Fin août, l'Institut coopératif du vin (ICV) s'est rendu à la cave des Vignerons du Mont Sainte-Victoire, à Puyloubier (Bouches-du-Rhône), pour lui faire passer l'audit final qui lui permettra d'intégrer la démarche Vignerons en développement durable (VDD). Depuis, tout le monde attend le verdict. « En 2007, 70 % de nos vignerons suivaient les principes de l'agriculture raisonnée, raconte Georges Guinieri, le président de la cave. En 2012, nous n'étions pas certains que cette démarche allait perdurer, mais nous voulions poursuivre notre engagement environnemental et ne pas perdre le bénéfice de nos efforts. »
Un vrai projet d'entreprise. « Nous avons alors été séduits par ce que propose VDD. Il s'agit d'un véritable projet d'entreprise qui concerne aussi bien les vignerons coopérateurs que tout le travail en cave, où les salariés doivent être formés. Aucune autre démarche ne ressemble à celle-ci. »
Initiée en 2007 par l'ICV, à Lattes (Hérault), la démarche VDD repose sur deux référentiels. Le premier s'adresse aux vignerons coopérateurs. Il comprend un diagnostic des exploitations. Celui-ci consiste en un calcul de leur durabilité en fonction de leur milieu, de leur impact sur l'environnement et de leurs pratiques. À partir de cet état des lieux, l'ICV donne des objectifs collectifs et établit des plans d'action individuels avec chaque exploitant.
Le deuxième référentiel concerne la cave. Il se compose de 37 enjeux qui tiennent à la fois compte des aspects sociaux, environnementaux et économiques. « Les autres certifications n'englobent pas la totalité de la notion de développement durable, et elles ne sont pas spécifiques au monde du vin », explique Charlotte Slingue, consultante qualité et développement durable à l'ICV.
Quatorze caves et 3 000 vignerons dans la démarche VDD. « Nous avons donc construit nos propres référentiels. Et en 2010, nous avons créé l'Association VDD, composée de dix caves viticoles pionnières. Nous avons aussi lancé une marque et un logo. Aujourd'hui, quatorze caves sont en démarche VDD, ce qui représente environ 3 000 vignerons. Deux autres attendent la validation de leur candidature », poursuit Charlotte Slingue.
Pour qu'une cave obtienne la marque VDD, elle doit entraîner dans la démarche des coopérateurs qui représentent au moins 50 % des déclarations de récolte. Au Mont Sainte-Victoire, les inscrits produisent 80 % des volumes. « Nous vendons tout notre côte-de-provence rosé en vrac à des négoces qualitatifs. La marque VDD sera un plus évident pour nos acheteurs, note Georges Guinieri. Cela ne fera qu'accentuer la mise en avant de notre engagement et fidélisera notre clientèle. »
Aux Vignobles Dom Brial, à Baixas (Pyrénées-Orientales), 120 des 300 vignerons coopérateurs de la cave ont intégré la démarche, soit 80 % des surfaces de vigne et 85 % de la déclaration de récolte. « L'ICV nous a contactés en 2010, car il cherchait une cave importante dans notre secteur pour mettre en place la démarche VDD », confie Agnès Arquier, technicienne vignoble et environnement chez Dom Brial.
Répondre aux attentes des clients. « Nous pratiquions déjà ce qui était proposé, mais sans forcément tout noter. Nous réalisions un tri sélectif de nos déchets et nous les valorisions. Nous avions une traçabilité des traitements phytosanitaires. Nous faisions un bilan carbone de l'ensemble de nos activités. Nous nous orientions vers une fertilisation naturelle. Nous avons trouvé intéressant d'intégrer la démarche, pour mettre en avant notre engagement et répondre à une attente de nos clients. Le fait de poser le logo VDD sur nos bouteilles amène les consommateurs à nous poser des questions sur nos pratiques et influence positivement nos relations avec les acheteurs professionnels. »
Dom Brial a été intéressé par le fait que VDD n'est pas uniquement un référentiel environnemental, mais aussi sociétal et économique. « Cette démarche nous permet aussi de devancer les futures réglementations, par exemple sur l'utilisation des produits phyto dont le nombre se réduit au point que le travail mécanique du sol pourrait devenir la règle dans certains cas », souligne Agnès Arquier.
Mais en 2012, Dom Brial a également intégré la démarche Agri Confiance.
Créée en 1992 par Coop de France, Agri Confiance s'adresse à l'ensemble du monde agricole. Elle repose sur une norme Afnor (NF V01-007) qui certifie un système de management de la qualité et de l'environnement. « Cette deuxième démarche nous apportait un engagement réciproque entre la cave et les coopérateurs. Elle nous a permis de mieux gérer notre amont », précise Agnès Arquier.
