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DOSSIER - Marché foncier : le tour des vignobles

Négoce Il est aussi sur les rangs

MICHÈLE TRÉVOUX - La vigne - n°293 - janvier 2017 - page 54

Le négoce achète pour sécuriser ses approvisionnements et cultiver une image de vigneron. Fini le temps où il lui suffisait d'une propriété pour recevoir ses clients.
FRÉDÉRIC LAVAU : «Investir dans le vignoble, c'est un moyen de pérenniser notre activité de  négoce-vinificateur. » © G. CHRISTOPHE

FRÉDÉRIC LAVAU : «Investir dans le vignoble, c'est un moyen de pérenniser notre activité de négoce-vinificateur. » © G. CHRISTOPHE

GUILLAUME RYCKWAERT : « Il est essentiel d'asseoir notre développement commercial sur du foncier. » © A . GELIN

GUILLAUME RYCKWAERT : « Il est essentiel d'asseoir notre développement commercial sur du foncier. » © A . GELIN

PIERRE DEGROOTE : « C'est une garantie de suivi en volume et en qualité pour nos clients. »

PIERRE DEGROOTE : « C'est une garantie de suivi en volume et en qualité pour nos clients. »

En décembre dernier, le négociant Advini annonçait le rachat de 250 ha de vigne en Médoc et Haut-Médoc. Quelques mois plus tôt, 515 ha de vigne en Bourgogne et dans le Sud de la France tombaient dans l'escarcelle des Grands Chais de France, dans le cadre du rachat de la maison Béjot, à Meursault, en Côte-d'Or.

Tous les négociants ou presque lorgnent sur le foncier, même si les opérations menées par les grands négociants ne sont pas toutes de grande envergure. « Nous sommes toujours à l'affût d'opportunités pour sécuriser notre approvisionnement ou compléter notre gamme. Dans la Côte de Beaune, certaines appellations sont devenues inaccessibles. Nous visons donc des régions plus abordables comme le Mâconnais, le Pouilly-Fussé ou les crus du Beaujolais, qui offrent une rentabilité acceptable », témoigne Albéric Bichot, PDG de la maison éponyme, déjà propriétaire de 105 ha en Bourgogne.

« En Beaujolais, le négoce a toujours été propriétaire. Depuis 2005, on note un retour aux investissements après une accalmie depuis 1980. Ce n'est pas un raz de marée, mais cela représente environ un tiers de nos transactions », constate Sébastien Jacquemont, de Vinea Transaction Beaujolais.

En Languedoc, on observe un intérêt plus marqué du négoce pour le vignoble depuis une dizaine d'années. « Avec la crise viticole, l'offre s'est accrue, les prix ont baissé et la rentabilité d'un investissement dans le foncier s'est améliorée. Des entreprises comme Gérard Bertrand ou Paul Mas, qui ont connu des taux de croissance de 20 à 30 % par an, ont eu besoin de foncier pour sécuriser leurs investissements commerciaux à l'export. Aujourd'hui, le négoce investit 5 à 8 millions d'euros par an dans la vigne, réalisant 25 à 30 % des transactions annuelles », analyse Thierry Loscos, de la Safer Languedoc-Roussillon.

Pierre Degroote, fondateur des Domaines Montariol-Degroote (DMD) à Nissan-lez-Ensérune (Hérault), illustre bien cette tendance. Déjà propriétaire de 615 ha, essentiellement dans l'Aude et l'Hérault, DMD étudie deux nouveaux projets d'acquisition dans l'Aude. « C'est une garantie de suivi en volume et en qualité pour nos clients. Ce sont des immobilisations importantes, mais avec une valorisation à terme. Et depuis deux-trois ans, avec la hausse des cours du vrac, la rentabilité des domaines s'améliore », confie-t-il.

Dans la vallée du Rhône, la nouvelle génération de négociants-vraqueurs est devenue très active sur le marché foncier viticole. Basée à Violès (Vaucluse), la maison Lavau a ainsi commencé ses premières acquisitions en 2010. Elle exploite aujourd'hui 170 ha de vigne. « Investir dans le vignoble, c'est un moyen de pérenniser notre activité de négoce-vinificateur. Nous garantissons nos approvisionnements, notamment sur des noms de domaine que nous avons développés pour nos clients », indique Frédéric Lavau, dont l'objectif est d'atteindre 450 ha en propre.

