Le foncier viticole bourguignon est rare mais divers. Rare parce que le vignoble ne couvre que 28 000 ha. Divers parce qu'il se divise en 101 AOC, 1 247 climats classés à l'Unesco et des milliers de lieux-dits. De la Romanée-Conti au confidentiel Châtillonais, en passant par Mâcon ou Chablis, le marché est varié et complexe. Et affaire de passion.
Plus que jamais, les grands crus de Côte-d'Or font rêver. Des milliardaires cherchent à les collectionner. Des fonds d'investissements sont prêts à mettre la main sur des propriétés ou des négoces entiers pour en obtenir. Entre 2012 et 2015, l'hectare de grand cru est passé de 3,8 à 4,8 millions d'euros (valeur dominante figurant dans l'arrêté sur le prix des terres). Vignerons et négociants locaux sont en émoi. Impossible pour eux de surenchérir.
« Les prix sont "décorrélés" de tout retour sur investissement », tranche Tristan Lamy, directeur Banque Privée au Crédit Agricole Bourgogne-Champagne. Pour freiner cette inflation, la Safer est appelée à la rescousse. « C'est la fin de l'exception côte-d'orienne. On intervient à nouveau en préemptant lorsque les prix de vente dépassent de 20 % les prix de référence dans le secteur concerné. Mais après trois décennies sans exercice du droit de préemption, il faudra peut-être autant de temps pour revenir à la valeur économique des terres », regrette Jean-Luc Desbrosses, président de la Safer Bourgogne Franche-Comté.
« Les ventes de grands crus sont epsilon en termes de volume, mais elles compliquent tout. On ne peut pas laisser faire car elles ont un effet ricochet sur le prix des premiers crus, des villages et des AOC régionales », explique Jean-Michel Aubinel, président de la Confédérations des appellations et vignerons de Bourgogne (CAVB).
Cette inflation touche les viticulteurs installés entre Beaune et Nuits-Saint-Georges. Pour financer les transmissions familiales, ils transfèrent des petites parcelles dans des GFV dans lesquels ils font entrer des investisseurs minoritaires qui apportent de l'argent. 80 % de l'activité de la Safer Côte-d'Or consiste à trouver des investisseurs pour ce marché « très parcellisé, composé de biens de 20 à 30 ares, voire d'ouvrées (428 m2), observe Daniel Caron, directeur de la Safer Côte-d'Or. On trouve des investisseurs, proches du monde du vin, qui acceptent de maintenir les viticulteurs en place, avec des baux de 18 ans. » Notaires, agences et banques fournissent des noms de personnes remplissant cette condition.
Cette effervescence pousse les Côte-d'Oriens à descendre vers le sud, en Côte chalonnaise (Mercurey, Givry...). « Pour les deux derniers dossiers sur ce secteur, la moitié des candidats à l'achat était de Côte-d'Or », constate Emmanuel Cordier, directeur de la Safer Saône-et-Loire. Les vignerons de Côte-d'Or sont d'autant plus tentés d'acheter en côte chalonnaise que, depuis le nouveau schéma régional de contrôle des structures, ils peuvent s'agrandir en prenant des vignes jusqu'à 40 km de chez eux, sans demande d'autorisation en Saône-et-Loire. Avant 2016, le seuil était de 10 km. epuis ce changement régional, la Saône-et-Loire, qui avait su garder des prix réalistes, s'inquiète. Là, la profession a toujours demandé la régulation du marché foncier. Le retour sur investissement est, par exemple, possible en dix récoltes normales à Rully (160 000 €/ha). Plus au sud, le prix des vignes de chardonnay grimpe à 80 000 €/ha au maximum en AOC Mâcon, à 150 000 €/ha en Saint-Véran ou à 250 000 €/ha en Pouilly-Fuissé.
En Saône-et-Loire, 215 ha de vignes et de terres à vignes ont fait l'objet de 153 ventes notifiées à la Safer en 2016. C'est donc un marché de petites parcelles avant tout. « Le vin se vendant bien, il y a moins de transactions qu'en 2015. Le vignoble reste détenu par les familles », observe la Safer Saône-et-Loire. Une situation un peu similaire prévaut dans le Chablisien et l'Auxerrois qui, eux, sont toujours trop éloignés pour les Côte-d'Oriens.
Toujours en Saône-et-Loire, peu de crus sont à vendre alors qu'ils sont très recherchés. « Comme les fermages sont en hausse, les retraités les gardent. », remarque Emmanuel Bruno, comptable chez AS71. Revers de la médaille, les fermiers « payent un loyer presque équivalent aux annuités d'un prêt ». Les retraités préfèrent vendre des parcelles en appellations Bourgogne ou Mâcon.
Les coopératives du secteur tentent d'aider leurs membres en portant du foncier ou en se déclarant caution pour des jeunes coopérateurs candidats à l'achat. « Mais encore faut-il avoir un candidat lorsqu'une vente se dessine », soupire Marc Sangoy, le président de la Fédération des caves coopératives Bourgogne-Jura.
Des négociants tirent leur épingle du jeu. Ils se portent acquéreurs d'exploitations entières, maisons d'habitation comprises, alors que celles-ci trouvent difficilement preneur lorsqu'elles sont mises en vente seules. Pour conserver les vignes louées par ces exploitations, ces acheteurs demandent à l'exploitant de rester quelque temps comme salarié et de conserver des parts minoritaires. C'est ainsi qu'ils ont investi les côtes du Couchois, le Beaujolais et qu'ils visent désormais le Mâconnais.
Faute de place, la Bourgogne voit ses vignerons les moins fortunés partir (Jura, Beaujolais, Europe de l'Est, Amérique...). Les plus brillants ou les plus chanceux reviendront, à n'en pas douter, en concurrents.
ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT ACHETER DES VIGNES ? Gilles Remoriquet, 10 ha à Nuits-Saint-Georges (Côte-d'Or)
« C'est un sujet compliqué. J'exploite une parcelle depuis vingt-cinq ans en AOC Nuits-Saint-Georges. Son propriétaire la met en vente. Le prix moyen est de 1,2 million d'euros l'hectare. Pour pouvoir continuer à l'exploiter, je vais la racheter en créant un GFA dans lequel je prendrai des parts et où je ferai entrer des investisseurs. La rentabilité d'un tel investissement est de 1,5 à 2 % par an. Les banques sont prudentes avec les petites récoltes que nous avons eues. Les investisseurs, eux, comptent plus sur la hausse du prix de la vigne pour faire une plus-value à long terme. »
ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT ACHETER DES VIGNES ? Thomas Sorin, domaine des Remparts, 44 ha à Saint-Bris-le-Vineux (Yonne)
« Dans l'Yonne, c'est de plus en plus dur d'acheter. Il y a beaucoup de candidats et peu d'offres. Idem pour les locations. Depuis cinq ans, le prix des vignes flambe. Je ne comprends pas pourquoi, puisqu'on ne valorise pas mieux nos vins. Je ne cherche pas à acheter des vignes, mais des terres nues classées en appellation pour pouvoir laisser les sols se reposer et parce que leur prix est plus raisonnable que celui des vignes. Actuellement, je suis obligé de replanter vigne sur vigne. »
ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT ACHETER DES VIGNES ? Maxime et François Grenot, domaine des As, 11 ha à Péronne (Saône-et-Loire)
« Non. Mieux vaut être locataire. Nous avons 11 ha dont quatre en propriété. Si nos propriétaires vendaient, nous serions coincés. Nous avons des baux à long terme. Les loyers nous coûtent environ 4 200 €/ha. Les négociants font monter les prix en reprenant des domaines entiers. Il faut se mettre à la place du vendeur : vendre ses vignes, c'est financer sa retraite. Pour rentabiliser l'achat de vignes, il faut un paquet d'années. Mon fils Maxime est installé depuis cinq ans. Je compte sur lui pour vendre des bouteilles afin de ramener de la valeur et de pouvoir acheter, un jour. »