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L'opération « Blaye au comptoir », à Bordeaux « Je deviens sommelière le temps d'un déjeuner »

COLETTE GOINÈRE - La vigne - n°284 - mars 2016 - page 55

PROMOUVOIR SON AOC ET SON VIN au restaurant sans importuner les clients, c'est le défi que relèvent les viticulteurs de l'opération Blaye au comptoir, à Bordeaux. La preuve en images avec Nathalie Feydieu, du Château Le Taillou.
NATHALIE FEYDIEU a investi le Noailles aux couleurs du blaye-côtes-de-bordeaux pendant l'opération Blaye au comptoir. P. ROY

NATHALIE FEYDIEU a investi le Noailles aux couleurs du blaye-côtes-de-bordeaux pendant l'opération Blaye au comptoir. P. ROY

AU BISTROMATIC, à une tablée de jeunes, Cédric photographie la bouteille du vin de Nathalie pour la garder en mémoire et en racheter à l'occasion. P. ROY

AU BISTROMATIC, à une tablée de jeunes, Cédric photographie la bouteille du vin de Nathalie pour la garder en mémoire et en racheter à l'occasion. P. ROY

À LA TERRASSE DU BISTROMATIC, Olivier et Édouard délaissent leurs bières pour déguster le château Le Taillou. P. ROY

À LA TERRASSE DU BISTROMATIC, Olivier et Édouard délaissent leurs bières pour déguster le château Le Taillou. P. ROY

AU RESTAURANT LE NOAILLES, Magali et Henri ont craqué pour une bouteille de Le Taillou après avoir goûté ce vin qu'ils ne connaissaient pas. P. ROY

AU RESTAURANT LE NOAILLES, Magali et Henri ont craqué pour une bouteille de Le Taillou après avoir goûté ce vin qu'ils ne connaissaient pas. P. ROY

POUR PROPOSER UNE DÉGUSTATION aux clients attablés, Nathalie doit être brève, directe et chaleureuse. Elle est bien reçue à la table d'Éric et Eymery pour présenter son vin P. ROY

POUR PROPOSER UNE DÉGUSTATION aux clients attablés, Nathalie doit être brève, directe et chaleureuse. Elle est bien reçue à la table d'Éric et Eymery pour présenter son vin P. ROY

 P. ROY

P. ROY

À l'heure du service, les serveurs en grande tenue évoluent habilement entre les tables. P. ROY

À l'heure du service, les serveurs en grande tenue évoluent habilement entre les tables. P. ROY

Jeudi 4 février, 11 h 30, la salle du restaurant Le Noailles est vide. Les serveurs finissent de déjeuner avant le coup de feu. Seule Nathalie Feydieu s'active. Il faut inscrire sur des chevalets en carton le prix de son château Le Taillou, millésime 2013, un blaye-côtes-de-bordeaux élevé en fûts de chêne : 25 € la bouteille et 6 € le verre. Puis, installer un chevalet sur chaque table. Vérifier qu'il y a bien sept tabliers - autant que de serveurs - arborant en gros caractères : « Blaye Côtes de Bordeaux : remarquable ! ». Enfin, penser à offrir la clef USB au restaurateur qui l'accueille. Cette clé contient une présentation de l'appellation, ses 430 châteaux, propriétés familiales pour la plupart d'environ 15 ha, et de l'opération Blaye au comptoir dont c'est la 9e édition à Bordeaux.

Pendant deux jours, les 4 et 5 février, cinquante viticulteurs de l'AOC font goûter leurs vins dans les restaurants, bars à vin et cavistes de la ville. Nathalie Feydieu a prévu six bouteilles à faire déguster au Noailles au déjeuner et ce soir. Le restaurant en a acheté 24 autres qu'il compte bien vendre. Mais les bouteilles sont trop fraîches. Nathalie s'inquiète. Pas question de rater son coup : la viticultrice n'est pas encore référencée dans cette brasserie de 100 places assises.

C'est la première fois que Marie-Thérèse Allyre, chef de rang, a accepté l'opération Blaye au comptoir. C'est « une publicité gratuite », reconnaît-elle, même si le Noailles, qui fait figure d'institution depuis 1932, n'en a pas besoin. Hommes politiques, avocats et commerçants le fréquentent. Des acteurs aussi, tels que Pierre Arditi, un habitué, Francis Perrin, qui ne manque jamais de claquer la bise à la chef de rang, Vincent Lindon ou Michel Leeb.

Il est un peu plus de 12 heures. Les clients arrivent. Nathalie entre en scène. Sourire jovial, gestes amples et bouteille en main, elle s'approche d'une table où ont pris place deux hommes et une femme, la quarantaine bronzée. « Je vous offre une dégustation ? propose-t-elle. C'est le vin que je produis avec mon frère en appellation Blaye. Nous sommes la troisième génération. » Nathalie n'a pas le temps d'aller plus loin. « Nous sommes de passage. On ne connaît pas cette appellation. Et de toute façon, on ne va pas boire pendant le déjeuner », interrompt la femme. Fin de non-recevoir.

