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LOI DE SANTÉ PUBLIQUE La bataille se prépare

ÉMILIE-ANNE JODIER - La vigne - n°271 - janvier 2015 - page 6

La filière viticole va tout faire pour empêcher le vote de différents amendements à la loi de santé publique déposés par l'Anpaa. Cette association veut limiter la publicité sur internet, réglementer le nom des cuvées ou renforcer le message sanitaire sur les publicités.
LA LOI DE SANTÉ PUBLIQUE devrait être discutée à l'Assemblée nationale en avril 2015. De rudes débats en perspective. © D. ALLARD/REA

LA LOI DE SANTÉ PUBLIQUE devrait être discutée à l'Assemblée nationale en avril 2015. De rudes débats en perspective. © D. ALLARD/REA

Le 15 octobre dernier, Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé, présentait son projet de loi de santé publique. Aucune mesure antivin dans ce texte. Mais c'était sans compter sur les associations de lutte contre l'alcoolisme. Celles-ci ont bien l'intention de faire voter plusieurs dispositions pour lesquelles elles militent de longue date.

Auditionné le mardi 2 décembre dernier par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, qui se charge d'amender le texte avant son examen par les députés en assemblée plénière, le Dr Alain Rigaud, président de l'Anpaa (Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie) a présenté, en tout, neuf amendements. Une multitude de propositions dont trois sont inacceptables pour la filière : l'interdiction de cuvées ou de bouteilles aux noms incitatifs, le durcissement du message sanitaire obligatoire sur les publicités (actuellement libellé « L'abus d'alcool est dangereux pour la santé ») et la restriction de la publicité sur internet.

C'est sur ce dernier point que vont se cristalliser tous les efforts. En 2009, la loi HPST avait ouvert la voie à la publicité du vin sur internet, sauf sur les sites à destination de la jeunesse. Pour Alain Rigaud cette ouverture a conduit à des dérives. « Internet est le média préféré des jeunes, rappelle-t-il. Il n'a pas de frontière. Sur les réseaux sociaux, des systèmes de liens ou de jeux ont permis de contourner la loi. Cette communication virale s'impose aux jeunes, une population particulièrement à risque. » En cause, notamment, les spiritueux tels Ricard et sa campagne qui lui a valu une condamnation par la Cour de cassation (voir la chronique juridique du mois d'avril 2014, La Vigne n° 263).

L'Anpaa propose donc que les sites de producteurs soient seuls autorisés à faire de la publicité sur internet. Une demande habile, selon la filière, qui ne verrouille pas totalement la possibilité de faire de la réclame, mais qui exclut de fait tous les autres acteurs comme les cavistes, les sites de vente en ligne, les sites d'oenotourisme... lesquels contribuent activement à l'économie de la filière.

« Où est la cohérence ?, interroge Audrey Bourolleau, directrice de Vin & Société. D'un côté, on inscrit le vignoble français au patrimoine mondial de l'Unesco, Laurent Fabius se fait le porte-parole de l'oenotourisme en France et, de l'autre côté, on voudrait nous empêcher de promouvoir nos produits. »

Une rude bataille se prépare donc pour défendre les intérêts de la filière. Les syndicats seront chargés de la mener. Ils devront convaincre les membres de la commission des affaires sociales de ne pas adopter les amendements proposés par l'Anpaa. L'ennui, c'est que « cette commission ne nous est pas favorable », pressent Pascal Bobillier-Monnot, directeur de la Cnaoc. Ses députés sont en effet en majorité issus de circonscriptions urbaines ou de régions non viticoles.

Alors, la filière doit donner des gages, mais aussi prouver sa force. Elle se mobilise pour montrer son engagement envers la consommation responsable. Dans ce but, Vin & Société va communiquer davantage sur les repères de consommation d'alcool, encore mal connus du grand public, à travers le lancement, entre autres, d'un site dédié dès le 13 janvier. « La consommation excessive d'alcool est un problème de santé publique qui doit passer par l'éducation et la prévention, reconnaît la directrice de Vin & Société. Mais l'Inpes (Institut national de prévention et d'éducation pour la santé), n'alloue que 5 millions d'euros par an à la prévention. Les pouvoirs publics devraient eux aussi mettre davantage de moyens. »

Quant à montrer sa force, la filière entend mobiliser les élus qui la soutiennent. À sa demande, l'Anev (l'association nationale des élus de la vigne et du vin), le groupe d'études viticulture de l'Assemblée nationale et celui de la vigne et du vin du Sénat organisent un colloque le 17 février 2015 sur le thème : comment concilier vin et enjeux de santé publique ? Elle compte ainsi faire participer de nombreux parlementaires aux débats.

