DANS LA RÉGION DE LOURINHÃ, à 80 km au nord de Lisbonne, l'eau-de-vie éponyme est l'héritière d'une longue tradition de distillation. PHOTO : M.-L. DARCY
POUR JOÃO CATELA, qui dirige la cave coopérative de Lourinhã, de beaux fûts de chêne sont le secret d'un vieillissement réussi. PHOTO : M.-L. DARCY
À LA CAVE COOPERATIVE de Lourinhã, l'étiquetage des bouteilles XO, la catégorie des eaux-de-vie de plus de 5 ans d'âge, se fait manuellement. PHOTO : M.-L. DARCY
Dans la région de Lourinhã, à 80 km au nord de Lisbonne, on a pensé un temps donner le nom de « Lourinhac » (prononcer « lourignac ») à l'eau-de-vie locale, comme un clin d'oeil au cognac et à l'armagnac. En effet, Lourinhã a obtenu le statut d'AOC (DOC en portugais) en 1992, ce qui en fait la troisième eau-de-vie de vin en Europe, après ses deux célèbres aînées françaises. Mais la région s'appelle Lourinhã et son alcool en a gardé le nom.
Contrairement au cognac et à l'armagnac, le lourinhã est une production confidentielle. L'AOC est l'héritière d'une longue tradition de distillation, la région ayant longtemps fourni des alcools pour l'élaboration du porto. Mais elle n'est revendiquée que sur 50 ha alors que son aire s'étend sur une région bien plus vaste qui produit 20 millions de bouteilles de vins de table par an. Cette région, Estremadura, a été récemment rebaptisée Région des vins de Lisbonne pour bénéficier de la notoriété de la capitale.
Seules deux entreprises distillent l'AOC. Parmi elles, la cave coopérative de Lourinhã, Adega, se taille la part du lion, avec 75 % de la production totale. Elle reçoit les raisins d'une vingtaine de producteurs et s'occupe de tout : vinification, distillation, vieillissement, embouteillage et vente. « Nous stockons actuellement 1 000 hectolitres d'eau-de-vie. Et nous produisons 10 000 bouteilles par an, que nous commercialisons en AOC », raconte le dirigeant de la coopérative, João Pedro Catela.
Comme à Cognac, la segmentation de l'offre est liée à la durée du vieillissement : « VS » désigne une eau-de-vie de trois ans, « VSOP » de quatre ans et « XO » de cinq ans et plus. « Nous ne produisons que des XO de 7 ans d'âge. Nous manquons de stock pour mettre sur le marché de l'eau-de-vie de 40 ans comme à Cognac », précise João Catela.
L'Adega vend 90 % de sa production, en grande distribution, au Portugal. Le prix consommateur se situe entre 36 et 40 € la bouteille de 70 cl. « On nous dit que c'est cher. Mais comparé aux gins haut de gamme qui sont à la mode, c'est faux. Et nous, nous valorisons notre terroir », précise le dirigeant.
Une quinzaine de cépages sont autorisés dont trois rouges. Les vignes sont conduites en cordon ou en lyre. Elles doivent être âgées d'au moins quatre ans pour entrer dans l'appellation. La proximité de l'océan Atlantique confère aux vins les caractéristiques recherchées pour la distillation. « On vendange à 9,5-10º d'alcool. Nos vins ont un pH bas (entre 2,80 et 3) et une acidité élevée, avec près de 10 g/l d'acide tartrique. Nous recherchons cette acidité qui est un rempart contre l'oxydation », explique Nuno Silva, qui supervise la vinification à la Quinta do Rol, le deuxième producteur de Lourinhã, situé à Miragaia, un village voisin. En effet, le sulfitage est interdit pour la vinification et la conservation des vins. La commission viticole de la Région des vins de Lisbonne qui certifie l'AOC est inflexible sur ce point car tout ajout de S02 ferait perdre de leur netteté aux eaux-de-vie.
À la Quinta do Rol, on ne montre les alambics qu'au moment de la distillation. Le reste du temps, ils sont gardés à double tour et sous alarme. Le domaine s'est déjà fait voler du cuivre et ne veut pas connaître le sort de ses voisins qui se sont fait entièrement démonter les alambics avec lesquels ils distillaient leur eau-de-vie maison.
Quinta do Rol pratique les deux méthodes de distillation, continue et discontinue. Après la fermentation, les vins sont amenés par citerne jusqu'au chai où Bruno et André, respectivement vingt-deux ans et quatre ans de métier, procèdent à leur chauffage. Les deux ouvriers démarrent à 6 heures tous les matins, allumant le feu sous leurs alambics qui fonctionnent exclusivement au bois.
« Nous utilisons surtout le système continu, comme pour l'armagnac. C'est celui que l'on maîtrise le mieux. Nous réalisons cinq chauffes par jour pour un total de 2 500 l de vin. Durant toute la distillation, il faut éviter les variations de température pour obtenir un alcool doux en bouche », détaille Bruno.
Le vieillissement est le secret d'une bonne eau-de-vie, à Quinta do Rol comme à la cave coopérative. « Nos barriques sont en chêne français et portugais, et aussi en châtaignier. La "part des anges", en raison de notre climat, est de 5 % par an les deux premières années, puis de 2 % seulement les années suivantes. À la fin du vieillissement, l'ajout d'eau distillée permet de ramener l'alcool à 40 degrés (tolérance de 0,6º). »
La Quinta do Rol consacre 15 ha de vigne à la production de Lourinhã. « C'est un choix stratégique pour notre entreprise. Nous forgeons une image de marque sur la base d'un produit haut de gamme et à forte valeur ajoutée. C'est un beau produit, mais il faut avoir les reins solides et s'armer de patience pour l'élaborer », relate Ulisses Cortês, le directeur de production de la Quinta do Rol.
Malgré ses atouts, le lourinhã souffre de n'être qu'une petite production dans un contexte où les alcools bruns perdent du terrain face aux alcools blancs. Pourtant, avec sa belle robe ambrée, ses arômes de vanille, de caramel et de fruits secs, l'AOC Lourinhã supporte très bien la comparaison avec ses grandes soeurs du Cognac et d'Armagnac.
La règle des dix
À Lourinhã, il faut dix litres de vin et dix euros pour faire un litre d'eau-de-vie, puis dix ans de vieillissement pour obtenir un bon produit. Compte tenu de ces contraintes et de la petite taille de l'appellation, beaucoup de viticulteurs hésitent à se lancer dans l'aventure. José Manuel Bento, propriétaire de 48 ha de vignes, aimerait pouvoir créer sa propre marque pour un meilleur retour sur investissement. Faute d'aides pour construire un nouveau chai et d'avoir les reins assez solides, il reste à la coopérative à qui il livre sa récolte.
De son côté, la municipalité de Lourinhã veut faire bouger les choses. « Nous cherchons à nous inscrire dans un projet de développement régional pour obtenir des aides en vue de valoriser l'image de l'AOC. Car notre région mérite d'être connue autrement que par les ossements de dinosaures qu'on y trouve en abondance ! », explique le conseiller municipal Fernando Oliveira.