Après une décennie difficile, les vignerons du Midi reprennent espoir. Depuis trois campagnes, après des petites récoltes combinées à une demande soutenue, les cours des vins progressent. Les pays d'oc rouges et rosés sont ainsi passés de 68 €/hl (moyenne tous cépages) en 2010-2011 à 77-78 €/hl en 2013-2014, tout en continuant à progresser en ce début de campagne. Durant la même période, le corbières est passé de 80 à 98 €/hl. Des niveaux satisfaisants pour la production.
Du coup, les chiffres des plantations progressent à nouveau. Pour les AOP, le contingent de droits nouveaux attribué en 2013-2014 se rapproche de 150 ha/an après être descendu à 50 ha. Pour les IGP, il remonte à plus de 700 ha. Avec les plantations réalisées grâce à l'aide à la restructuration, le total atteint 5 477 ha en 2013-2014.
Ces chiffres restent cependant modestes. 850 ha, cela représente seulement 0,4 % des 223 000 ha en production en 2013. La possibilité de réaliser 1 % de plantations nouvelles par an ouvre d'autres perspectives, que la production envisage avec prudence. « Il ne s'agit pas d'augmenter les volumes à tout-va. La priorité reste d'obtenir une bonne rémunération pour nos adhérents », rappelle Boris Calmette, président de Coop de France. Cela passe par le maintien d'une tension sur les marchés. Si les cours chutaient à nouveau, il ne serait plus question de parler de croissance ! Tous les vignerons se rappellent en effet que leur région a dû réaliser de considérables arrachages pour mettre fin à la surproduction. Elle a ainsi perdu 171 000 ha entre 1980 et 2000. Mais aujourd'hui, une progression raisonnée des volumes est nécessaire pour réduire les coûts de vinification ou répondre à la demande des clients.
« La croissance doit être finement pilotée », affirme Jacques Gravegeal, président de l'ODG de l'IGP Pays d'Oc. Positionnée sur le segment porteur des vins de cépage, cette IGP progresse depuis 25 ans. En 2013-2014, les sorties de chai ont dépassé pour la première fois les 6 millions d'hectolitres. Elles ont augmenté de 17 % pour les rosés et de 7 % pour les blancs. « Nous progressons aussi bien dans la grande distribution et chez les cavistes français, qu'à l'export », note Jacques Gravegeal, qui table sur un maintien de cette croissance dans les années à venir.
« En cabernet-sauvignon, nous manquons de volumes. Dans la région, il y a de la place pour 2 000 ha de plus (il y avait 15 500 ha en 2013, NDLR). Et pour élaborer des rosés d'une couleur pâle, il faudrait quelques milliers d'hectares de cinsault en plus », estime Olivier Simonou, directeur du site Castel Frères, à Béziers, qui est un des gros acheteurs de pays d'oc.
« Planter, oui, mais progressivement, en veillant à ne pas saturer les marchés pour préserver les cours », répond Jacques Gravegeal, qui tient à ce que l'ODG garde la main sur l'évolution des surfaces.
Même position dans les appellations, qui veulent une croissance modérée. En ajustant les volumes déclarés aux ventes, elles ont réussi à redresser les cours. Il n'est pas question de gâcher ces efforts. « Ces dernières années, avec 30 à 35 ha de droits nouveaux par an, nous étions à 0,5 % de croissance, cela suffit », estime Philippe Costes, président de l'ODG Minervois.
Dans l'appellation Corbières, grâce au travail de fond entrepris, les sorties ont enfin progressé de 3 %, et il n'y a plus que huit mois de stocks. Dans le même temps, les cours ont pratiquement atteint 100 €/hl.« Nos acheteurs ont accepté cette hausse. Notre rapport qualité-prix reste bon. Nous voulons continuer à nous repositionner, avec un objectif de 120 ou 125 hl/ha pour retrouver des moyens d'investissement », affirme Xavier de Volontat, président de l'ODG. Il compte bien regagner aussi des parts de marché, avec un objectif de 480 000 hl à l'horizon 2025. Pour y parvenir, il table sur une augmentation des surfaces de 7 à 8 % durant les dix prochaines années, et sur une hausse des rendements. « En passant de 40 à 42 hl/ha, nous gagnerions en rentabilité, et nous aurions 20 000 hl de plus pour développer nos marchés à l'export. »
En Roussillon, les appellations cherchent aussi à conforter les cours. En 2013-2014, les sorties du muscat de rivesaltes, concurrencé par les apéritifs à bas prix, se sont maintenues à 103 000 hl grâce à de gros efforts de communication, avec un prix de vente à 228 €/hl. « Pour produire ces volumes, nous n'avons plus besoin que de 4 000 ha sur les 5 000 ha déclarés. Nous allons en reconvertir 1 000 pour produire du muscat sec et des rosés », précise Roger Torreilles, le président de l'ODG.
