Retour

imprimer l'article Imprimer

DOSSIER - Au coeur d'une petite vendange

Val de Loire « On va se relever »

INGRID PROUST - La vigne - n°291 - novembre 2016 - page 34

À Azay-le-Rideau, en Indre-et-Loire, Quentin Bourse a vu ses vignes meurtries par le gel à plus de 80 %. Un coup très dur que le jeune vigneron a compensé en achetant des raisins et en jouant franc jeu avec ses clients et sa banque.
POUR QUENTIN BOURSE, « en plus du gel, le rendement a été affecté par la sécheresse de cet été. Cependant, la qualité est superbe. » © C. WATIER

POUR QUENTIN BOURSE, « en plus du gel, le rendement a été affecté par la sécheresse de cet été. Cependant, la qualité est superbe. » © C. WATIER

C'était une nuit de lune rousse, le 18 avril. Le vent a soufflé du nord-est, faisant chuter le thermomètre à - 2,5 °C à Azay-le-Rideau, dans l'Indre-et-Loire. Neuf jours plus tard, une nouvelle vague glaciale s'abat sur les vignes du même secteur. Cette fois, la température chute à - 6,3 °C. Des milliers de bourgeons sont grillés chez Quentin Bourse. Une lourde épreuve pour ce jeune vigneron et pour tant d'autres dans le département. « J'ai eu 83 % de bourgeons détruits dans mes vignes, indique Quentin Bourse. Avant le gel, mes stocks et ma trésorerie étaient satisfaisants. Aussitôt après, j'ai dû fermer les vannes de la commercialisation de mes vins. »

Une décision difficile à prendre alors que son domaine de 16 hectares est en pleine expansion, avec environ 70 000 bouteilles vendues par an. Quentin vend ses vins bio entre 9 et 35 € au domaine, essentiellement des AOC Touraine-Azay-le-Rideau aux étiquettes décalées et pleines d'humour. Mais c'est avant tout à l'exportation (États-Unis, Québec, Japon et Europe), chez des cavistes et en restauration qu'il écoule ses bouteilles.

« Mes distributeurs et moi, on se connaît bien. Après le gel, je n'ai pas pris de pincettes avec eux, je leur ai expliqué la situation et demandé quels étaient leurs besoins. J'ai réduit le volume des commandes à l'export. Ils ont été frustrés. Mais ils seront à nouveau présents lorsque la situation sera meilleure. Du moins, je l'espère. »

Ce 29 septembre, les vendanges sont en cours. Dans le chai, des amphores rondes ou ventrues côtoient des cuves classiques. Dans une amphore fermente un sauvignon vif et fruité. Dans une autre, on goûte un moût de grolleau de belle matière. « La qualité est démentielle », s'enthousiasme Quentin Bourse.

À 30 ans, cela fait déjà quelques années qu'il est venu à la viticulture. Passionné de vins, il se forme au lycée viticole d'Amboise puis travaille au domaine bio de Pascal Pibaleau, l'ancien président du syndicat de Touraine-Azay-le-Rideau. Lorsque ce dernier prend sa retraite, Quentin reprend son domaine et crée sa marque, Le Sot de l'Ange, tout en devenant le nouveau président de l'appellation.

À la vigne comme au chai, le viticulteur a fait le choix de l'hyperqualité. « Ma démarche : traitements cupriques réduits au minimum, petits rendements, vendanges manuelles, pas d'enzymage ni de levures commerciales, vinification et élevage en amphores et en foudres. » Cette année, il savait combien sa vendange serait faible, mais il n'a rien changé à ses pratiques. « J'ai rogné à la main comme d'habitude. J'ai appliqué des microdoses de cuivre et des huiles essentielles d'agrumes en préventif contre le mildiou. La pression était forte, mais j'ai maîtrisé la situation », explique-t-il.

Au moment des vendanges, il a engagé une équipe plus réduite composée de douze cueilleurs et d'un ami oenologue à la cave. « Vu le peu de grappes qu'il y avait à ramasser, les vendangeurs sont allés plus vite mais, à l'hectare, mes charges sont quasiment les mêmes, confie Quentin. Je ne vais produire que 7 hl/ha en moyenne. En plus du gel, le rendement a été affecté par la sécheresse de cet été. Cependant la qualité est superbe, avec des chenins à 13,5° et des acidités élevées : un profil de vins de garde. »

Le vigneron vinifie comme les années précédentes, sans enzymage ni levurage, en petits volumes. « Toutes mes cuvées sont parcellaires, même celles d'entrée de gamme. » Sa récolte de l'année, s'élève à un peu plus de 100 hl.