Un fonctionnement plus coopératif. Le contrat d'engagement réciproque signé entre la cave et ses coopérateurs renforce les relations entre les deux parties. « Nous avons créé une commission Agri Confiance animée par les vignerons. Nous organisons des formations pour les producteurs, ainsi que des réunions bilan. Notre fonctionnement est plus coopératif et cela permet aussi à la cave de davantage gérer les productions de raisins. »
La cave Dom Brial communique sur VDD auprès de sa clientèle particulière, sur ses bouteilles et tous ses documents (PLV, courriers, mails...) et elle met Agri Confiance en avant pour ses ventes de vrac. « Cela permet de vendre un peu plus cher, reconnaît Agnès Arquier. Les Vignerons catalans nous achètent l'hectolitre vrac de côtes-du-roussillon rouge ou rosé 18 % plus cher s'il est certifié Agri Confiance. Une différence reversée aux vignerons, qui permet de compenser le temps de travail administratif supplémentaire imposé par la certification. »
« La démarche Agri Confiance est très présente dans le monde viticole, indique Rachel Blumel, directrice d'Agri Confiance. Quarante-quatre caves sont adhérentes, regroupant 4 500 viticulteurs. Six autres caves sont en attente de certification. Les caves et une partie des vignerons sont audités chaque année par un organisme certificateur indépendant, et des audits internes sont régulièrement effectués. »
L'utilisation du logo Agri Confiance sur les produits n'est pas obligatoire, si bien que la marque connaît un déficit de notoriété. Avant-gardiste il y a vingt ans, elle doit aujourd'hui communiquer davantage si elle veut se faire connaître du grand public. « C'est d'ailleurs pour cela que nous avons quitté la démarche au bout de trois ans, explique Daniel Rieux, directeur de la cave du Pays de Quarante (Hérault). Nous avons adhéré il y a une dizaine d'années. Nous avons fait ce qu'il fallait pour être certifiés, d'autant que nous étions déjà engagés dans l'agriculture biologique depuis 1992, mais nous aurions voulu un retour immédiat en terme de notoriété. Nous pensions que la grande distribution allait suivre plus rapidement et exiger la marque, mais ça n'a pas été le cas. Difficile d'engager des dépenses s'il n'y a pas de retombées. » Pour une cave coopérative qui compte jusqu'à 200 coopérateurs, la cotisation Agri Confiance est de 2 500 € par an. Puis elle augmente pour plafonner à 11 500 € par an pour 900 producteurs et plus. Des sommes auxquelles il faut ajouter le coût des audits. Aujourd'hui, la cave du Pays de Quarante se spécialise plutôt dans le bio et bâtit un nouveau chai qui lui sera spécialement dédié.
Un attrait pour la grande distribution. Depuis 2010, les choses changent car la grande distribution, à l'image de Système U, souhaite avoir de plus en plus de fournisseurs certifiés Agri Confiance. C'est sur cette tendance qu'ont parié les vignerons de l'Union de caves Marrenon Vignobles en Luberon & Ventoux, qui adhèrent à Agri Confiance depuis 2009 pour leurs vins sous AOC Ventoux et Luberon. 90 % de leurs volumes sont engagés, ce qui leur coûte 15 000 € par an en cotisation et en audit. « Nous apposons le logo sur nos bouteilles et Bag-in-Box de marque Aiguebrun, vendus en France en grande distribution, témoigne Philippe Tolleret, le directeur général. Lorsque nous avons changé nos packagings, il y a trois ans, nous avons sondé des consommateurs sur la lisibilité du logo. Depuis, nous l'appliquons seul sur nos bouteilles pour ne pas encombrer la contre-étiquette et nous le complétons des cinq phrases clés détaillant la démarche sur nos Bag-in-Box. Lorsqu'elle est expliquée, la démarche Agri Confiance est bien perçue et appréciée. Mais le logo seul n'est pas compris. Nous gagnerions à ce que toutes les coopératives agricoles et viticoles adhérentes mettent le logo sur leurs produits phares. Cela pourrait être un critère de différenciation positive et une assurance pour le consommateur, à l'image de ce qui se passe avec les circuits courts. »
En 2015, pour gagner en visibilité, l'association Agri Confiance déploiera justement un plan de communication qui portera notamment sur les réseaux sociaux.