Nathalie fait bonne figure. Pas question d'être déstabilisée pour si peu. Elle repère un jeune couple, la trentaine, assis au fond de la salle. « Cette fois, il faut que j'arrive à leur expliquer l'opération. » Souriante, elle les aborde d'une voix posée et rassurante : « Je me permets de vous importuner et de vous offrir une petite dégustation gratuite de mon vin. Il est fruité, facile à boire, 85 % de merlot, 15 % de cabernet-sauvignon. Il a été élevé dans des barriques qui ont déjà reçu deux ou trois récoltes. Si vous l'aimez, vous pouvez vous offrir une bouteille ou en prendre au verre pour accompagner votre repas. Nous faisons découvrir notre AOC pendant deux jours, dans une cinquantaine de restaurants de Bordeaux. On vient à votre rencontre. »

Cette fois, son enthousiasme et sa conviction font mouche. Magali l'écoute attentivement. Henri semble plus dubitatif. Tous les deux travaillent dans la restauration haut de gamme. « Les blayes ne sont pas à la carte de nos établissements. Mais nous allons goûter votre vin et s'il nous plaît, nous prendrons une bouteille », assure-t-il.

Nathalie leur verse un fond de verre pour la dégustation et retourne au comptoir, les laissant à leur conversation. Une petite pause qui ne l'empêche pas de surveiller du coin de l'oeil la table de Magali et Henri. Bingo ! Le couple a commandé une bouteille du Taillou au serveur, ainsi qu'un tartare de boeuf et un rognon de veau. Pour autant, la viticultrice ne crie pas victoire. L'exercice n'est pas facile. Comment promouvoir son appellation et son vin ? Comment attirer l'attention du client sans l'importuner ? Jouer la carte de la sobriété tout en se faisant remarquer. « Je dois être discrète, me mettre en retrait, tout en donnant un maximum d'informations en un minimum de temps. »

Occuper le terrain peut s'avérer risqué. Pour éviter les serveurs qui virevoltent un plat à la main, Nathalie fait un geste brusque. Résultat : une des bouteilles de Taillou tombe et se brise. Vite, il faut aider le serveur à ramasser les débris de verre. Des effluves se dégagent. « Il a une bonne odeur ce vin », lâche une cliente. Mais Nathalie ne l'entend pas.

Déjà, elle est allée au-devant d'Éric, 49 ans, et Eymery, 50 ans, responsables d'entreprises, qui affichent la couleur d'emblée : eux sont amoureux de l'appellation Pessac-Léognan. Elle avoue les comprendre, leur donne raison. Peu à peu, elle glisse quelques informations sur Blaye et sa citadelle, sur l'AOC qui produit et vend autant que le Médoc. Puis, sur le ton de la confidence : « Je vous offre de déguster mon vin. Mon frère est à la vigne et moi je le vends. Le millésime 2013 doit être apprivoisé. Prenez votre temps, vous allez aimer sa rondeur. » Elle sert un fond de verre et s'éclipse.

Il est 13 h 30. Mis à part les deux premiers, aucun client n'a refusé de déguster. Nathalie apprécie. Discrètement, elle déambule entre les tables, sourit, lance un « Tout va bien ? » à quelques clients. « Pendant quelques heures, il faut faire partie du personnel. On intervient comme si on était le sommelier du restaurant. »

Éric l'apostrophe : « Votre vin est facturé ici 25 €, et à la propriété ? » Un instant d'hésitation, et Nathalie répond : « Chez moi, il coûte 6 euros. » Un ange passe. Nathalie retourne au comptoir.

Le lendemain, 11 h 30, changement de décor. Direction le Bistromatic, une cuisine familiale, ambiance bistrot, 53 places assises, en plein coeur de Bordeaux. Nathalie est en terrain connu car le restaurant propose ses vins depuis quatre ans. C'est la deuxième année que Pierre Taste, le patron, participe à l'opération Blaye au comptoir. « Notre clientèle, assez jeune, est attentive aux informations que donne Nathalie », affirme-t-il. La viticultrice installe les bouteilles près du radiateur : le vin est encore trop frais ! Elle inscrit les prix sur le chevalet : 3,50 € le verre, 16 € la bouteille de Taillou millésime 2013. « Ici, on est moins gourmand qu'au Noailles », sourit-elle.

Trois hommes, chauffeurs de taxis, la cinquantaine, s'installent au comptoir. « Ça vous tente un petit coup de Blaye ? leur demande Nathalie. Je vous l'offre. » François, rondouillard, lunettes rondes, se laisse faire. Cet après-midi, il est de repos. L'AOC Blaye, il la connaît comme les autres AOC de Gironde. « Dans la formation de taxi, il y a un chapitre sur le vignoble bordelais et les cépages. Nous sommes le premier contact pour les touristes », explique-t-il.