Pour préserver l'équilibre économique de son exploitation, il a acheté des raisins d'autres régions et de cépages différents des siens. « Mon seuil de rentabilité est à 35 hl/ha. J'avais déjà une société de négoce. J'ai acheté des raisins certifiés bio, l'équivalent de 200 hl. Ce ne sont pas les miens donc je vais créer une autre gamme, une autre marque. Ce sera très clair pour mes clients. Les étiquettes porteront la mention "raisins sélectionnés et vinifiés par Quentin Bourse". »

Le vigneron a pu compter sur sa banque. « Elle me suit depuis le début et m'a avancé de l'argent pour que je puisse acheter des raisins. Après le gel, je lui ai exposé la situation. J'ai fait un prévisionnel et obtenu un taux préférentiel pour un crédit. J'étais assuré contre le gel, mais pas suffisamment. Ma prime avoisinera les 50 000 €, c'est bien inférieur à la totalité de mes pertes, mais pour moi il est important d'être assuré pour protéger mon exploitation. J'ai une salariée chef d'équipe et ma femme travaille à présent avec moi à la vente. »

Quentin a l'énergie et la capacité d'initiative pour rebondir malgré les difficultés. « Ce métier peut être violent. Il m'est arrivé de craquer, mais je me suis relevé. Je travaille, je vais développer la vente directe pour plus de valorisation et de sécurisation. Sur le plan commercial, j'avais fait une bonne année en 2015. J'ai encore des stocks. Il faut rester positif. »

Des aides rapidement mises en place

Dans l'Indre-et-Loire, les vignerons touchés par le gel ont bénéficié d'un dégrèvement automatique de la taxe foncière sur la propriété non bâtie, avec une réduction de 20 à 100 % selon le niveau de dégâts. Dans le Loir-et-Cher, un taux unique de 50 % de dégrèvement a été décidé. Des vignerons ont pu mettre leurs salariés en chômage partiel indemnisé par l'État et demander à la MSA un échéancier ou une modulation de leurs cotisations sociales. « J'ai aussi pu améliorer ma trésorerie en vendant des raisins à des confrères plus en difficultés que moi », confie un vigneron de Touraine, dont les vignes ont été impactées à 60 %. L'achat de vendanges va permettre aux exploitants les plus touchés d'avoir des vins à vendre.

Plus de 200 000 hectolitres perdus

200 000 hl de perdus en Indre-et-Loire, soit environ la moitié du potentiel de récolte : tel est l'impact des gels de ce printemps, selon une estimation de la FAV 37 datant du mois de juin. Depuis, le mildiou et la sécheresse ont aussi fait des dégâts. À Bourgueil, le président de l'AOC, Philippe Boucard, estime la moyenne de récolte entre 10 et 15 hl/ha. À Saint-Nicolas-de-Bourgueil, les rendements ont oscillé entre 25 et 40 hl/ha. À Chinon, les pertes devraient représenter une demi-récolte. En AOC Touraine, la vendange est en baisse de 30 à 40 %. Mais la qualité est au rendez-vous. Le président de l'ODG Touraine, Alain Godeau, a appelé les vignerons à éviter une surchauffe des prix.

À Montlouis, dès le printemps, le président du syndicat, François Chidaine, a encouragé les producteurs à acheter des raisins hors de l'AOC pour conserver leurs clients. Dans ce sombre tableau, quelques vignerons ont eu de bonnes surprises. « En sauvignon, je récolte 40 hl/ha alors que j'en prévoyais 20 à 25, et la qualité est belle ! Nous allons pouvoir tenir avec nos stocks et en faisant une mise en bouteilles plus précoce l'an prochain », confie Anne Josseau, vigneronne dans le Loir-et-Cher. Pourtant, en avril dernier, ses vignes avaient vu plus de 80 % de leurs bourgeons geler.

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :