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DOSSIER - Marché foncier : le tour des vignobles

PROVENCE Sous haute pression

CHANTAL SARRAZIN - La vigne - n°293 - janvier 2017 - page 36

La bonne santé du rosé conduit de nombreux vignerons provençaux à vouloir s'agrandir. Le marché du foncier est donc très tendu, d'autant que la région attire en nombre les investisseurs extérieurs.
La Provence attire un grand nombre d'investisseurs étrangers à la région, dès lors, le prix du foncier s'envole. Ici, des vignes en Bandol, à La Cadière-d'Azur (Var) ©J. NICOLAS

La Provence attire un grand nombre d'investisseurs étrangers à la région, dès lors, le prix du foncier s'envole. Ici, des vignes en Bandol, à La Cadière-d'Azur (Var) ©J. NICOLAS

En Provence, l'équation est simple : beaucoup de demandes, peu d'offres. Résultat, le prix du foncier viticole s'envole. « Il a au minimum doublé en dix ans, voire triplé selon les secteurs », constate Rodolphe Pionnier, notaire à Cuers (Var). La palme revenant aux vignes en bordure du littoral, où l'hectare de côtes-de-provence flirte avec les 120 000-150 000 €. Dans le Centre Var, autour des communes de Cuers, Pierrefeu et Puget-Ville, il oscille entre 40 000 et 50 000 €. Dans le Haut Var, un peu moins prisé, entre 30 000 et 35 000 €.

« La bonne santé économique du rosé explique cette hausse, poursuit Rodolphe Pionnier. Elle s'accélère depuis deux ans, avec la croissance des ventes des côtes-de-provence rosés à l'export. » Selon lui, il y a trois catégories d'acheteurs. Primo, les vignerons locaux qui cherchent à s'agrandir pour accompagner le développement de leurs marchés. À plus de 200 €/hl le cours du côtes-de-provence rosé en vrac depuis plusieurs campagnes, ils ont la trésorerie pour acheter. Deuxio, les investisseurs de la filière viticole champenois, bordelais, bourguignons, rhodaniens, etc., désireux d'étendre leur gamme aux rosés de Provence. Tertio, ceux que le soleil et l'art de vivre provençal attirent. « Depuis que le couple Brad Pritt et Angelina Jolie et d'autres célébrités ont investi dans des domaines viticoles en Provence, l'attrait pour le vignoble s'est considérablement accru », observe Jean-Michel Graillon, responsable du développement au Cerfrance Provence.

Si les locaux recherchent principalement du parcellaire, les étrangers ciblent des domaines viticoles. « Le ticket d'entrée s'élève à 5 ou 6 millions d'euros pour une propriété d'une vingtaine d'hectares avec sa bastide provençale », indique Michel Veyrier, gérant de Vinea Transaction. Il peut grimper jusqu'à 30 millions d'euros pour un domaine de 70 ha comprenant cave et maison de maître.

Reste que la recherche s'avère compliquée. « La demande est telle que le marché se restreint », explique Bruno Vieuville, directeur de la Safer Var. Sans compter que le département comporte des zones boisées et qu'il se trouve soumis à une forte pression urbaine. Les transactions foncières viticoles notifiées à la Safer ont d'ailleurs décru de 18 % entre 2014 et 2015. « Les gros domaines au nom réputé mettent la main sur tout ce qu'ils peuvent, observe un expert foncier. Dans le même temps, les investisseurs extérieurs à la région font monter la pression. Cela va devenir de plus en plus difficile pour les petits. »

Les jeunes en phase d'installation ont toutes les peines du monde à trouver des terres. « Certains n'ont guère d'autres choix que de défricher les collines pour planter », fait valoir Jean-Michel Graillon. Les caves coopératives tentent de trouver la parade. « Certaines d'entre elles acquièrent du foncier et louent les vignes à des jeunes, indique Bruno Vieuville. L'an passé, nous avons réalisé trois ventes dans ce cadre dans les communes de Lamotte, Pignan et Besse-sur-Issole. »

La Région participe au financement de ces acquisitions à hauteur de 30 % lorsqu'il s'agit d'un jeune. L'aide est plafonnée à 100 000 € par viticulteur. Pour les caves coopératives, l'enjeu du foncier est de taille. « Le diviseur de coût au sein de ces structures reste le nombre d'hectolitres produits », rappelle Jean-Michel Graillon.

Dans le sillage des Côtes de Provence, les appellations voisines voient elles aussi leur cote augmenter. À Bandol, l'hectare de vigne dépasse aujourd'hui les 100 000 €. « Mais il n'y a quasiment rien à la vente », remarque Michel Veyrier. Idem au sein de la petite appellation Cassis, où la seule chance d'accéder au foncier consiste à acheter des terrains nus au prix extravagant de 100 000 €/ha pour les replanter.

Les coteaux d'Aix-en-Provence se montrent plus abordables, 35 000 €/ha en moyenne. Sauf s'ils se situent à proximité de la montagne Sainte-Victoire. Là, il faut compter entre 60 000 et 80 000 €/ha, selon les experts. Et là aussi les biens sont rares. « On est dans un secteur prisé, indique Philippe Lauraire, directeur de la Safer Bouches-du-Rhône. Il y a très peu de parcellaire à la vente. Même chose pour les domaines viticoles. Il ne s'en est vendu que deux l'an passé. » La situation est un peu différente pour les coteaux varois en Provence. Moins demandés, leur prix reste stable à 23 000 €/ha.

Comment les vignerons financent-ils ces acquisitions ? « Avec des emprunts bancaires et un apport personnel en complément, observe Jean-Michel Graillon. S'il achète des vignes à 50 000 €/ha sans apport, un vigneron ne se rémunère pas. Car la rentabilité dégagée est absorbée par le montant du crédit à rembourser. » D'après lui, il faut une génération pour rentabiliser l'achat d'un côtes-de-provence à 50 000 €/ha. Les gros domaines réalisent ces acquisitions au travers de GFA ou de SCI. Les structures de taille moyenne, entre 15 et 20 ha, les financent à titre individuel.

Les investisseurs n'ont pas le même souci de rentabilité. « Ils économisent de l'impôt sur les déficits générés par l'activité viticole, explique un expert. À l'arrivée, ils perdent rarement de l'argent. Ils revendent toujours leurs biens. » Car les acheteurs ne manquent pas en Provence.

ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT ACHETER DES VIGNES ? Stéphanie Contini, 40 ha, à La Fare-les-Oliviers (Bouches-du-Rhône)

« Oui, au vu de la demande pour nos vins, investir dans le foncier s'avère rentable. Je me suis installée en 2012 sur l'exploitation familiale de 25 ha. L'an passé, avec mon frère, nous avons acheté sur nos fonds propres 10 ha de vignes et 6 ha de terres nues. Non sans difficulté. J'ai fait le tour des terres abandonnées. Personne n'a voulu m'en vendre, ni même m'en louer. Les propriétaires attendent que leurs terrains deviennent constructibles. Finalement, à force de frapper aux portes, nous avons trouvé un vendeur. »

ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT ACHETER DES VIGNES ? Albéric Philipon, château Carpe Diem, 15 ha à Pierrefeu (Var)

« Oui, car nous manquons de vins pour satisfaire nos marchés. Nous avons racheté ce domaine avec ma famille en 2013. Il comptait 13 ha. Nous avons récupéré un peu plus de 1 ha en fermage et nous avons racheté une parcelle voisine de la nôtre. Aujourd'hui, nous produisons 500 hl, c'est un peu juste. Nous voudrions atteindre entre 20 et 30 ha, en achetant ou en louant 1 ha par an. Nous avons fait part de nos besoins à la Safer. Mais, il y a peu de foncier disponible et les prix sont élevés, entre 40 000 et 50 000 €/ha dans notre secteur. »

ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT ACHETER DES VIGNES ? Jean-Vincent Albiac, 12 ha à Montfort-sur-Argens (Var)

« Oui, pour maintenir mon niveau de rémunération actuel. En 2012, date de mon installation sur l'exploitation familiale, j'ai acheté une parcelle de 2 ha que j'ai entièrement défrichée. Je prévois de la planter en 2017. En 2014, j'ai acheté 1 ha supplémentaire qui était bon pour l'arrachage. J'espère également replanter cette parcelle l'an prochain. Je n'ai pas eu d'autres choix car ici le foncier est rare et les prix flambent à cause des nombreux acquéreurs qui recherchent de la vigne. »

L'essentiel de l'offre

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