Car il n'est pas question de subir un deuxième échec après celui du contrat vendanges. « On l'a très mal pris, n'oublie pas de rappeler le directeur de la Cnaoc. On ne laissera plus rien passer. » Une référence à la mise en garde de Bernard Farges, président de la Cnaoc, au lendemain de la suppression de l'Assemblée nationale de l'avantage fiscal lié au contrat vendanges. « Nous avertissons les parlementaires que nous n'accepterons pas qu'ils aient la même attitude dans les discussions sur le projet de loi de santé publique, avait-il déclaré. Ils auront des choix à faire et nous en tirerons les conséquences pour les prochaines élections. »

La viticulture ne lâche donc rien et continue de s'atteler à un objectif : obtenir une définition légale de la publicité pour permettre aux médias (journalistes, émissions de télévision, internet...) de parler du vin sans risquer de se retrouver devant un tribunal comme c'est arrivé au Parisien et à Paris Match. Vin & Société mène ce combat depuis plus de six mois avec la campagne « Revenez Monsieur Évin, votre loi, on n'y comprend plus rien ». « Nous travaillons avec des avocats et l'Union des annonceurs pour proposer un texte à la commission des affaires sociales, indique Audrey Bourolleau. Mais pour le moment, nous n'avons pas été reçus. » La viticulture attend d'être entendue sur ce sujet.

Plusieurs mois de débats se profilent donc à l'horizon. La loi de santé publique, repoussée à de multiples reprises, ne devrait être discutée à l'Assemblée nationale qu'en avril 2015... juste après les élections départementales.

La jeunesse en première ligne

En l'état actuel, le projet de loi de santé publique ne comporte que deux articles où il est question de lutte contre la consommation excessive d'alcool : 4 et 53.

Le premier vise « à lutter contre les nouvelles pratiques de la jeunesse en matière d'alcoolisation massive, connues sous le nom de beuverie express », indique le projet de loi. S'il est adopté, « le fait de provoquer directement un mineur à la consommation excessive d'alcool [sera] puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende ».

Bizutages et autres soirées animées sont en ligne de mire. Le texte prétend également « combattre l'image festive et conviviale de l'ivresse diffusée par de nombreux jeux ou objets (T-shirts, accessoires) ». À ce titre, il sera interdit de vendre aux mineurs tout « objet incitant directement à la consommation excessive d'alcool ».

Quant à l'article 53, il vise à réprimer l'alcoolémie à bord des navires.

Des cuvées qui dérangent

Parmi les propositions de l'Anpaa figure celle d'« adapter la loi pour encadrer la dénomination des boissons alcooliques ». Autrement dit : limiter les possibilités de donner un nom incitatif ou fantaisiste à une cuvée. Le texte cite expressément la cuvée « Nuit d'ivresse » comme exemple. Il s'agit d'un bourgueil rouge du domaine Breton, en Indre-et-Loire. Pierre Breton, le viticulteur qui la produit, manie très bien l'ironie : « Nous n'incitons pas à l'alcoolisme avec une bouteille à 20 euros ! » Cette cuvée représente 12 000 à 15 000 cols par an, selon les années. « Ces associations devraient s'attaquer aux multinationales plutôt que de s'en prendre à de petites entreprises familiales qui font vivre plusieurs familles en milieu rural. C'est à se demander si ça vaut la peine de continuer de travailler... »

À Cahors, le propriétaire du château Haut-Montplaisir ne décolère pas. Sa cuvée « Pur plaisir », 5 000 cols vendus par an à 25 euros, fait sa fierté : « C'est l'image de notre propriété. Quelle est la relation de cause à effet entre l'alcoolisme et les noms de cuvée ? À ce niveau, j'appelle ça de l'intégrisme. »

De son côté, le Dr Alain Rigaud, président de l'Anpaa, justifie cette mesure. « Les annonceurs trouvent des moyens pour contourner la loi Évin. L'un d'entre eux est de donner des noms évocateurs à leurs produits. Ces noms figurent alors sur les étiquettes. Or celles-ci peuvent être reprises sur les publicités. »

Vigilance sur le message sanitaire

Depuis longtemps, les associations de lutte contre l'alcoolisme espèrent faire modifier le message sanitaire obligatoire pour l'instant libellé « L'abus d'alcool est dangereux pour la santé ». Ainsi, lors de la campagne présidentielle de 2012, l'Alliance prévention alcool, un collectif d'associations auquel appartient l'Anpaa, avait demandé aux candidats de s'engager à faire inscrire sur toutes les publicités que « L'alcool est dangereux pour la santé ». Cette exigence avait provoqué un tollé au sein de la profession. Elle reste un casus belli pour la filière viticole. Le sachant, l'Anpaa a présenté à la commission des affaires sociales un amendement en apparence anodin. Il s'agirait de « faire évoluer ce message obligatoire en fonction de l'évolution des connaissances scientifiques ». Et d'en remettre la responsabilité de sa rédaction entre les mains du ministère de la Santé. Or aujourd'hui, il est défini par la loi. Il a donc été discuté puis voté par les parlementaires. À l'avenir, il pourrait être fixé par l'administration de la santé, que la filière suspecte d'être bien plus à l'écoute des prohibitionnistes que les parlementaires.

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