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VIN ET SANTÉ... Nouvelle poussée de fièvre

BERTRAND COLLARD - La vigne - n°298 - juin 2017 - page 12

La nomination d'Audrey Bourolleau comme conseillère d'Emmanuel Macron fait bondir les experts qui demandent aux pouvoirs publics de durcir le discours sur l'alcool.
AUDREY BOUROLLEAU  en déplacement avec le président Emmanuel Macron, à Bordeaux, le 29 mai. © T. MORITZ/IP3/ MAXPPP

AUDREY BOUROLLEAU en déplacement avec le président Emmanuel Macron, à Bordeaux, le 29 mai. © T. MORITZ/IP3/ MAXPPP

Ils n'y sont pas allés de main morte. Le 26 mai, treize associations de lutte contre l'alcoolisme et six experts en santé publique se sont émus de l'arrivée d'Audrey Bourolleau au poste de conseillère agricole d'Emmanuel Macron. « Une lobbyiste à l'Élysée », dénonce leur communiqué paru sur le site de l'Anpaa. Ils s'inquiètent des « conflits d'intérêts qui pourraient survenir au détriment de la santé publique après la nomination d'une représentante de la filière alcool ». Pour eux, c'est « un pas de plus dans la stratégie d'entrisme au sein des instances de décisions » du lobby du vin. Dès le lendemain, quantité de médias ont relayé ce communiqué, rappelant le nombre de morts imputables à l'alcool en France et le récent assouplissement de la loi Évin. « Le CV d'Audrey Bourolleau a de quoi faire frémir les associations de lutte contre l'alcoolisme », a écrit Le Parisien. À croire que la santé publique était en danger.

« Elle voulait que les choses avancent »

Avant d'intégrer l'équipe rapprochée d'Emmanuel Macron, Audrey Bourolleau était déléguée générale de Vin et Société, un poste qu'elle occupait depuis 2012. Auparavant, elle dirigeait l'Union des Côtes de Bordeaux depuis 2009. Viticulteur à Plassac (Gironde), Jean-Michel Baudet fut son président. Il se souvient d'elle comme d'une personne « efficace, qui travaille beaucoup et qui comprend vite. Elle avait de très bonnes relations avec tout le monde. Elle voulait que les choses avancent ».

Sur le plan politique également. Audrey Bourolleau, diplômée de l'ESC de La Rochelle, a rejoint le candidat d'En Marche par conviction. Elle croit en effet qu'il faut dépasser les anciens clivages politiques pour débloquer la France.

À l'Élysée, on salue l'arrivée « d'une spécialiste du fonctionnement des filières agricoles, issue de la société civile. Avant sa nomination, Audrey Bourolleau n'était pas en charge de la défense d'intérêts privés, mais de la défense de la filière viticole qui représente le deuxième contributeur à l'export de la France ». En d'autres termes, sa nomination est cohérente avec la volonté d'Emmanuel Macron de favoriser l'activité économique.

Le service de presse de l'Élysée ajoute qu'Audrey Bourolleau n'aura pas affaire aux dossiers de santé. Dans l'immédiat, elle doit travailler sur deux sujets : les États généraux de l'alimentation et la Pac 2020. « La priorité est de permettre aux agriculteurs de vivre par un juste prix payé pour leurs produits. »

Contrairement à ce qu'affirment l'Anpaa et ses alliés, la « filière alcool » n'a pas poussé l'un de ses pions à l'Élysée, même si la viticulture est ravie de de cette nomination. En fait, c'est l'inverse qui est à l'oeuvre. Ce sont les experts de la santé publique qui demandent un durcissement du discours vis-à-vis de la consommation d'alcool.

Le 4 mai, Santé publique France et l'Inca ont remis leur avis « relatif à l'évolution du discours public en matière de consommation d'alcool en France ». Un avis commandé par le ministère de la Santé et la Mildeca (Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives) pour caler leurs messages. Selon ce rapport, « le compromis qui avait été trouvé autour de la notion de consommation sans risque ne peut pas perdurer au vu de la littérature scientifique ».

Au téléphone, Pierre Ducimetière, président du groupe d'experts qui a rédigé le rapport, est plus direct. « On est loin d'avoir démontré le moindre effet bénéfique pour la santé physique d'une consommation modérée d'alcool. Vin et Société nous dit qu'ils mettent beaucoup d'argent sur la table pour faire de la prévention. Mais c'est d'une ambiguïté totale : leur prévention, c'est de la promotion. Nous souhaitons une reprise en mains par les pouvoirs publics du discours sur l'alcool », explique cet épidémiologiste, directeur de recherche honoraire à l'Inserm.

