Il est 11 h 15 lorsque François Hollande arrive au pavillon des vins du Salon de l'agriculture, à Paris, ce 21 février, jour de l'ouverture. Il sera le premier d'une longue série de politiciens à venir prendre le pouls de la filière viticole. Jean-Marie Barillère, président du Cniv, l'organisateur du stand, et Jérôme Despey, président du conseil des vins de FranceAgriMer, l'accueillent chaleureusement. Plus tôt dans la matinée, il leur a donné satisfaction sur un sujet crucial : la loi Évin ne sera pas renforcée.
Au cours du petit-déjeuner, qu'il a pris entre 9 h 30 et 10 h 30 avec les principaux représentants de la filière agricole, le président de la République « nous a assuré qu'aucune disposition nouvelle ne serait prise en matière de publicité pour le vin dans le cadre de la loi de santé publique », affirme Jérôme Despey.
Cette garantie vient comme une confirmation. En effet, le 17 février lors du colloque « Comment concilier vin et santé publique ? », la filière en avait déjà eu une. « La ministre de la Santé a affirmé qu'aucune mesure antivin ne serait prise », avait alors annoncé Catherine Quéré, présidente du groupe d'études viticoles de l'assemblée nationale, député socialiste de la Charente-Maritime.
Le sujet épineux de la publicité ayant été vu de bonne heure ce samedi matin, il est temps de passer aux suivants. Jean-Marie Barillère se charge de les rappeler à François Hollande. Devant le bar du pavillon des vins, il évoque l'importance des exportations. Or, « les vins chiliens entrent en Chine sans subir de taxe, contrairement aux vins européens », souligne le président du Cniv.
Puis il insiste sur la volonté de la viticulture de maintenir une OCM spécifique, avec ses « mesures structurantes ». Il souligne la nécessité de protéger les indications géographiques, affirmant qu'au sein de l'Union européenne, « la Lettonie ne reconnaît pas l'appellation Champagne ». Ce qui a l'air de surprendre le président François Hollande.
« Le vin est un produit de convivialité. Un produit de bonheur », poursuit Jean-Marie Barillère. « C'est une valeur de la France. Il faut y prêter plus d'intérêt », répond le président de la République, ravissant ses hôtes.
Vient le tour des maladies du bois. Le président du Cniv rappelle la nécessité de soutenir la recherche contre ce fléau. Autre sujet : les difficultés que rencontrent les interprofessions avec les « passagers clandestins », ces producteurs qui refusent de payer leurs CVO. « Je vois que des passagers clandestins, il y en a partout », plaisante François Hollande.
Mais place à la dégustation avec trois vins au menu : un marestel de Savoie, un côtes-de-provence rosé et un montravel du château Moulin Caresse. Le président de la République qualifie ce dernier de « bombe », une sortie qui lui vaut un franc succès sur les réseaux sociaux.
Dix minutes viennent de passer. Il est temps pour François Hollande de poursuivre sa visite, laissant ses hôtes ravis de son passage.
Nouvelle poussée de fièvre le lendemain après-midi. Dimanche 22 février, le cabinet de Manuel Valls appelle Jérôme Agostini, directeur du Cniv, pour l'informer d'un changement de programme : c'est le Premier ministre et non le ministre de l'Agriculture qui inaugurera le pavillon des vins le lendemain. Au départ, Manuel Valls « voulait inaugurer le stand sans prendre la parole, indique Jérôme Agostini. Nous n'étions pas d'accord car le ministre de l'Agriculture avait prévu un discours. Nous avions invité des responsables professionnels à venir l'écouter. Il était trop tard pour tout annuler ». Finalement, Manuel Valls se laisse convaincre de prendre la parole à la place de son ministre. Nouveau motif de satisfaction.
Lundi 23 février. Il est 11 h 35 lorsque le Premier ministre arrive au pavillon des vins, le pupitre où il doit prendre la parole est prêt depuis longtemps, placé devant une immense carte des vignobles de France. Jean-Marie Barillère prend la parole. Il rappelle les mêmes revendications qu'à François Hollande la veille, mais sur un ton bien plus ferme, comme un écho au caractère bien trempé de son invité. « Notre filière est le leader mondial de son secteur, insiste-t-il. Elle veut le rester. Pour cela, elle a besoin d'exporter. Renforcer les mesures concernant la publicité pour le vin, ce serait se tirer une balle dans le pied. C'est inconcevable. Nous exportons un produit vivant, culturel. Pas un poison, pas une drogue. » Puis, il demande une définition de la publicité dans le cadre de la loi Évin « pour que les journalistes puissent faire leur travail ».
