CETTE JEUNE FEMME fait la une du site cequivavraimentsaoulerlesfrançais.fr. Elle illustre les conséquences d'une éventuelle interdiction de parler du vin sur internet en lançant : « Et mes 14 287 abonnés qui me suivent sur Facebook, je vais leur dire quoi ? D'acheter du chianti ? » PHOTOS VIN ET SOCIÉTÉ
Si l'histoire a pris un virage avec l'appel du 18 juin 1940, le monde viticole va peut-être provoquer un tournant sociétal avec son appel du 26 septembre. Ce jour-là, l'association Vin et société a lancé son site internet cequivavraimentsaoulerlesfrancais.fr. Le général de Gaulle encourageait les Français à résister contre l'occupant ; Vin et société les invite à stopper la montée de l'hygiénisme.
La page d'accueil du site s'ouvre sur cette alerte : « On s'apprête, en France, à lutter contre le vin et non plus seulement contre la consommation excessive d'alcool. Désormais assimilé à une drogue, le vin serait jugé nocif dès le premier verre. Ce site présente les mesures envisagées (...) et leurs conséquences. Pour que les Français se fassent leur opinion, comprennent notre inquiétude et rejoignent notre mobilisation. »
Dès le lendemain de l'ouverture du site, l'interdiction de la publicité sur internet passait à la trappe. Cette mesure figurait pourtant dans le plan gouvernemental de lutte contre la drogue et les conduites adductives validé le 19 septembre. « Une simple erreur de copier-coller », s'est empressée de corriger la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie. Le jour suivant, le ministre de l'Agriculture Stéphane Le Foll a démenti toute idée de taxation du vin en 2014.
Vin et société a pris acte de ces deux avancées significatives. Mais ne s'en contente pas. L'association veut l'abandon d'autres projets et un rendez-vous avec Matignon, après avoir subi les longs mois de silence crispant du gouvernement.
« Cela fait dix mois que nous essayons d'entrer en contact avec le ministère de la Santé. Nous avons adressé pas moins de 140 questions parlementaires ou courriers à la ministre Marisol Touraine pour lui demander la mise en place d'une instance de concertation, vu que le conseil de la modération est mis en sommeil depuis plus d'un an. Nous n'avons eu aucune réponse, nous n'avons jamais été reçus », explique Audrey Bourolleau, la directrice de Vin et société.
Autre signal d'alerte, l'attitude de Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales à l'Assemblée nationale. Le 27 mars, lors d'un débat parlementaire sans rapport avec le vin ni l'alcool, elle a jeté le nom de Vin et société en pâture aux députés. Audrey Bourolleau en garde un mauvais souvenir. « Elle a déclaré qu'elle ne nous recevrait pas. Elle nous a qualifiés de lobby du vin en France voulant écrire la loi de santé publique à sa place », s'indigne-t-elle.
Face à ce mutisme, Vin et société a décidé de hausser le ton en prenant l'opinion publique à témoin. « Il y avait urgence car nous rentrons dans un tunnel législatif à risque : le 9 octobre, c'est l'examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, en novembre, celui du plan cancer et, avant la fin de l'année, la loi de santé publique. Il fallait mobiliser nos concitoyens. »
Le site de Vin et société expose les cinq mesures refusées par la filière viticole : la taxation à des fins de santé publique, l'interdiction de parler du vin sur internet, la radicalisation du message sanitaire, le durcissement des mentions sanitaires sur les étiquettes et l'interdiction de parler positivement du vin dans les médias.
Sauf rebondissement, deux dangers sont écartés. Mais il en reste d'autres. Ainsi, l'Anpaa (Association nationale de prévention en alcoologie et en addictologie) veut interdire la mention « à consommer avec modération » sur les publicités. Elle veut aussi remplacer l'avertissement « l'abus d'alcool est dangereux pour la santé » par « l'alcool est dangereux pour la santé ». Un tel changement signifierait que la moindre goutte de vin est dangereuse. Inacceptable, alors que quantité d'études montrent les bienfaits d'une consommation modérée. « On serait face à une stigmatisation de millions de consommateurs de vin raisonnables et responsables, relève Audrey Bourolleau. Dans l'esprit des défenseurs de cette mesure, la notion de modération n'existe pas. Ils jugent le vin nocif dès le premier verre, ce qui n'est pas prouvé scientifiquement. »
Après avoir exposé l'objet de ses inquiétudes, le site propose aux internautes de prendre position : soit ils signent une pétition, soit ils interpellent les élus de leur département. S'ils choisissent cette seconde option, ils peuvent d'un simple clic envoyer un courriel ou un tweet prérédigé aux parlementaires de leur choix.
Cette opération a nécessité un travail de fourmi. « Nous avons recueilli les courriels des 577 députés et 348 sénateurs ainsi que près de 400 comptes Twitter, précise la responsable. Nous voulons montrer aux pouvoirs publics que les mesures qui stigmatisent le vin sont rejetées par le monde viticole mais aussi par les Français. Non seulement elles auront un impact sur notre filière et sur l'image du vin mais, en plus, elles ne régleront pas la consommation abusive d'alcool. »
La nouvelle stratégie mise en place par Vin et société est résolument offensive. Outre le retrait des cinq mesures projetées, l'association réclame l'instauration d'une instance de concertation dédiée au vin. « Nous voulons mettre autour de la table les ministères de l'Agriculture, de la Santé, de l'Éducation et du Tourisme. La deuxième activité à l'export du pays mérite bien cela », plaide Audrey Bourolleau.
Le lancement du site a été accompagné de l'insertion dans « Le Journal du dimanche » du 29 septembre d'un visuel montrant François Hollande buvant un verre de vin. La photo prise durant le salon de l'Agriculture est accompagnée de cette légende : « Merci, monsieur le Président de soutenir la deuxième activité exportatrice du pays ». Audrey Bourolleau l'assure : « Nous sommes rentrés dans un rapport de force, mais notre combat est légitime. »
Joli coup double
Vin et société a réussi un beau doublé avec son opération. D'abord par son impact auprès du grand public et des médias : en une semaine, le site a dépassé la barre des 200 000 visites dont plus de 190 000 visiteurs uniques. Il a suscité plus de 500 articles dans les trois jours qui ont suivi son lancement, y compris dans les médias étrangers. Les internautes ont envoyé plus de 10 000 courriers électroniques aux parlementaires. Les réseaux sociaux ont bien relayé l'information : presque 57 000 pages Facebook partagées et plus de 3 000 tweets envoyés. En outre, Vin et société se félicite d'avoir reçu environ 300 courriels de personnes étrangères à la filière mais totalement impliquées dans la défense du vin. Mais l'opération est aussi une réussite du point de vue de la communication interne à la filière. Elle joue sur la fierté d'une profession qui ne se sent pas toujours assez reconnue. L'ensemble de cette campagne a coûté 100 000 euros.