MATTHIEU FRÉCON (À GAUCHE) a la satisfaction de voir la relève assurée grâce à Martial Berthaud, à côté de lui, et Quentin Le Cléac'h, à droite. PHOTOS P. PARROT
La fine Faugères, c'est une histoire d'alchimie. Et pas seulement dans l'art d'extraire l'alcool des vins de ce cru du Languedoc. Tout récemment, c'est l'alchimie d'une rencontre qui redonne un souffle à cette eau-de-vie plus que centenaire qui a maintes fois frôlé la disparition.
En août 2013, Quentin Le Cléac'h et Martial Berthaud veulent s'installer comme bouilleurs de cru. Ils viennent timidement demander conseil à celui qu'ils considèrent comme « le pape » de cette discipline, Matthieu Frécon, installé depuis 2005 dans l'ancienne distillerie d'Autignac (Hérault). Le courant passe. Les jeunes gens souhaitent acheter du matériel à leur mentor ; le maître distillateur leur propose de reprendre son atelier, installé dans des locaux appartenant à l'Union des distilleries de la Méditerranée (UDM).
Ce passage de relais conforte la dizaine de vignerons qui, depuis 2000, essaie de relancer la fine. « Cette eau-de-vie est l'âme de notre terroir. Elle fait partie de notre histoire. Il aurait été dommage qu'elle se perde », confie Françoise Ollier, qui fait partie de cette poignée de vignerons mobilisés.
Les premières fines Faugères dateraient de la fin du XVIIIe siècle. Mais la production prend véritablement son essor à partir de 1850, quand Noël Salles, négociant et distillateur à Bédarieux, installe une nouvelle distillerie à la gare de Faugères. Après la Seconde Guerre mondiale, une association de défense travaille à la reconnaissance de cette eau-de-vie. Cette démarche aboutira le 19 mars 1948 : la fine Faugères devient appellation d'origine réglementée (AOR).
Péril en la demeure. Une consécration qui tourne court : en 1985, la distillerie Salles ferme ses portes, mettant un terme à la production. C'est seulement à l'aube du nouveau millénaire qu'un petit groupe de vignerons relance l'eau-de-vie. À l'époque, il y a péril en la demeure. L'Inao ne souhaitait pas conserver une appellation qui ne fonctionnait plus depuis quinze ans.
« Le plus compliqué, raconte Françoise Ollier, a été de trouver un bouilleur ambulant, car le décret impose que la fine soit distillée dans l'aire d'appellation en alambic charentais à repasse. » L'homme providentiel est finalement déniché à Montpeyroux, dans l'Hérault. Matthieu Frécon est venu plusieurs années distiller les vins de Faugères en s'installant sur la voie publique avant de s'implanter en 2005 dans les anciens locaux de la distillerie d'Autignac.
Aujourd'hui, une quinzaine de vignerons perpétuent la tradition. Avec 2 hl de vin, ils obtiennent environ 225 litres d'eau-de-vie, de quoi remplir une barrique. La production annuelle varie entre 1 000 et 4 000 litres. Cette année, deux vignerons qui n'avaient encore jamais distillé se sont lancés. La renaissance de la fine Faugères est en route.
Dans un alambic à repasse
La fine de Faugères est la seule eau-de-vie du Languedoc distillée en alambic charentais à repasse. Les vins y sont distillés en deux temps. La première chauffe donne un brouillis titrant 30 % vol. d'alcool. La seconde chauffe permet de concentrer le degré et, surtout, d'éliminer les alcools de tête et de queue. « C'est plus long, mais la chauffe est plus douce. On ne garde que le coeur de chauffe : une eau-de-vie aux arômes subtils », soutient Quentin Le Cléac'h. Le décret impose au moins cinq ans de vieillissement en barriques, lequel est pris en charge par l'UDM. Les vins distillés doivent être du millésime de l'année et peu sulfités : le SO2 n'est pas éliminé par la distillation et le soufre est nocif pour les alambics en cuivre. À Faugères, où le bio progresse, cette contrainte est bien respectée.