Raphaël Michel, négoce assembleur installé à Piolenc (Vaucluse), est aussi acquéreur de foncier. Déjà propriétaire de 400 ha, surtout dans la vallée du Rhône, l'entreprise a acheté, en septembre dernier, 40 ha à Limoux, dans l'Aude. Et elle ne s'arrêtera pas là. L'achat d'un nouveau vignoble près de Carcassonne devrait être finalisé dans les prochaines semaines. « Il est essentiel d'asseoir notre développement commercial sur du foncier. En devenant producteurs, nous avons une meilleure compréhension des contraintes de nos fournisseurs. Les échanges en sont facilités. En termes d'image, cela change la donne. Cet ancrage dans les bassins de production confère un sens à notre métier de spécialiste de l'amont », estime le dirigeant Guillaume Ryckwaert.

« Autrefois, le négoce avait une propriété emblématique pour recevoir ses clients. Aujourd'hui, ça va bien au-delà. Les acquisitions foncières sont des opérations de haut de bilan qui rassurent les banquiers et les associés », relève Michel Veyrier, de Vinea Transaction Languedoc et Vallée du Rhône. En tout début d'année, la Compagnie Rhodanienne (Castillon-du-Gard), négociant embouteilleur engagé avec une vingtaine de domaines et châteaux partenaires, a elle aussi franchi le cap en reprenant en fermage les 36 ha du Château des Sources et du Domaine des Cantarelles, à Bellegarde (Gard). « En reprenant ce vignoble, nous souhaitons matérialiser le repositionnement de l'entreprise. Nous étions un négoce industriel, nous nous repositionnons sur des vins de milieu de gamme et premium », précise le directeur général Thomas Giubbi. Des négociants qui deviennent producteurs, des producteurs qui deviennent négociants... les lignes bougent au sein de la filière. C'est plutôt un bon signe, non ?

Champagne : le foncier viticole, un sujet qui fâche

En Champagne, la propriété du vignoble est un sujet qui fâche, et rares sont ceux qui souhaitent s'exprimer sur ce sujet. « Jusqu'ici, il existait un consensus entre les deux familles : le vignoble aux vignerons et les raisins aux maisons de négoce. Le développement des ventes a provoqué une tension sur les approvisionnements en raisins, poussant les maisons de Champagne à acquérir du foncier. Ce vignoble est ensuite loué à des vignerons qui, en échange, doivent apporter une plus grande part de leur récolte. C'est ce que l'on appelle l'effet levier : une maison, en louant un hectare s'assure de recevoir jusqu'à 3 ha de récolte. Cette tendance est moins marquée depuis trois-quatre ans, mais certaines maisons restent très actives. Leurs achats représentent environ 10 % des transactions annuelles », confie Olivier Baranski, de la Safer Champagne. Fait nouveau aujourd'hui : des vignerons font appel à des maisons de négoce pour qu'elles travaillent leurs vignes. « Nous ne sommes pas acquéreurs de foncier. Ce qui nous importe, c'est de fidéliser nos fournisseurs de raisins. Certains nous demandent de travailler leur vigne en prestation de services. Pour les conserver, nous répondons favorablement à leur demande », confirme Jérôme Courgey, responsable vignoble chez Lanson-BCC, rare maison voulant bien à s'exprimer sur le sujet. Le Syndicat général des vignerons reste en alerte. « Si la production perd la maîtrise du foncier, nous n'aurons plus le même poids dans les négociations au sein de l'interprofession », soutient Nicolas Didier, représentant du SGV qui siège à la Safer.

Costières de Nîmes : le nouvel eldorado

En moins de deux ans, le vignoble des Costières de Nîmes a attiré une ribambelle de belles signatures du négoce : les Grands Chais de France, les Domaines Paul Mas, Vianney Castans, fondateur de la maison Joseph Castans, la Compagnie Rhodanienne... Et la liste n'est pas close. Michel Chapoutier a lui aussi annoncé son intention d'investir à la fois dans les vignes et dans un outil de vinification dans l'appellation gardoise. « Les Costières de Nîmes sont une appellation attractive pour le négoce car le prix du foncier reste abordable et les domaines sont de taille conséquente (de 40 à 60 ha). Et surtout, avec le Bas-Rhône, nous disposons d'eau pour irriguer, ce qui garantit un niveau de production à peu près constant chaque année », commente Nicolas Ponzo, directeur de l'ODG Costières de Nîmes.

L'essentiel de l'offre

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