Le bistrot se remplit. Deux clientes, la quarantaine, viennent de commander le pavé de merlu avec un risotto aux champignons. Le set de table aux couleurs de Blaye au comptoir les intrigue. Nathalie s'engouffre dans la brèche « Blaye au comptoir, c'est la 9e édition à Bordeaux. Je vous offre de déguster le vin de notre propriété. » Marie, 44 ans, Marie-Agnès, 51 ans, toutes deux dans l'immobilier, se montrent curieuses et demandent des informations sur la façon de produire le vin. Puis elles réclament la carte de visite de Nathalie.

Un peu plus loin, ambiance décontractée, joyeux brouhaha et éclats de rire à la table de six trentenaires. Cédric immortalise la scène, en prenant avec son portable la photo de Nathalie servant son vin. Salarié d'une structure de tourisme, il est convaincu que Blaye est une ODG dynamique, comme Côtes de Bourg. « Toutes deux ont la volonté de sortir du lot », dit-il en dégustant son verre de Taillou. Le verdict tombe : « C'est une bonne surprise. Il est rond et vif. »

À la table voisine, Karine, 44 ans, travaillant dans une serrurerie, apostrophe Nathalie. « Vous avez fait l'opération l'an dernier. Je me souviens de votre dynamisme, vous étiez convaincante, s'enthousiasme-t-elle. Mais je n'avais pas vos coordonnées, je ne savais pas comment vous retrouver. » Et pour cause : rien n'est prévu pour laisser une trace du passage des viticulteurs.

Dehors, sur la terrasse, Olivier, graphiste, et Édouard, dans le bâtiment, 29 ans chacun, profitent du soleil. À petite gorgée, ils dégustent le verre de Taillou que Nathalie leur a offert. Tous deux découvrent l'AOC, le vin et l'opération. Les chopes de bière qu'ils avaient commandées en s'attablant restent pleines.

Blaye au comptoir

Née à Paris il y a vingt ans, l'opération Blaye au comptoir s'est fixé pour objectif de promouvoir cette AOC qui s'étend sur 6 000 hectares, produit 250 000 à 300 000 hl par an dont elle exporte 15 %. Le principe : pendant deux jours, une cinquantaine de viticulteurs investissent les restaurants pour faire déguster leurs vins. Ils offrent le premier verre. Aux clients, ensuite, d'acheter une bouteille si le coeur leur en dit. Depuis trois ans, l'opération s'est élargie aux cavistes et bars à vin. Cette année, à Bordeaux, onze cavistes ont participé à l'événement contre trois l'an passé. « Les consommateurs boivent moins au moment du déjeuner. Chez les cavistes, ils n'hésitent pas à déguster et ceux-ci sont demandeurs d'animations. Déguster chez le caviste en présence du vigneron, cela plaît aux jeunes », indique Mickaël Rouyer, directeur de l'ODG Blaye-Côtes-de-Bordeaux. L'opération coûte 20 000 € à l'appellation (communication et PLV). En revanche, difficile de chiffrer les retombées. L'AOC ne veut pas en rester là. Blaye au comptoir devrait se dérouler à Bruxelles en juin 2016 ou 2017. « La Belgique est le premier marché des vins de Blaye à l'export. Elle représente 24 % de nos exportations », indique Mickaël Rouyer.

Bilan positif

Dans les deux restaurants, tous les clients ont accepté de déguster le vin de Nathalie Feydieu sauf deux. « Ils ont eu une perception très positive de l'opération Blaye au comptoir, de mon vin, de l'AOC, explique la viticultrice, installée à Saint-Androny (Gironde). Ils m'ont dit que c'était une très bonne idée que d'aller à leur rencontre. Cette opération prend du temps, de l'énergie. Mais ça vaut le coup s'il y a un référencement à la clef. » Sur ce plan-là, rien n'est encore acquis. Nathalie espère se faire référencer au Noailles qui a vendu 18 des 24 bouteilles qu'il avait achetées pour l'opération Blaye au comptoir, le 4 février.

TRUCS ET ASTUCES POUR RÉUSSIR UNE OPÉRATION DANS UN RESTAURANT

- Il faut convaincre le restaurateur que l'opération apportera un coup de projecteur sur son établissement. « Nous mettons en avant le dynamisme de notre appellation et également la cible qui consomme du Blaye Côtes de Bordeaux : les trentenaires, qui les intéressent aussi », indique Nathalie.

- Ne pas proposer aux restaurateurs d'acheter trop de bouteilles pour l'opération. Ils n'ont pas la place pour les stocker. Et ils ne veulent pas trop dépenser.

- Ne pas gêner la bonne marche du restaurant. « On se faufile entre les tables. Et pendant quelques heures, on travaille avec les serveurs. On fait partie du personnel, comme un sommelier. »

- Laisser une trace de son passage : un mini-flyer avec photo de votre bouteille, une carte de visite (site web, etc.) peuvent être laissés aux clients tout en leur faisant déguster le vin. Rien n'est prévu dans ce domaine par Blaye au comptoir et des clients le regrettent.

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