Jérôme Despey lui succède pour aborder un autre sujet : l'OCM vin. « Nous avons une visibilité sur les programmes viticoles nationaux jusqu'au 15 octobre 2018. Nous demandons que votre gouvernement use de tout son poids pour que la Commission annonce le maintien des programmes nationaux. » Avant de céder la parole à Manuel Valls, il insiste : « Nous ne voulons pas de nouvelle disposition sur la publicité ni sur la fiscalité. »
« Votre filière doit être soutenue et encouragée », répond le Premier ministre. Il rappelle qu'aucune disposition sur la publicité pour le vin ne figure dans le projet de loi de santé publique de Marisol Touraine. Il ne va pas toutefois jusqu'à dire que le gouvernement s'opposera à toute modification venant des parlementaires. Mais il ajoute : « Comment pourrait-on stigmatiser un produit phare qui contribue à l'identité de la France dans le monde ? Il faut que nous gardions cette force. »
Après ce bref discours, c'est l'heure de la dégustation. Devant le bar, Jean-Marie Barillère rappelle que la filière veut une définition de la publicité. Manuel Valls lui conseille de prendre contact avec Bruno Le Roux, le chef du groupe socialiste à l'Assemblée nationale et avec le député de la Dordogne, Germinal Peiro. Tous deux l'accompagnent dans sa visite du Salon de l'agriculture.
Puis il promet qu'il portera le message de la filière à la commission concernant l'OCM viticole. Enfin, il convient qu'il ne faut pas baisser la garde sur l'enjeu majeur de la protection des indications géographiques.
Il est temps de goûter aux vins qu'Étienne Laporte, le sommelier du pavillon des vins, a choisis, en accord avec la personnalité fougueuse du Premier ministre. Pour commencer, un collioure blanc, vin catalan, comme Manuel Valls, puis un chinon rosé « puissant et poivré », souligne le sommelier. « Le rosé est la couleur d'avenir », plaisante Manuel Valls, faisant clairement allusion à la couleur de son parti.
Après cela, il goûte un autre vin de caractère : un pommard premier cru Les Rugiens. La dégustation s'achève par un mourvèdre IGP Pays d'Oc, « un vin de belle concentration, avec un côté rustique ». Un nectar qui semble plaire au Premier ministre, lequel a salué à plusieurs reprises, lors de la dégustation, les efforts de la filière pour améliorer la qualité de ses vins.
Nicolas Sarkozy : « Toute la réglementation européenne mais pas plus »
Un crémant d'Alsace et un mercurey attendent Nicolas Sarkozy sur le pavillon des vins, ce 25 février... Ainsi qu'une brochette de responsables professionnels. But de la visite pour la filière : lui faire part de ses revendications et le voir trinquer à la santé de la viticulture, alors qu'il ne boit pas.
Il est 11 h 45 lorsque le président de l'UMP arrive sur le stand. Jean-Marie Barillère, président du Cniv, Jérôme Despey, président du conseil des vins de FranceAgriMer, l'accueillent. Rapidement, les deux responsables l'invitent dans l'espace fermé du stand, dédié aux réceptions.
Les discussions portent sur deux sujets : la loi Évin et l'OCM. Jean-Marie Barillère, Audrey Bourolleau, directrice de Vin et Société, et Jérôme Despey prennent tour à tour la parole pour lui rappeler que la filière refuse toute nouvelle restriction de la publicité pour le vin et qu'elle demande une définition de la publicité.
Nicolas Sarkozy répond : « Vous, les viticulteurs, vous avez fait quelque chose que les autres secteurs de l'agriculture n'ont pas su faire : garder le contact avec le consommateur. » Puis il soutient que l'administration et les tribunaux français produisent trop de normes. « La première mesure que nous prendrons (sous-entendu, si nous revenons au pouvoir) sera : toute la réglementation européenne, mais seulement la réglementation européenne.
Ce sera une façon de repenser à la loi Évin. »
Il est temps de servir le crémant. Nicolas Sarkozy lève son verre à la santé de ses hôtes, sans plus de commentaire. Il boit deux ou trois gorgées. Puis, d'un coup, il bondit de son siège comme si l'épreuve avait assez duré !
