Retour

imprimer l'article Imprimer

DOSSIER - Rendements : cap sur la hausse !

Rendements Cap sur la hausse !

PAR FRÉDÉRIQUE EHRHARD - La vigne - n°284 - mars 2016 - page 20

Vignerons et organisations professionnelles réagissent à la chute des rendements qui réduit la marge des exploitations et la part de marché de la France à l'export. Sur le terrain, des conseillers analysent les causes de cet affaiblissement et des vignerons nous expliquent comment ils redressent la barre.
POUR PLUS DE VIGUEUR, Fabien Tarascon décompacte ses sols tous les ans et sème de l'engrais vert. © L. WANGERMEZ

POUR PLUS DE VIGUEUR, Fabien Tarascon décompacte ses sols tous les ans et sème de l'engrais vert. © L. WANGERMEZ

Tous les membres du groupe national des conseillers viticoles de chambre d'agriculture font le même constat. « Nous sommes de plus en plus souvent appelés par des vignerons qui nous disent : "Je n'atteins plus le rendement que je vise." Redresser les rendements, c'est la priorité du moment. Les maladies du bois n'expliquent pas tout. Nous sommes allés trop loin dans la maîtrise de la vigueur, en poussant tous les curseurs dans le même sens », souligne Michel Badier, l'animateur de ce groupe.

Vieillissement du vignoble, taille courte, enherbement généralisé et baisse de la fertilisation ont produit leurs effets, aggravés par les aléas climatiques. Un nombre croissant de parcelles s'affaiblit, et ce, quel que soit le niveau de rendement visé. « Depuis deux ou trois ans, nous sommes sollicités aussi bien par des vignerons qui n'arrivent pas à récolter 40 hl/ha en haut de gamme que 55 hl/ha en coeur de gamme. Tous nous demandent de les aider à atteindre leurs objectifs », note Maxime Christen, de la chambre d'agriculture de la Gironde.

Il devient urgent d'agir car cette érosion des rendements entame la rentabilité des exploitations. « Les derniers hectolitres font la marge », rappelle Michel Badier. L'enjeu est également national. Les négociants ne cessent de souligner le recul en volume de la France sur la scène mondiale. Le Comité national des interprofessions viticoles (Cniv) tire lui aussi la sonnette d'alarme. Début avril, il va lancer un plan d'action pour restaurer le potentiel de production en luttant contre les dépérissements. « Nous devons retrouver de la compétitivité. Ces petites récoltes, ces volumes en moins, ce sont autant de parts de marché que l'on perd. La plupart des vignobles sont concernés. Nous devons accentuer nos efforts et faire de cette lutte une priorité nationale », affirme Jérôme Agostini, le directeur du Cniv. Sur le terrain, les vignerons, profitant de meilleurs revenus, redressent déjà la barre, en raisonnant mieux la conduite dans chaque parcelle.

État des lieux dans quelques régions et chez quatre producteurs qui ont pris le problème à bras-le-corps.

VALLÉE DU RHÔNE

Des conseils enfin entendus

« Nous tirons la sonnette d'alarme depuis 2004. Les vignes ont souffert de la canicule de 2003. Puis elles ont continué à s'affaiblir à cause du vieillissement du vignoble, des abandons de fumure et du manque d'entretien des sols liés à la crise », constate Isabelle Méjean, de la chambre d'agriculture de la Drôme.

Mais, au milieu des années 2000, le rendement n'était pas la priorité. Le Syndicat général des vignerons des Côtes du Rhône l'avait abaissé pour alléger les stocks et soutenir les prix. Les mises en garde des techniciens sont donc restées sans suite alors que les vignes continuaient à s'affaiblir. En 2008, 2009 et 2010, les rendements moyens sont descendus en dessous de 40 hl/ha dans l'appellation Côtes-du-Rhône. En 2012, les vignes ont aussi souffert du gel hivernal. Aujourd'hui, alors que les cours remontent, les volumes manquent. Le rendement moyen plafonne entre 46 et 48 hl/ha alors que le rendement autorisé est de 52 hl/ha.

Disposant de meilleures trésoreries, les vignerons redressent la situation. « Sur un vignoble de 1 300 ha, nos adhérents ont déjà replanté 300 ha en cinq ans, note Christophe Lazib, technicien de la coopérative de Puyméras, dans le Vaucluse. Les rendements s'améliorent car le vignoble rajeunit. » La complantation reprend aussi, mais il faudra du temps pour rattraper le retard pris. Et ce, d'autant plus que, depuis deux ans, les pépiniéristes ont du mal à répondre à la demande en plants.

Dans les vignes affaiblies, les adhérents luttent contre le chiendent et apportent plus d'engrais pour accroître la vigueur. Ils réduisent également l'enherbement quand il devient trop concurrentiel. « On a voulu enherber partout, c'était une erreur. Dans les terres séchantes, il suffit de laisser un rang sur cinq enherbé pour la portance lors des traitements », conseille-t-il.

Pour piloter la fertilisation, Christophe Lazib fait réaliser des analyses de pétioles. « Il ne s'agit pas de revenir à des excès de vigueur. Au printemps, le développement ne doit pas être trop rapide car, par la suite, les vignes souffrent davantage si l'été est très sec », rappelle-t-il.

Malgré cela, des producteurs n'obtiennent pas les résultats attendus. « Dans les parcelles atteintes de court-noué, lorsqu'il n'y a pas eu de repos du sol, la maladie redémarre rapidement et favorise la coulure sur grenache », observe Isabelle Méjean.

BEAUJOLAIS

La fertilisation relancée

« Depuis dix ans, le rendement s'établit en moyenne entre 35 et 45 hl/ha, bien en dessous des 52 hl/ha du rendement autorisé dans l'appellation Beaujolais », constate Pascal Hardy, de la chambre d'agriculture du Rhône. Les explications varient en fonction des millésimes. Il y a bien sûr les aléas climatiques. « Nous avons eu du gel, de la grêle et de la sécheresse », énumère-t-il. Mais il y a aussi des aspects structurels. « La moyenne d'âge des vignes est de 44 ans. Le renouvellement est traditionnellement lent dans notre région. Et les difficultés économiques l'ont encore ralenti », souligne-t-il. Depuis quatre ans, un plan de restructuration collectif a permis de replanter 120 ha/an. Mais, à ce rythme, le rajeunissement de ce vignoble de 18 000 ha s'avère encore bien trop lent.

« Le levier le plus efficace à court terme, c'est la fertilisation », affirme-t-il. Avec la crise, beaucoup de vignerons ont fait l'impasse sur les apports de matière organique et d'engrais. Aujourd'hui, pour retrouver du rendement, il faut d'abord remonter la vigueur dans ces parcelles. « Nous communiquons sur la nécessité de revenir à une fertilisation raisonnée », explique-t-il.

En 2015, année très sèche, les vignes fertilisées ont donné 5 à 10 hl/ha de plus que celles sans fertilisation. « C'était très net, nous sommes plusieurs techniciens à l'avoir constaté. C'est sans doute parce que les vignes bien nourries ont un système racinaire plus dense, qui leur permet de mieux utiliser le peu d'eau disponible. »

CHARENTES

Les plantations reprennent

Depuis cinq ans au moins, le cognac a le vent en poupe. À tel point que la région a réalisé des ventes records l'an dernier, avec 169 millions de bouteilles expédiées à travers le monde. Pour le négoce, elle ne devrait pas s'arrêter en si bon chemin. Ses responsables saisissent chaque occasion pour encourager les viticulteurs à renouveler leur vignoble, afin qu'il soit plus productif.

Les exploitants s'y attellent. Le taux de renouvellement, qui était tombé à 1,5 % par an durant les années difficiles, s'élève actuellement à 3,5 % par an. « Si ce rythme est maintenu, d'ici quelques années, tout le monde devrait avoir redressé la barre », estime Lionel Dumas-Lattaque, de la chambre d'agriculture de Charente-Maritime.

Mais il reste encore beaucoup à faire. Les maladies du bois et la flavescence dorée ont provoqué des dégâts à travers le vignoble. L'interprofession du cognac (Bnic) estime qu'en 2014, 17 % des plants étaient improductifs car morts ou malades. C'est comme si 13 000 ha ne produisaient pas. Avant d'agrandir le vignoble, la priorité est donc au remplacement de ces vignes décimées.

« Les vignerons qui ont renouvelé et entretenu régulièrement leur vignoble arrivent sans problème à 120 hl/ha, voire au-delà, ce qui leur permet d'atteindre le rendement autorisé et même de constituer des réserves (réserve climatique de 5 hl/ha d'alcool pur, NDLR). D'autres ont laissé leur potentiel de production s'affaiblir et plafonnent à 80 ou 85 hl/ha », déplore Lionel Dumas-Lattaque. Compte tenu du bon niveau actuel des prix, ils ont les moyens d'y remédier.

TOURAINE

Priorité au renouvellement

Le vignoble vieillit, c'est la première cause de la baisse des rendements. « Ces dernières années, le rendement moyen des appellations Touraine et Cherveny s'est établi entre 45 et 55 hl/ha, alors que le rendement autorisé est de 60 hl/ha en blanc », constate Michel Badier, de la chambre d'agriculture du Loir-et-Cher.

