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VIGNE

Luna Privilège dans la tourmente

JULIETTE CASSAGNES - La vigne - n°281 - décembre 2015 - page 40

Cet antibotrytis est soupçonné d'avoir provoqué des pertes de récolte, cette année, sur des parcelles où il a été appliqué tardivement l'an dernier. Bayer se dit prêt à indemniser équitablement les vignerons touchés.
LES DÉGÂTS s'expriment sur les feuilles qui présentent des signes d'enroulement (à gauche) et sur les grappes par un défaut de floraison. © DR

LES DÉGÂTS s'expriment sur les feuilles qui présentent des signes d'enroulement (à gauche) et sur les grappes par un défaut de floraison. © DR

Un an après sa première campagne d'utilisation, Luna Privilège pose un problème. Cet antibotrytis de Bayer pourrait avoir provoqué des dégâts en France, en Autriche, en Italie, en Allemagne et, surtout, en Suisse. En mars et avril, des symptômes sur les feuilles et les grappes sont apparus dans des parcelles traitées l'an dernier. Les feuilles présentaient des signes d'enroulement et les grappes un défaut de floraison, leur partie inférieure ayant avorté. Les viticulteurs concernés ont subi des pertes de récolte, parfois conséquentes. « Elles sont très variables, jusqu'à 50 ou 70 % dans les pires des cas », témoigne Albert, salarié chez un distributeur, en Champagne.

Selon les chiffres communiqués par Bayer, sur les 14 000 hectares protégés avec ce produit en 2014 en France, 2 % des surfaces - soit 280 hectares - sont atteintes. Deux vignobles seraient touchés : la Champagne, pour cent hectares environ, et le Val de Loire. Au total, une centaine de viticulteurs français seraient concernés. En Suisse, les dégâts ont été nettement plus importants, avec près de 2 000 hectares et 900 entreprises affectés dans tous les cantons viticoles.

D'après les premiers résultats de l'enquête conduite par Bayer auprès de ces vignerons, ces symptômes sont presque toujours consécutifs à des applications tardives du produit en 2014, au début ou à la mi-véraison, au mois d'août... Période pendant laquelle a lieu l'induction florale pour l'année suivante. Ceux qui ont appliqué l'antibotrytis aux stades précoces « fin de floraison » ou « fermeture de la grappe » - soit la grande majorité des viticulteurs français - n'ont aucun impact à déplorer.

Autre facteur en cause : la météo. La plupart des cas rencontrés coïncident avec un traitement en conditions pluvieuses. En Champagne, on soupçonne également un effet de surdosage. « Les viticulteurs touchés ont tous traité avec un chenillard ou une turbine, qui passe tous les deux rangs, indique le distributeur champenois. Avec ces appareils, on applique plus de produit sur les grappes un rang sur deux. Or, ces rangs sont les plus touchés ».

Mais le mécanisme en cause reste à déterminer. « Il ne s'est jamais rien produit de tel lors des tests de pré-homologation, assure Stéphanie Goutorbe, responsable de la communication chez Bayer France. Ce qui complique la compréhension du problème, c'est que l'impact s'est fait sentir l'année qui a suivi l'application. » L'Anses a été saisie de l'affaire.

En attendant d'y voir clair, Bayer a réagi de plusieurs manières. Cet été, la firme a recommandé aux distributeurs de déconseiller Luna Privilège au-delà du stade fermeture de grappe. Puis, en octobre, elle a décidé, « à titre de précaution et pour la sécurité de ses clients », de retirer « temporairement » Luna Privilège du marché, pour 2016. Pour autant, le produit reste homologué. « Quand nous aurons des résultats probants, nous évaluerons les conditions de remise sur le marché du produit », prévoit Stéphanie Goutorbe.

Bayer a aussi pris l'initiative d'offrir une « compensation » aux viticulteurs touchés. La firme leur a envoyé un courrier leur demandant des éléments « très précis », afin qu'elle puisse leur faire l'offre « la plus juste et équitable possible ». Cette proposition devrait leur parvenir au cours du premier trimestre 2016.

Pour autant, la firme n'admet pas (encore) officiellement sa responsabilité dans les dégâts constatés. « Il est fort probable qu'il y ait un lien. Mais tant que nous n'avons pas de certitude, Bayer ne peut pas reconnaître sa responsabilité », explique Stéphanie Goutorbe.

Des pertes conséquentes en Suisse

En Suisse, le canton de Vaud est l'un des plus touchés : les dégâts ont été répertoriés sur 524 ha, soit 14 % du vignoble. Sur ces parcelles, le volume de récolte potentiel perdu peut aller de 10 % à 90 %, avec une moyenne estimée entre 30 % et 40 %. La Fédération suisse des vignerons (FSV) évalue le manque à gagner total pour le pays à environ 6,5 millions de litres de vin, soit 5 % de la production nationale. En tenant compte de la valeur marchande du raisin (4 CHF/kg), la FSV a chiffré le préjudice entre 26 et 30 millions de francs suisses. À la différence de la France, en Suisse, l'antibotrytis a été appliqué, dans la plupart des cas, après la fermeture de la grappe. Cela pourrait expliquer pourquoi les surfaces impactées y sont nettement plus importantes.

Une matière active maintenue

Alors que Bayer a temporairement retiré Luna privilège du marché français, la firme a décidé de maintenir ses autres fongicides contenant du fluopyram, notamment Luna Sensation (ou Luna Xtend), un anti-oïdium et anti-black-rot. « Ce produit n'est pas concerné par les dégâts », affirme Bayer. En Suisse, en revanche, les responsables professionnels ont déconseillé aux viticulteurs d'utiliser ce fongicide cette année. Plusieurs « cas suspects » de mauvaise croissance les ont incités à aller dans ce sens.

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