Des dégustations très étudiées pour les politiques
« J'ai choisi les vins, en fonction du message que la filière voulait délivrer », explique Étienne Laporte, le sommelier du pavillon des vins. Pour François Hollande, un peu d'humour en prime. La dégustation a commencé par un vin de Savoie, un marestel, cépage altesse, vif et onctueux. « Un bel exercice de synthèse que l'équilibre entre la vivacité et la rondeur de ce vin. Vous qui maîtrisez l'art de la synthèse, vous devez savoir ce que cela veut dire », lui a glissé Étienne Laporte. Ensuite, le chef de l'État a eu droit à un côtes-de-provence rosé - la réserve du château de Brégançon - pour lui rappeler les vacances qu'il ne passera plus au fort de Brégançon. Alain Juppé, maire de Bordeaux, lui, a dégusté un graves-de-vayre blanc. « L'angle était de montrer le savoir-faire bordelais pour révéler la complexité aromatique du sauvignon », détaille le sommelier. Le commissaire européen à l'Agriculture est le seul qui a eu droit à un vin selon ses goûts. Grand amateur de chardonnay, Phil Hogan a trempé ses lèvres dans un meursault premier cru Les Charmes. « L'occasion de lui rappeler que le terroir n'est pas délocalisable », ajoute Étienne Laporte, qui a souligné ce que « charme » veut dire. Un écho à peine voilé à la volonté de la filière de convaincre le commissaire au sujet des nombreux dossiers européens qui se profilent pour les mois qui viennent.
Moulin Caresse : « C'est de la bombe »
Au château Moulin Caresse, à Saint- Antoine-de-Breuilh (Dordogne), on savoure la formule. Le président de la République, François Hollande a qualifié de « bombe » leur cuvée 2010, qu'il a dégustée lors de son passage au Salon de l'agriculture. Depuis, Jean-François et Sylvie Deffarge, à la tête de la propriété de 50 ha en AOC Montravel et Bergerac, récoltent félicitations et témoignages de sympathie sur les réseaux sociaux, de la part de clients particuliers (20 % du chiffre d'affaires), de cavistes et CHR. « Notre appellation mérite d'être mieux connue. Nous venons de franchir une marche en termes de notoriété. Nous en avons besoin », indique Jean-François Deffarge. Il a prévu d'envoyer une caisse de Moulin Caresse au président de la République.
Du vin et des jeux
« Cette bouteille de rosé a une forme reconnaissable ! Quel vin contient-elle ? » lance à la cantonade l'animateur, brandissant le contenant vide à l'assemblée réunie devant le bar du pavillon des vins. « Du tavel ! » répond du tac au tac une jeune femme perspicace. L'ambiance est festive et ludique. Les activités pour le grand public ne manquent pas : dégustations, petits cours d'accords mets et vins, parcours olfactif... Il y en a pour tous les âges et tous les goûts. Là, une imprimante pour réaliser soi-même une étiquette de vin comme un pro. Derrière, le jeu du tour de France où il faut pédaler sur un vélo fixé au sol - tout en répondant à des questions ! - pour découvrir la France viticole. Le Cniv n'a pas lésiné pour attirer les curieux et faire la promotion du vin dans le hall 2 du Salon de l'agriculture. Tout compris, le stand aura coûté 280 000 euros et occupé 340 m2 pour la durée de l'événement. Une somme financée à égalité par le Cniv et FranceAgriMer.
Marine Le Pen : « Les jeunes, c'est un vrai sujet »
Ce n'était pas qu'une visite de courtoisie. Le 26 février, Marine Le Pen s'est longuement arrêtée au pavillon des vins. Les représentants de la filière lui ont dressé le portrait d'une viticulture qui est une chance pour la France. « Nous avons de beaux produits issus d'une activité non délocalisable », insiste Jean-Marie Barillère, président du Cniv.
Alors que l'entourage de Marine Le Pen l'invite déjà à presser le pas, elle insiste pour prendre son temps. Elle déguste le rosé d'Anjou que ses hôtes lui ont servi, vapoteuse à la main. À plusieurs reprises, elle pose des questions sur un sujet délicat : l'avenir. « Vous avez des problèmes de recrutement ? », demande-t-elle à Jérôme Despey, qui reconnaît les difficultés de la viticulture pour recruter et installer des jeunes. « Les jeunes, c'est un vrai sujet », reprend Marine Le Pen. Il n'en faut pas plus à la députée européenne pour fustiger les lourdeurs administratives. Il en est un autre qu'elle aborde sans crainte : « Et la loi Évin ? » C'est alors que Jérôme Agostini, directeur du Cniv, s'emporte : « Nous avons affaire à une association - l'Anpaa - financée par des fonds publics qui nous empêche de faire la promotion de nos produits et traîne nos campagnes de publicité devant les tribunaux ! » Il prêche une convaincue. Marine Le Pen s'est en effet plusieurs fois déclarée favorable à la suppression de la loi Évin. Mais certaines questions restent délicates à aborder avec la présidente du Front national, comme l'euro, vital pour les exportations françaises. Marine Le Pen, qui veut quitter la monnaie unique, « ne s'est pas étendue sur ce point », fait observer le directeur du Cniv.