En Côtes-du-Roussillon, les ventes de rosés ont atteint 93 100 hl en 2013-2014, pendant que les rouges se stabilisaient à 83 500 hl. « Nous pouvons encore progresser de 15 000 à 20 000 hl en rosé. Pour cela, nous voudrions replanter du grenache gris », relève Laurent Girbau, le président de l'ODG.
Sur la croissance des vins de France, les avis sont partagés. Pour l'instant, c'est une catégorie qui se forme par défaut, une fois les marchés des AOP et des IGP approvisionnés. Les volumes et les prix varient considérablement d'une année sur l'autre. Y a-t-il de véritables marchés à reconquérir ? Certains n'y croient pas. « Les négociants qui en parlent cherchent seulement à tirer les cours vers le bas en développant des vins de cépage moins chers que les pays d'oc. Préservons ce que nous avons construit », affirme Jacques Gravegeal, qui tient à ce que les vignerons plantant pour des vins de France ne puissent pas revendiquer des vins IGP sur ces surfaces.
D'autres se positionnent déjà sur le segment des vins sans IG. « Il y a des possibilités de croissance dans chaque catégorie, profitons-en et développons des partenariats avec les négociants », affirme René Moréno, président des IGP Sud de France et vice-président de l'Anivin, qui met la contractualisation en pratique chez les Vignerons de Montagnac, dans l'Hérault.
« Nous avons un axe de développement avec des vins de base pour les mousseux. Pour cela, nous constituons un vignoble à haut rendement en plaine. Nos adhérents viennent de planter 15 ha. Notre objectif est d'arriver à 100 ha », précise Jean-Pierre Papy, directeur de la coopérative Arnaud de Villeneuve, à Rivesaltes, dans les Pyrénées-Orientales. Celle-ci est déjà présente sur ce marché depuis deux ans. Elle produit 5 000 à 6 000 hl de vins de base sur des vignes existantes, qu'elle vend à des prix entre 70 et 75 €/hl.
La coopérative Cap Leucate, principalement productrice d'appellation Fitou, encourage aussi ses adhérents à se diversifier en relocalisant des vignes en plaine. Elle les aide à planter avec des avances de trésorerie, les accompagne dans la recherche de foncier et la conduite du vignoble. « Nous vendons déjà 5 000 hl de vins de France, et nous pouvons encore progresser », affirme Joël Castany, président de la cave, qui fait partie du groupe Val d'Orbieu.
« En 2014, nous avons testé un mousseux rosé à 6°, avec du muscat dans l'assemblage. Ce produit a été très apprécié. Nous allons le lancer », souligne Bertrand Girard, le directeur de Val d'Orbieu. Si ce vin se développe, le groupe aura besoin de vignes.
Val d'Orbieu commercialise déjà 3 millions d'hectolitres. L'entreprise a des perspectives de croissance sur une quinzaine de marchés. Les vins de France ne représentent pour l'instant que 5 à 6 % des ventes, mais le groupe compte bien les développer. « Se concentrer uniquement sur les vins premium est risqué. Nous devons analyser la demande sur tous les segments et trouver comment y répondre. Avec des vignobles dédiés et des outils de conditionnement optimisés pour diminuer les coûts, nous pouvons regagner des parts de marché en entrée de gamme tout en créant de la valeur », affirme Bertrand Girard.
Des coopératives confortent leurs volumes
Dans les Pyrénées-Orientales, des producteurs de pêches, confrontés au virus de la sharka, cherchent à se diversifier. Ils ont des terres adaptées à la vigne, déjà irriguées, et pourraient demander des autorisations pour planter. « Nous sommes prêts à les accueillir au sein du groupe Val d'Orbieu, qui a une filiale pour acheter des raisins et les payer sans passer par le système des acomptes », affirme Laurent Girbau, président des Vignerons de Passa Saint-André, dans les Pyrénées-Orientales.
Cette coopérative vinifie déjà des raisins de caves particulières. Cela lui permet de mieux amortir ses installations et donc d'améliorer la rémunération de ses adhérents. « Des caves particulières nous font vinifier leurs vins vendus en vrac, pour se concentrer sur ceux en bouteilles. Nous avons investi dans un quai pour réceptionner leurs raisins », explique Laurent Girbau.
Ce modèle pourrait se développer avec l'arrivée de nouveaux entrants dans la viticulture, comme le permet la réforme qui entrera en vigueur en 2016.
Aux Terroirs de la Voie Domitienne, à Cournonsec, dans l'Hérault, la coopérative a acheté un domaine de 32 ha qu'elle a cédé en fermage à deux jeunes. Il y a des terres nues qu'ils devront planter avec des autorisations.
« Le foncier est rare dans notre zone. Nous avons saisi une opportunité pour maintenir notre potentiel », affirme Boris Calmette, le président.
