 2010 (- 25 %) et 2011 (- 10 %). Nous sommes assurés à 100 %, mais les indemnités ne vont pas suffire. D'autant que nos coûts de production ont doublé ces dernières années, atteignant 45 000 euros par hectare en moyenne avec quatre salariés, et alors que nous payons 90 000 euros de fermages par an. Comme nous élevons nos vins, une petite récolte n'a pas d'impact immédiat sur notre trésorerie. Mais nous n'avons plus de stock. Notre trésorerie va se tendre en 2014 et en 2015. J'ai anticipé et augmenté de 10 % mes prix. Nous perdons des clients particuliers, mais en démarchons de nouveaux, plus exigeants. En revanche, pour l'export et les acheteurs professionnels, c'est plus délicat. Mais je n'ai pas d'autre choix que d'augmenter mes prix, car je ne peux pas vendre plus : je n'ai pas de stock et peu de possibilité d'acheter des vins à des collègues, car ils sont dans la même situation que moi. J'ai réalisé un plan de financement avec mon comptable pour aller négocier un emprunt bancaire à court terme. Pour moi, 2014 sera l'année de tous les dangers. Nous sommes dans le rouge alors que nous avons une image de nantis. »

Cet article fait partie du dossier Tour des vignobles : gagnants et perdants d'une récolte compliquée

Consultez les autres articles du dossier :

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :