AU BOUT DE L'ALLÉE reposent les tonneaux qui ont logé le millésime 1472 et celui qui le contient aujourd'hui. © HUS
La pépite est installée au bout d'une longue allée de foudres fermée par une grille. Depuis janvier 2015, le nectar loge dans un nouveau fût en merrain de l'Allier de 450 litres. À sa droite a pris place le tonneau l'ayant hébergé pendant au moins deux siècles. Il est épuisé malgré tous les rafistolages pour restaurer son étanchéité. À sa gauche trône un foudre d'une trentaine d'hectolitres, aux douelles et aux cercles éclatés. Il fut le premier à accueillir ce vin du millésime 1472, le plus vieux vin en fût au monde. C'est le vin de l'hôpital, comme on l'appelle ici. Selon les écrits de l'époque, 1472 fut une année exceptionnelle, ce qui explique sans doute que ce vin ait pu se conserver jusqu'à nos jours.
« Nous savons que c'est un blanc d'Alsace issu d'une complantation, comme c'était la règle alors. Ces cépages sont très probablement les ancêtres des cépages actuels », indique Pélagie Hertzog, oenologue de la cave des Hospices de Strasbourg, propriétaires des lieux.
La dernière analyse en date du « vin de l'hôpital » remonte à 1994. D'après le bulletin, il titre 9,4° d'alcool, contient le double d'extrait sec de la normale et autant de sulfates que de sulfites. « Il a sans doute reçu 2 g de SO2 par litre. Il titre 1,12 g/l d'acidité volatile (équivalent H2S04). C'est élevé. Mais c'est toujours du vin, pas du vinaigre », avance Pélagie Hertzog. Cependant, avec les valeurs qu'il affiche, il n'est plus « loyal et marchand ».
Selon la dégustation qui en a été faite il y a vingt ans, il serait « puissant et complexe au nez avec des arômes de vanille, de miel, d'épices, de cire ». En bouche, il serait très acide avec un petit arrière-goût métallique sans doute acquis lors des multiples transferts qu'il a subis dans des contenants métalliques.
L'histoire du vin de l'hôpital reste un mystère. Elle retient qu'il n'a été officiellement bu qu'à trois grandes occasions : en 1576, quand, pour fêter l'alliance Zurich-Strasbourg, des Zurichois ont rallié Strasbourg en descendant le Rhin sur une barque, sans que la bouillie de millet chaude qu'ils avaient à bord eût le temps de refroidir ; en 1718, pour célébrer la reconstruction de l'hôpital détruit par un incendie ; et en 1945, lors de la libération de la ville par la Division Leclerc.
Il ne reste que 450 litres de ce vin, aujourd'hui précieusement surveillés. Ils ne subissent ni sulfitage, ni soutirage. L'ouillage est la seule opération régulièrement effectuée. Pélagie Hertzog utilise les fonds de bouteille de vins secs provenant des différentes dégustations se déroulant aux Hospices. Elle prend soin d'éviter muscat et gewurztraminer dont les arômes dénatureraient le célèbre aïeul. « Comme ce vin n'est pas monocépage, il est logique de procéder ainsi », précise la jeune oenologue. Dans l'ancien fût, il fallait compter avec une bouteille par trimestre. Dans le nouveau, la part des anges sera sans aucun doute moins importante. Du fait de cette évaporation naturelle, il ne reste presque rien du vin d'origine, sauf l'extrait sec.
Comme il est impossible de le déguster, les visiteurs de la cave se consolent en humant la bonde en bois qui ferme le tonneau. Ils peuvent aussi contempler le vin. Un litre et demi a été embouteillé dans un magnum bouché à la cire. Le verre blanc laisse voir sa belle couleur ambrée, indice de son grand âge.