En quelques années, le marché foncier s'est redynamisé. Recherchées, les vignes en Pic Saint-Loup sont ainsi devenues les plus chères du Languedoc. © P. PARROT
Après une période de stagnation, le marché foncier repart. « Actuellement, il y a plus d'acheteurs que de vendeurs, malgré les départs à la retraite qui libèrent des vignes. Le métier est redevenu attractif. De nouveaux vignerons s'installent, d'autres s'agrandissent car ils ont des marchés à approvisionner. Durant la crise, c'était l'inverse, il y avait des vignes à vendre mais peu d'acheteurs. La situation s'est retournée en deux ou trois ans », observe Didier Boyer, vigneron dans l'Hérault. Dans l'Aude et le Gard, cette évolution est plus récente.
« En 2015, les transactions foncières en Languedoc ont progressé de 6 % en surface, atteignant 5 200 ha, et de 18 % en valeur, pour un montant de 66 millions d'euros », note Christian Brun, directeur de la Safer dans l'Hérault.
En 2016, les prix ont continué à grimper. « Pour les vignes produisant des IGP, ils vont actuellement de 15 000 à 20 000 €/ha », constate Éric Nahmé, notaire à Gignac, dans l'Hérault.
Les prix progressent également dans les appellations Languedoc, Limoux, Minervois et Picpoul de Pinet. « En Terrasses du Larzac, ils se situent entre 20 000 et 30 000 €/ha. Et en Pic Saint-Loup, ils approchent les 50 000 à 60 000 €/ha », détaille ce notaire du réseau Jurisvin. À ce prix, Pic Saint-Loup est devenu le cru le plus cher de tout le Languedoc.
Outre les vignerons locaux, des Bordelais, Bourguignons et Champenois s'intéressent à ces vignobles, de même que des investisseurs étrangers : Irlandais, Américains, Sud-Africains... « Un Russe vient d'acheter une propriété dans les Terrasses du Larzac et un Chinois dans le Minervois », note Michel Veyrier, de Vinea Transaction.
Les négociants sont eux aussi très présents sur le marché des domaines. Après l'Hérault, où ils sont acheteurs depuis plusieurs années, ils s'intéressent au Gard et à l'Aude. « Nous avons des demandes. Ils cherchent à étoffer leurs vignobles pour assurer une partie de leur approvisionnement », constate Paul Camman, conseiller Safer dans l'Aude.
De gros domaines sans successeur sont à la vente. Mais tous ne trouvent pas preneur. « Lorsqu'il y a des vignes à renouveler et des travaux à faire dans les bâtiments, les acheteurs hésitent », note-t-il. Dans ce cas, le domaine finit souvent par être démembré et alimente le marché des parcelles.
Celui-ci est très actif, mais aussi très sélectif. Les petites parcelles isolées ont du mal à trouver preneur, de même que celles qui donnent des rendements trop faibles pour être rentables. « Dans les Hautes-Corbières, qui souffrent fortement de la sécheresse, on trouve des vignes à 5 000 €/ha. Mais il n'y a pas d'acheteurs, même à ce prix-là », note Michel Veyrier.
« Les vignerons qui achètent veulent s'agrandir tout en regroupant des parcelles pour avoir des îlots bien structurés, de façon à gagner du temps dans leur travail quotidien », analyse Benjamin Devaux, du Cerfrance Midi-Méditerranée. Ils cherchent aussi des sols profonds ou irrigables, pour améliorer ou lisser leurs rendements.
Certains vont jusqu'à acheter des terres nues en plaine et à arracher une partie de leurs vignes en coteaux. Ils peuvent ainsi replanter avec l'aide à la restructuration sur des terres plus productives. « Ils diversifient ainsi le profil de leurs vins et leurs marchés, tout en réduisant les risques climatiques et en améliorant leur rendement », détaille Benjamin Devaux.
La possibilité d'irriguer fait grimper les prix des vignes, qui passent de 10 000 à 12 000 €/ha à plus de 15 000 €/ha. « Le surcoût est à apprécier en fonction du gain économique attendu », souligne Benjamin Devaux. À 15 000 €/ha, cela vaut la peine d'acheter une vigne irrigable en IGP. À 20 000, c'est moins évident. « Les vendeurs doivent rester raisonnables s'ils veulent trouver preneur. Le marché des vins a bien progressé, mais la tendance peut se retourner », prévient Christian Brun.
La petite récolte de 2016, couplée au tassement des cours des vins en IGP, risque de freiner la demande en vignes. Les vignerons qui ont des projets bien calés et qui manquent de vins devraient continuer à acheter, de façon raisonnée. « Il ne s'agit pas de s'agrandir pour s'agrandir. Une acquisition n'a d'intérêt que si elle s'intègre dans la stratégie de l'exploitation », rappelle Benjamin Devaux.