Anne de Joyeuse Protect Planet, une marque privée pour se démarquer
« Nous avons toujours été très impliqués dans la protection de l'environnement, c'est dans nos gènes », témoigne Guy Andrieu, le directeur de la cave Anne de Joyeuse, à Limoux, dans l'Aude. Il y a dix ans, la coopérative a adhéré à la démarche Agri Confiance. « Aucune autre marque fédératrice n'existait à l'époque, mais celle-ci ne s'est mise à communiquer qu'assez récemment, il y a trois ou quatre ans. » En 2007, Anne de Joyeuse va même plus loin que le référentiel sur lequel s'appuie Agri Confiance. « Nous avions des exigences en termes de biodiversité ou de respect des nappes phréatiques, et nous voulions le dire. » Elle a donc créé la marque Protect Planet. « Le fait qu'il s'agisse d'un nom à consonance anglaise, nous permet d'avoir une visibilité à l'étranger. C'est important car nous vendons 50 % de nos vins à l'export. » 70 % des 370 vignerons de la cave sont engagés, mais l'objectif est de passer à 100 % d'ici trois ans. « Cela nécessite un gros travail de formation, notamment en informatique, car les vignerons doivent tout enregistrer en direct. »
Actuellement, la cave ne vend ses vins qu'en circuits spécialisés. Elle n'utilise que la marque Protect Planet, prévoyant d'utiliser Agri Confiance dans le futur. « C'est un véritable élément différenciateur pour une petite structure comme la nôtre, qui produit 5,5 millions de bouteilles et réalise 35 M€ de chiffre d'affaires. Les 52 commerciaux indépendants avec lesquels nous travaillons en font un argument de vente. Notre chiffre d'affaires a progressé de 10 % par an ces deux dernières années et de 6 % cette année, et Protect Planet est en partie responsable de cette croissance. On peut vraiment dire que ça nous rapporte plus que cela nous a coûté financièrement. Nous gardons la marque Agri Confiance pour le moment où nous serons prêts à aborder la grande distribution. »
Balma Venitia La charte Vivre signée par tous les vignerons
Voilà plus de vingt-cinq ans que les Vignerons de Balma Venitia, à Beaumes-de-Venise, dans le Vaucluse, sont engagés dans une démarche collective de protection et de respect du terroir. En 1998, ils ont rédigé leur propre charte dénommée Vivre (Vignerons investis en viticulture respectueuse de la vie et de l'environnement) qui décrit l'itinéraire technique à suivre tant au niveau des travaux dans les vignes que des opérations à la cave. Dès 2000, les 160 vignerons coopérateurs de la cave y ont adhéré. Cela leur a permis d'obtenir, en 2010, une qualification agriculture raisonnée et, en 2012, la certification environnementale de niveau 2, reconnue par le Conseil national de la certification environnementale. Huit d'entre eux, dont la cave commercialise des cuvées à leur propre nom, sont même certifiés HVE (Haute valeur environnementale). Cela leur permet d'indiquer sur l'étiquette la mention « Vin issu d'une exploitation certifiée Haute valeur environnementale ».
« Pour promouvoir notre démarche, nous produisons une cuvée de beaumes-de-venise identifiée Vivre, que nous vendons uniquement au caveau, explique Emmanuelle Weider, au service marketing. Cela représente 6 000 à 10 000 cols selon les années, alors que nous produisons 350 000 cols chaque année. Nous communiquons dans notre magasin de vente par le biais d'affiches et de fiches explicatives. » Balma Venitia a choisi cette diffusion et cette communication confidentielles, afin de pouvoir expliquer sa charte de vive voix aux consommateurs. Celle-ci n'étant pas connue du grand public, il aurait fallu un important investissement pour qu'une communication plus large porte ses fruits.
« Nous constatons que ce type de démarche a de plus en plus de valeur aux yeux des particuliers, précise Emmanuelle Weider. Et aux yeux des acheteurs professionnels, le fait que la cave ait été un précurseur est très bien ressenti et représente un atout supplémentaire. » La cave évoque aujourd'hui le projet d'intégrer, à moyen terme, la démarche Agri Confiance ou les Vignerons en développement durable. Elle réfléchit à la mise en place de la norme internationale Iso 26 000 (développement durable en production, commercialisation, sociale et sociétale). Elle prévoit d'évaluer son niveau de responsabilité sociétale. Une manière de se rattacher à des référentiels existants.