« Depuis quinze ans, le renouvellement prend du retard. Il aurait fallu planter 90 ha par an pour rajeunir nos 3 000 ha de sauvignon au rythme de 3 % par an. Or, sur cette période, la moyenne n'a été que de 58 ha/an », détaille l'agronome.

Dominique Girault, président du Comité d'orientation viticole à la chambre régionale du Centre, s'alarme de cette situation. « Nos sauvignons sont demandés à l'export. Les stocks sont au plus bas. Pour ne pas perdre de parts de marché, nous devons restaurer le potentiel de production en portant les efforts de renouvellement sur ce cépage. »

Heureusement, les vignerons rattrapent le retard. Ils replantent des clones un peu plus productifs et fertilisent davantage. « Les impasses ont pénalisé la vigueur. Ceux qui en ont fait, remettent de l'azote, en ajustant les doses pour éviter les excès », constate Michel Badier. La concurrence de l'enherbement est, quant à elle, mieux maîtrisée. « En 2015, année très sèche, beaucoup l'ont supprimé temporairement. »

La succession de petites récoltes a également mis en évidence la nécessité de garder une marge de sécurité à la taille (voir encadré). « Le rendement ne doit pas être déterminé trop tôt de façon stricte car des aléas climatiques peuvent par la suite réduire la charge, rappelle Michel Badier. Il est toujours possible d'enlever des grappes, même si cela a un coût, mais il est impossible d'en ajouter ! »

Dépérissements : 900 millions d'euros de manque à gagner

En 2014, les dépérissements auraient fait perdre 2,1 à 3,4 millions d'hectolitres et 900 millions à un milliard d'euros à la filière, tous vins confondus. C'est le BIPE, un cabinet de conseil stratégique, qui a réalisé cette évaluation, dans le cadre d'une étude que lui ont confiée le Cniv et FranceAgriMer. « Dans les appellations, le décrochage s'accélère à partir de 2008 entre le rendement autorisé et le rendement déclaré. En 2014, le manque à produire atteint 4,6 hl/ha en moyenne. En extrapolant ce chiffre à l'ensemble du vignoble, on arrive à ce chiffre de 900 millions à un milliard d'euros de perte », détaille Étienne Jobard, du BIPE.

Ces dépérissements sont causés par les maladies du bois et les stress climatiques, encore aggravés par des pratiques inadaptées. Le Cniv va lancer un plan d'action en vue de réduire leur impact. Le premier volet concerne la recherche sur les maladies du bois, bien sûr, mais aussi sur la physiologie du cep. « Nous voulons mieux cerner tout ce qui relie le rendement et à la longévité, de façon à assurer la productivité des vignes à long terme », précise Christophe Riou, directeur-général adjoint de l'IFV, qui assiste le Cniv sur les aspects techniques. Un autre volet portera sur le matériel végétal, en partenariat avec les pépiniéristes. Enfin, un troisième se penchera sur les bonnes pratiques qui permettent de limiter les dépérissements, en y associant les vignerons.

Deux yeux de plus pour davantage de sécurité

Certaines appellations ne se sont pas accordé de marge de sécurité à la taille. C'était le cas de Cherverny. « Jusqu'en 2015, notre cahier des charges imposait un maximum de 11 yeux par cep à la taille, rappelle Daniel Tévenot, président de l'ODG de cette appellation du Loir-et-Cher. Avec le chenin, qui donne de belles grappes, cela permet d'atteindre les 60 hl/ha autorisés. Mais avec le sauvignon, c'est juste. » Lors de la révision du cahier des charges en 2015, cet ODG a réussi à faire passer à 13 le nombre maximum d'yeux autorisés par cep, à condition qu'après la floraison, le vigneron ne garde que 11 rameaux fructifères. « Nous sommes en train de discuter du plan d'inspection, indique-t-il. Un vigneron qui a laissé plus de rameaux ne devrait pas être sommé de rectifier tout de suite le tir. Il faut d'abord voir s'il va dépasser ou non le rendement ! » Daniel Tévenot pense que les règles de conduite devraient s'adapter au cépage ainsi qu'au clone. « En pinot noir, par exemple, le clone 115, qualitatif, donne de petites grappes. Pour obtenir un rendement correct (55 hl/ha autorisés pour les rouges et les rosés), il faudrait le tailler plus long que les autres clones. » Mais là, c'est une autre histoire. Car, pour entrer ainsi dans les détails, il faudrait des contrôleurs capables de distinguer les différents clones !

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :