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GÉRER - LA CHRONIQUE JURIDIQUE

Dure rupture pour un Gaec composé de deux associés

JACQUES LACHAUD - La vigne - n°284 - mars 2016 - page 76

Tout associé a le droit de participer aux décisions collectives de la société dont il est membre, même si cette décision consiste à le mettre dehors. La Cour de cassation vient de rappeler cette règle dans le cadre d'un Gaec où l'un des deux associés a décidé, seul, d'exclure l'autre.

Largement répandu en agriculture, le Gaec, ou groupement agricole d'exploitation en commun, présente beaucoup d'avantages. Créé en 1962, il s'agit d'une association de travail en commun dans des conditions proches de celles que l'on trouve dans les exploitations familiales.

Un Gaec peut comprendre jusqu'à dix associés, mais il en faut deux au minimum. C'était le cas pour le Gaec Lédeux-Fonlapère, composé d'Anatole et d'Hippolyte, dont un arrêt de la Cour de cassation du 10 février 2015 relate la fin houleuse.

Tout commence lorsqu'Anatole conteste devant la justice son expulsion du Gaec, laquelle est confirmée en première instance, puis en appel. L'exploitant n'en démord pas et porte l'affaire devant le juge suprême.

Il se trouve que les deux associés y ont chacun mis du leur ! Leurs relations sont tendues depuis un moment déjà. En décembre 2009, il apparaît qu'Anatole ne travaille plus au Gaec mais fait tout pour entraver son bon fonctionnement. Il utilise le tracteur de la société à des fins personnelles. Il va jusqu'à placer des cadenas sur les bâtiments et sur des cuves de gasoil pour en interdire l'accès. Il sera d'ailleurs condamné en référé, le 20 juillet 2010, à payer une amende pour ces méfaits, à enlever les cadenas et à restituer les matériels qu'il avait accaparés, ce qu'il fera bon gré mal gré. Car ce qui l'a poussé à agir ainsi, si l'on en croit sa défense, ce sont les indélicatesses de son associé, Hippolyte, qui sera lui aussi jugé en septembre 2011 pour faux et usage de faux... Une fine équipe.

Mais en 2010, la priorité pour Hippolyte est d'exclure son associé. Pour cela, il le convoque à une assemblée générale le 21 octobre au cours de laquelle il décide cette exclusion pour motifs graves. C'est cette décision unilatérale qu'Anatole va contester devant les tribunaux. Les statuts du Gaec prévoient bien que l'exclusion d'un des associés doit se prendre par « décision unanime des autres associés ». Hippolyte s'est donc dit qu'il pouvait voter, seul, l'exclusion d'Anatole. Mais Anatole s'est rappelé que le code civil prévoit également que « tout associé a le droit de participer aux décisions collectives ». Pouvait-il être privé du vote l'excluant ? C'est cet imbroglio que les juges devront trancher.

En première instance et en appel, les juges ont donné raison à Hippolyte. Pour eux aussi, il n'y avait pas d'autre solution que d'exclure Anatole du vote. « La décision d'exclure l'un des deux à l'unanimité émane nécessairement de l'autre associé, ce qui conduit à exclure du vote l'associé concerné », souligne la cour d'appel.

Mais Anatole porte l'affaire devant la Cour de cassation, qui va demander l'application du droit à la lettre. « Si les statuts d'un Gaec peuvent prévoir l'exclusion d'un des associés pour motif grave et légitime (ce qui est le cas ici), ce texte ne permet pas, lorsque les décisions doivent être prises à l'unanimité des autres associés, de priver l'associé dont l'exclusion est proposée de participer à cette décision et de voter, indique l'arrêt de cassation. Une décision unanime des associés du groupement ne pouvait être prise que par les deux associés. »

Pour le juge de la Cour de cassation, unanimité ne peut pas être synonyme d'un associé sur deux ! Il est possible d'exclure un associé pour motif grave et légitime, mais pas de le priver de son droit de vote. Le juge casse donc l'appel pour violation des textes existants et renvoie les deux compères devant la cour d'appel de Toulouse.

Que se passera-t-il devant elle ? Car la Cour de cassation n'a pas donné de précisions sur le raisonnement à adopter. Il faut reconnaître que l'affaire n'est pas évidente.

Toujours est-il que, dans de telles circonstances, il serait préférable que l'un des associés saisisse le tribunal de grande instance ou peut-être le juge des référés pour obtenir l'exclusion de l'autre. Ici, Anatole aurait pu faire valoir qu'Hippolyte faisait des faux, plutôt que de vouloir régler l'affaire lui-même. Charge à la justice de trancher. Une solution trop incertaine pour nos deux compères ?

Cour de cassation, 10 février 2015, n° 13-17555

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