En vue d'optimiser les coûts, la surface doit être ajustée à l'équipement en matériel, au mode de taille et à la main-d'oeuvre disponible. « Il faut aussi que le cépage et le potentiel qualitatif correspondent aux débouchés visés. Un investissement doit rester rentable. C'est à cette condition que la banque ou la plateforme de financement participatif soutiendront le projet. »
Des partenariats entre coopérative et Safer
La restructuration du vignoble n'est pas achevée. Il reste beaucoup de parcelles de moins de 50 ares qui ne trouvent pas toujours d'acheteur. Pour ne pas perdre ces vignes, des coopératives ont noué des partenariats avec la Safer. « Nous ciblons des zones où des petites parcelles vont se libérer », explique Roland Traver, de la Safer Languedoc-Roussillon. La Safer ou la coopérative se portent alors acquéreurs et stockent ces parcelles, avant de les restructurer pour constituer des îlots plus grands et plus faciles à travailler. La coopérative peut ensuite proposer ces îlots à des jeunes qui veulent s'installer ou à des adhérents qui ont besoin de s'agrandir. Ces partenariats permettent de récupérer des petites parcelles qui auraient fini en terrain de loisirs. La Safer aide aussi des coopératives à racheter des domaines et à les partager entre plusieurs adhérents.
ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT ACHETER DES VIGNES ? Laurent Lignère, domaine Fontjoncouse-Montjoie, 116 ha à Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse (Aude)
« Oui, lorsque le prix est en phase avec la rentabilité. J'ai acheté 30 ha que j'avais en fermage dans l'appellation Corbières-Boutenac. Pour ces vignes, qui étaient en partie à renouveler, j'ai payé 6 500 €/ha. À 40 km de là, dans la plaine, je viens d'acheter 65 ha de terres irrigables avec des DPB (droits à paiement de base). Je vais planter une partie en vigne, en arrachant des parcelles peu rentables dans les Corbières pour avoir des autorisations primables. Le prix est élevé, mais avec un potentiel de 20 à 25 t/ha de raisins, le retour sur investissement devrait être rapide. »
ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT ACHETER DES VIGNES ? Marc Véra, coopérateur, 32 ha à Saint-Nazaire-d'Aude (Aude)
« Non, cela devient trop cher. Je ne suis pas prêt à investir 15 000 ou 16 000 €/ha. Par contre, je viens d'acheter 4 ha de vignes à l'abandon. C'est la coopérative qui m'a proposé ce lot, après avoir racheté une exploitation de 60 ha en liquidation. Ces vignes ne m'ont coûté que 4 000 €/ha, car il faudra les replanter. C'est plus intéressant que des terres nues, dont le prix atteint aujourd'hui 5 000 ou 6 000 €/ha sachant qu'en les arrachant je récupérerai des autorisations primables. Et comme elles sont situées à côté des miennes, je pourrai les irriguer avec la même borne. »
ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT ACHETER DES VIGNES ? Jean-Philippe Guiraudou, coopérateur, 42 ha à Roujan (Hérault)
« Oui, car j'ai besoin de trouver un meilleur équilibre entre mon matériel et ma surface. Mais ce n'est pas facile. Je ne trouve pas de parcelles de plus d'un hectare à un prix raisonnable. On m'en a proposé à 20 000 €/ha, c'est trop cher ! J'ai acheté entre 3 000 et 5 000 €/ha des parcelles de 30 ou 50 ares, en friche, qui touchaient les miennes. En les replantant, j'ai constitué des parcelles plus grandes. Pour limiter les déplacements, j'ai aussi vendu des parcelles isolées et trop éloignées. Mais je serais preneur d'un bel îlot dans un rayon d'une dizaine de kilomètres. »
ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT ACHETER DES VIGNES ? Jean-François Boyer, coopérateur, 34 ha en bio à Puissalicon (Hérault)
« Oui. Avec mon fils, nous avons besoin de nous agrandir pour embaucher un permanent. Mais les prix grimpent. Cet été, nous avons raté un îlot de 8 ha, puis un autre de 5 ha, raflés par des acheteurs ayant plus de moyens. Pour 19 000 €, nous avons finalement acheté 2 ha, dont 1,3 ha à replanter. Cela reste cher, mais c'est mieux que rien. Ces parcelles sont à 30 mètres d'une route sur laquelle nous passons déjà pour aller d'une vigne à l'autre. Et en les replantant, nous pourrons choisir le cépage. Nous avons besoin de chardonnay pour répondre à la demande. »