Un nouveau seuil de consommation

Pour commencer, son groupe d'experts a défini un nouveau seuil de consommation : pas plus de dix verres (10 g d'alcool par verre) par semaine et pas plus de deux par jour. Avec cela, il faut dire aux jeunes : « Pour votre santé, l'option la plus sûre est de ne pas boire d'alcool. »

Ensuite, les experts recommandent d'appliquer un droit d'accise unique pour toutes les boissons alcoolisées calculé selon leur degré d'alcool. Avec une forte hausse du taux pour le vin à la clé. Enfin, ils demandent de remplacer le message « L'abus d'alcool est dangereux pour la santé » par « Toute consommation d'alcool comporte des risques pour la santé ». Et pour cause : « Ce n'est pas l'abus d'alcool qui est à risque, mais une consommation même faible. » Plus radical encore : ce message ne devrait pas seulement figurer sur les publicités, mais aussi sur toutes les étiquettes de boissons alcoolisées.

Chez Vin et Société, seuls les nouveaux repères de consommation passent bien. « Nous sommes prêts à les faire connaître au grand public, même s'ils sont parmi les plus bas du monde, indique Joël Forgeau, président de l'association. En revanche, nous sommes opposés à tout message de type « L'alcool est dangereux pour la santé ». C'est l'abus qui est dangereux, sauf dans le cas des femmes enceintes ou des malades. Ce qu'il faut mettre en avant, c'est l'éducation. Il n'y a que cela qui fonctionne. »

Les positions sont donc bien arrêtées. Si la nouvelle ministre de la Santé veut appliquer les recommandations de ses experts, elle trouvera la filière sur son chemin.

Une attaque contre le French Paradox

Est-ce un hasard ? À peine Audrey Bourolleau nommée conseillère d'Emmanuel Macron, que Le Figaro publie un article intitulé : « Alcool, le mythe des bienfaits sur le coeur ». Le quotidien rapporte que des addictologues canadiens, australiens et américains contestent l'effet protecteur d'une consommation modérée d'alcool vis-à-vis des maladies coronariennes, dans une publication scientifique du 21 mai. Ces chercheurs rappellent que, pour mettre cet effet en évidence, on compare la santé des non-buveurs à celle des buveurs occasionnels, modérés et importants. Ils affirment que parmi les non-buveurs se cachent d'anciens buveurs ou des buveurs occasionnels. Ce qui fausse les résultats. Le docteur Dominique Lanzmann-Petithory, spécialiste du French Paradox, dénonce : « Ces chercheurs ont choisi les études qui les arrangent. Ils ignorent que leurs objections ont déjà été prises en compte par les épidémiologistes sérieux et que ceux-ci arrivent toujours au même résultat. » Pour elle, les Français ont toujours moins d'accidents cardiovasculaires que leurs voisins alors qu'ils courent plus de risques. C'est en grande partie dû au vin rouge qu'ils boivent durant les repas. « Deux choses seulement menacent le French Paradox : la hausse du degré d'alcool des vins et la baisse de la consommation de vin », assure-t-elle.

Une dure au ministère de la Santé

AGNÈS BUZYN, la nouvelle ministre de la Santé.  © É. BERACASSAT/ONLYFRANCE.FR

AGNÈS BUZYN, la nouvelle ministre de la Santé. © É. BERACASSAT/ONLYFRANCE.FR

Si l'Anpaa s'est indignée de la nomination d'Audrey Bourolleau, elle a salué celle d'Agnès Buzyn au poste de ministre de la Santé. « Dans le cadre de ses anciennes fonctions, Agnès Buzyn a défendu l'adoption de mesures efficaces pour réduire les risques liés au tabac et à l'alcool qui sont les deux premières causes de mortalité évitable en France », indique l'Anpaa. Pas sûr que la filière viticole l'apprécie autant. Alors qu'elle était présidente de l'Inca (Institut national du cancer), Agnès Buzyn s'est élevée contre l'amendement à la loi Évin pour autoriser la promotion de l'oenotourisme. Dans une interview à La Croix en juin 2015, elle a parlé d'une « initiative de parlementaires qui obéissent à des lobbies très puissants et très bien installés, ceux des producteurs de vin. Si [leur] amendement est adopté, on verra déferler de nombreux publi-reportages qui feront la promotion des boissons alcoolisées ». À l'époque, Emmanuel Macron était ministre de l'Économie et soutenait la modification de la loi Évin pour « permettre à certaines régions, et aux emplois qui vont avec, de défendre leurs intérêts ». Reste à espérer qu'il n'a pas changé de point de vue.

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