Une bataille pour préserver des primes
Jusqu'à présent, les plantations avec des droits de la réserve nationale bénéficiaient de la prime de base de 4 800 €/ha, qu'il s'agisse de droits attribués aux jeunes qui s'installent ou à d'autres viticulteurs sur la base des contingents gérés par les ODG. Pour les nouvelles autorisations, la réglementation européenne ne prévoit pas de primes. « Cela va freiner la croissance ! Ceux qui portent la dynamique de plantation sont avant tout des jeunes, qui n'auront pas d'autorisations en portefeuille », souligne Guilhem Vigroux, président du comité régionale RQD. Même inquiétude au syndicat régional Jeunes Agriculteurs. « Avec six hectares de droits gratuits et des primes, nous pouvions acheter des terres nues et planter. Cela facilitait l'accès au foncier », note Sébastien Compan, président de la commission vins de ce syndicat.
Et un autre problème se pose. Dans le cadre des plans collectifs de restructuration, des vignerons plantent avec des droits issus de transferts (arrachage sur un autre domaine) et perçoivent jusqu'à 12 000 €/ha d'aide avec les compléments pour le palissage et l'irrigation. Comme, à l'avenir, les autorisations de plantation ne pourront plus être transférées d'une exploitation à l'autre, ces viticulteurs ne seront plus aidés.
Les professionnels ne désespèrent pas de faire changer d'avis la Commission européenne. Ils devront la convaincre qu'au niveau d'une région des arrachages dans certaines propriétés suivis de replantation dans d'autres, c'est une restructuration et non une croissance nette de la surface. « Avec la sécheresse, les dépérissements et les maladies du bois, nous avons besoin de plus de vignes pour produire le même volume. Ce n'est pas de la croissance, mais bien de la restructuration », affirme Michel Servage, président de la Confédération des vins IGP.
Le Point de vue de
ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT PLANTER ?
Jean-Philippe Mari, coopérateur sur 38 ha, Salses-le-Château (Pyrénées-O.)
« Depuis mon installation en 1996, j'ai replanté tous les ans pour m'agrandir et adapter l'encépagement. Aujourd'hui, avec mon beau-frère, nous cultivons 38 ha. Notre coopérative a des marchés pour des vins de base qui nécessitent un vignoble à haut rendement. Nous n'avons pas de parcelles adaptées. Mais si la coopérative achète du foncier dans une autre zone, nous sommes prêts à nous lancer et à y planter, à condition qu'il y ait des primes. Après des crises successives, nos moyens financiers commencent tout juste à s'améliorer. »
Le Point de vue de
ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT PLANTER ?
Gilles Sipeyre, coopérateur sur 41 ha, Cannes-et-Clairan (Gard)
« J'ai porté la surface en vigne de 24 à 41 hectares depuis mon installation en 1999. Cela suffit. Je dois digérer ces investissements et renouveler les parcelles où il y a de la mortalité. Désormais, je replante pour garder un vignoble en bon état. Dans ce but, j'ai acheté des terres nues pour faire des plantations anticipées. Au niveau régional, il y a des possibilités de croissance, mais à raisonner et à attribuer en priorité aux vignerons en place et aux jeunes qui s'installent, plutôt qu'à de gros investisseurs qui pourraient déstabiliser les marchés. »
Le Point de vue de
ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT PLANTER ?
Dominique André, coopérateur sur 15 ha, Peyriac-Minervois (Aude)
« Avec la crise, j'ai réduit la surface de 35 à 15 ha. Aujourd'hui, on sent qu'il manque du vin, les cours s'améliorent. J'approche de la retraite, mon fils s'est décidé à reprendre. Il lui faudra au moins 20 ha. Depuis deux ans, je replante sur des terres où je faisais cultiver de la luzerne. En 2014, j'ai planté 2,5 ha de syrah en appellation Minervois. Pour 2015, je n'ai plus de droits en portefeuille, et j'ai demandé des droits pour du cot en IGP. En 2016, je prévois de mettre du chardonnay. Avec mon fils, nous allons continuer à planter, avec ou sans primes. »
Le Point de vue de
ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT PLANTER ?
Pascale Sol, domaine Sol Payré, 40 ha, Elne (Pyrénées-Orientales)
« Nous vinifions 1 300 à 1 400 hl et vendons tout en BIB ou en bouteille. Nous avons déjà une bonne clientèle pour nos côtes-du-roussillon, et nous manquons de vins pour la développer. Notre fils a pu s'installer en 2010 en rachetant 7 ha, et notre fille nous a rejoints comme salariée. Nous pensions continuer à nous agrandir, mais le foncier est bloqué par la spéculation. Nous avons acheté une parcelle nue et demandé des droits pour planter par anticipation. Cela nous permettra au moins de renouveler nos plus vieilles vignes sans perdre de volumes. »