Laurent Rousseau, viticulteur à Abzac (Gironde), gérant de la société familiale Vignobles Rousseau (57 ha, 11 salariés), est président du conseil de prud'hommes de Libourne depuis 2010. Il observe que les salariés agissent de plus en plus souvent devant les prud'hommes, alors que les employeurs méconnaissent le droit. En 2013, il a lancé une formation pour mettre à niveau les viticulteurs en matière de code du travail.
Vous affirmez qu'il faut « sécuriser » les relations entre employeurs et salariés. Pourquoi ?
Laurent Rousseau : J'observe une forte hausse du nombre de procédures prud'homales lancées par des salariés et du montant des dommages et intérêts qu'ils réclament. Dans les années 2000, on gérait le problème en interne. Aujourd'hui, les salariés n'hésitent plus à faire appel à un délégué syndical qui va se plonger dans le code du travail. Les employeurs ont la tête dans le guidon. Ils ne connaissent pas le code du travail. Au final, des indemnités lourdes leur sont réclamées. Quant aux conflits, ils tournent le plus souvent autour du port des équipements de sécurité, des contrats mal rédigés et des heures supplémentaires qui n'ont pas été prises en compte.
Vous dites éprouver une lassitude à condamner des chefs d'entreprises qui ne sont pas malhonnêtes, mais peu informés...
L. R. : En matière de respect des règles, l'agriculture et la viticulture ont une vingtaine d'années de retard sur le reste du monde du travail. Le viticulteur ne sait pas que pour un CDD, il faut définir le motif d'embauche, sinon il peut se transformer en CDI à temps plein. De même, il doit tenir un registre horaire, consignant chaque jour les horaires de travail de ses salariés. Cependant, 80 % des employeurs ne le font pas. Quant aux équipements de sécurité, seul un règlement intérieur (obligatoire au-dessus de 20 salariés), peut autoriser l'employeur à sanctionner un salarié qui refuserait d'en porter. Or, bien souvent, les viticulteurs n'ont pas de règlement intérieur. Ils sanctionnent leurs salariés qui refusent de porter un équipement et sont en tort. De même, le fait d'oublier de cocher une case dans un Tesa (titre emploi simplifié agricole) peut être catastrophique.
Avez-vous des exemples à nous donner ?
L. R. : Oui. Un employeur a embauché des personnes en CDD à temps plein pendant deux mois pour faire de la mise en colis de vins livrables à Noël. À la suite d'une période d'essai comprise entre 2 et 4 heures, plusieurs salariés n'ont pas été retenus car ils ne suivaient pas le rythme imposé. Ils ont été rémunérés pour le temps de leur présence et sont rentrés chez eux. Quelques mois après, dix d'entre eux ont saisi le conseil des prud'hommes afin d'obtenir le paiement de l'intégralité des deux mois du CDD. L'employeur n'avait pas coché la case indiquant que le contrat comportait une période d'essai. Au regard des textes, il n'y avait donc pas de période d'essai et l'employeur a rompu les contrats sans motif légal. Chaque salarié a demandé le paiement des mois de salaire qu'il aurait dû percevoir si le CDD n'avait pas été rompu, plus une indemnité pour rupture anticipée du CDD et une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Le conseil a condamné l'employeur à verser 3 950 € à chaque salarié. Cette somme étant inférieure au plafond pouvant donner droit à une procédure en appel, le jugement a été définitif. L'employeur a dû régler 3 950 € x 10 et il a été mis en redressement judiciaire... Tout cela pour avoir oublié de cocher une case.
Comment éviter les prud'hommes et les risques financiers qui en découlent ?
L. R. : Pour sensibiliser les employeurs, j'ai lancé une formation avec le cabinet Ajisse Management. Depuis 2013, j'ai formé une quarantaine de stagiaires avec Véronique Elissalde, consultante et épouse de viticulteur. Je leur fais peur et je les rassure ! Oui, la loi est compliquée. Oui, vous devez l'appliquer. Et oui, vous n'avez pas le temps. Mais vous devez arrêter d'être ignorants. Je leur montre le code du travail de 1994 qui pesait 660 g et celui de 2014 qui pèse 1,6 kg. La gestion d'une équipe ne s'improvise pas. On ne naît pas chef d'entreprise, on le devient. Peu savent que la visite médicale d'embauche est obligatoire et que c'est à l'entreprise de la demander. À la fin de la formation, les stagiaires repartent avec des fiches prêtes à l'emploi pour remettre à niveau leur entreprise et mieux gérer leurs équipes.
Comment se préparer au mieux à un procès aux prud'hommes ?
L. R. : L'employeur a du mal à ne pas paniquer quand il reçoit le montant des dommages et intérêts demandés ! Il doit faire appel à un avocat ou à son syndicat. On ne peut pas aller tout seul devant les prud'hommes. Le droit du travail se complexifie de plus en plus.