Le Point de vue de
Damien Badel, coopérateur à Gervans (Drôme), sur 10 ha en AOC Crozes-Hermitage
« VDD m'a fait changer de pratiques »
« J'exploite 10 ha de vignes et 6 ha d'abricotiers. En arboriculture, je suis habitué aux certifications (Global Gap, PFI, Filière qualité Carrefour...). Mais elles ne débouchent sur aucune valorisation et deviennent véritablement une contrainte. En vigne, avec Vignerons en développement durable, j'ai trouvé un référentiel, conçu par des professionnels de la vigne, qui prend en compte les piliers économiques, environnementaux et sociétaux. On établit un diagnostic. Puis, sur tous les points relevés avec les techniciens vignobles, nous définissons la marge de progrès qu'on peut réaliser.
VDD a effectué un premier diagnostic en 2009. Celui-ci a pointé un manque de sécurisation du stockage des hydrocarbures que j'utilise pour les véhicules de l'exploitation. J'ai tout d'abord installé une vanne quart de tour sur ma cuve. Mais celle-ci était ancienne et il y avait un risque de pollution de ma zone de forage d'eau, en cas de perforation. Deux ans après, je suis passé au GNR et j'ai acheté une cuve à double paroi neuve avec pompe individuelle, que j'ai installée à distance de mon puits. Je me suis aussi équipé d'une aire individuelle de lavage et de remplissage de mon pulvérisateur pour lutter contre la pollution diffuse. Comme nous étions plusieurs à monter des projets sur trois cantons du département, dans le cadre de la démarche VDD, nous avons eu l'aide de la communauté de communes du Pays de l'Hermitage.
En 2012, VDD a réalisé un diagnostic de suivi de mon exploitation. Nouvel objectif à atteindre : baisser les intrants. Avec la cave de Tain-l'Hermitage à laquelle je livre mon raisin, nous avons donc mis en place la confusion sexuelle pour lutter collectivement contre les vers de la grappe. Les vignerons indépendants et les arboriculteurs nous ont rejoints sur ce projet.
Avec l'ODG Crozes-Hermitage, et la chambre d'agriculture de la Drôme, la cave rédige un bulletin technique hebdomadaire qui nous permet de limiter les traitements. Pour diminuer nos intrants, nous appliquons le concept Optidose. Cette année, nous avons ainsi diminué les doses d'antimildiou de 30 %. Enfin, lorsque je replante des vignes, j'enherbe un rang sur deux et je travaille mécaniquement les autres rangs. Je désherbe chimiquement uniquement une bande étroite sous le rang. »
Le Point de vue de
Claude Sollier, coopérateur à la cave Sylla, à Apt (Vaucluse), sur 17 ha en AOC Ventoux
« Grâce à Agri Confiance, j'ai amélioré la qualité de mes raisins »
« Lorsque ma cave coopérative m'a imposé, il y a trois ans, de passer en Agri Confiance pour mes productions en AOC Ventoux, cela a été assez facile. Comme j'adhère à Terra Vitis depuis huit ans, je possédais un local phytos aux normes, je contrôlais mon pulvérisateur et j'avais mis en place une traçabilité, avec un enregistrement de mes interventions sur des cahiers. J'ai gardé Terra Vitis car certains clients de la cave demandent cette certification, qui est d'ailleurs mentionnée sur les étiquettes. La coopérative ne met pas le logo Agri Confiance sur les bouteilles, car il est moins connu du grand public, mais elle l'appose sur ses documents.
Alors que Terra Vitis ne contrôle que les vignerons, Agri Confiance est une démarche plus transversale. Elle favorise des relations plus étroites entre la cave et ses adhérents. Il y a deux volets : le management de la qualité et celui de l'environnement. Pour le management de la qualité, la coopérative réalise désormais un suivi parcellaire de mes vignes et des analyses de sol. Elle me donne des conseils à la plantation et il me faut l'accord de ses techniciens pour planter. Je dois suivre une certaine répartition entre les cépages destinés aux blancs, aux rouges et aux rosés. Si je ne respecte pas leurs consignes, mes parcelles peuvent ne pas être agréées.
Parallèlement, j'ai beaucoup plus d'échanges avec les autres producteurs. Nous pouvons demander des réunions techniques sur des thèmes qui nous intéressent comme le palissage, le travail du sol ou la fumure. La cave les organise et trouve des intervenants spécialisés pour nous informer. Début novembre, nous irons chez Frayssinet, dans le Lot-et-Garonne, pour parler d'amendement organique et d'amélioration des sols.
Au bout de trois ans, j'ai pu constater que le suivi plus poussé que réalise la cave dans le cadre de la démarche Agri Confiance m'a permis d'améliorer la qualité des raisins. C'est le cas aussi chez mes voisins. Et la qualité des vins de la cave s'en ressent, ce qui se traduit par une augmentation de mon revenu. »